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Sur le vif - Page 226

  • RTS : l'invasion des "hein ?"

     
    Sur le vif - Jeudi 26.08.21 - 12.39h
     
     
    Seize siècles après le regretté Attila, voici, au 12.30h RTS, l'invasion des « hein ? ». Jusqu’à six par papier d’une minute. Un pur tic de langage, pour simuler misérablement le spontané. Le degré zéro de l’expression radiophonique.
     
    L’impro sur mots-clés, au service d’une info vivante, exacte, dense, calibrée dans le temps, et sous la forme d’un vrai entretien, non-préécrit, avec le meneur, ça n’est pas exactement cela. Ça exige à la fois une extrême rigueur, notamment dans la maîtrise de la durée (le timing imparti, ou convenu avec le meneur, doit être respecté à la seconde) et celle des articulations, et un bonheur dionysiaque, viscéral, physique, dans la valse des mots. Une prise de risque, aussi, sans filet, dans le rapport à l’oralité. C’est un métier. Cela s’apprend. Cela s’exerce. Il faut avant tout en avoir puissamment envie, sinon autant oublier.
     
    Le secret de la radio, c'est la relation intime que l'aspirant au micro entretient avec son ventre, sa gorge, sa voix. Il doit s'aimer, tout en se montrant d'une incroyable exigence avec lui-même. Il doit s'aimer, et se détester quand il faiblit. Il doit parfois se gifler, de rage. Il doit se réécouter dix fois, vingt fois, aussitôt après son passage à l'antenne. Il n'est pas rien, lui le locuteur. Il n'est pas un détail de l'histoire. Il est un être humain, doté d'une voix, d'une énergie, d'un souffle de vie. C'est lui qui a choisi le métier du micro, personne ne l'y a contraint. Alors, ce choix dément, où il est question d'amplifier les sons provenant du ventre, puis de la gorge, il doit l'assumer. Aller jusqu'au bout. On ne fait pas de la radio à moitié, sans en avoir l'air. On ne triche pas. On ne glisse pas des "hein ?", juste pour mimer le moment de vie d'une vraie conversation. La radio est un art. Elle mérite mieux que des béquilles.
     
    L'homme ou la femme de radio doit être tenaillé par la volonté d'habiter, avec toute l'intensité d'une présence, la période vocale impartie. Le temps donné, ni plus, ni moins. C'est quelque chose de très fort, à des milliers de lieues marines des relances pré-écrites, cette apothéose du scolaire, cette fausse spontanéité qui ne dupe personne.
     
    Il faut être debout, face au meneur, également debout. Sans studio, sans murs, sans mobilier, sans investissements dantesques dans une machinerie n'ayant rien à voir avec l'essentiel : canaliser le verbe qui surgit. La vraie radio, c'est dehors, là où quelque chose se produit. En phase avec l'événement ! En palpitation avec lui. Debout, et en mouvement ! Micro sans fil, casque sans fil, reliés à une valise satellite, c'est tout. Juste une montre radiocontrôlée dans l'autre main, pour rendre l'antenne à la seconde près, même à dix mille kilomètres du meneur. Un métier, je vous dis, juste un métier, exigeant, millimétré, fascinant. Pas de place pour les amateurs.
     
    La radio, c'est la liberté, surgie de la précision.
     
    Sous les yeux, tout au plus quelques mots-clés, correspondant aux trois ou quatre choses essentielles qu'on veut faire passer. Des noms propres. Des chiffres. Des dates. Rien d'autre. Parce qu'en réalité, si on a bien intériorisé sa prise de parole avant, si on a fait une "italienne", ces quelques-mots-clés, on ne les regardera même pas. Exigence absolue : une parfaite maîtrise du sujet.
     
    Dans le regard, deux objectifs : les yeux de l'interlocuteur, comme dans la vie quand on parle à une autre personne ; et, quelque part dans le champ, l'horloge radiophonique, à la seconde près. Le timing, en radio, est capital. Celui qui déborde met en péril l'ensemble de l'émission : après lui, d'autres intervenants surgissent, qui n'ont pas à être prétérités par l'absence de professionnalisme de celui qui dégouline.
     
    Au plus haut niveau radiophonique romand, dans le silence ouaté des étages, la surdité règne. La plus parfaite insensibilité à la forme, à la phrase, aux syllabes, aux silences, à tout ce qui forge les vertus de l’élocution. Pourquoi se préoccuper de ces choses-là, il est tellement plus galvanisant de projeter ses désirs vitaux sur une construction immobilière à Ecublens.
     
    Je parle ici de radio, et de radio seulement. C'est un domaine que je connais un peu.
     
    La radio est le média de l’oralité. Mais la flamme du verbe vivant n’y intéresse quasiment plus personne. À quelques exceptions près, hommes et femmes de talent, à qui j’adresse mon estime et ma fraternité. Ils sont, eux, des praticiens du micro, jamais des cadres ni des apparatchiks. Ce sont eux qui sauveront la radio en Suisse romande, pas la tristesse grisâtre des hiérarques.
     
    Pour l’heure, c’est la radio d’Attila. On y émet des sons, mais l’esprit ne repousse plus.
     
     
    Pascal Décaillet

  • L'Algérie, le Maroc, la polyphonie des morts

     
    Sur le vif - Mercredi 25.08.21 - 14.37h
     
     
    L'Algérie rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc, ce qui est tout de même une nouvelle assez fracassante pour toute personne s'intéressant peu ou prou à l'Afrique du Nord, et notamment à l'Histoire de cette grande nation qu'est l'Algérie. Et la nouvelle passe en entrefilet : tout le monde s'en fout.
     
    Dans nos pays douillets, on préfère les sujets "de société". Bien stigmatisants, et bien moralisants. Histoire de jeter la meute sur toute personne émettant une opinion n'allant pas dans le sens de la norme. La vie des peuples, le destin des nations, l'analyse politique ne semblent plus guère intéresser nos belles âmes.
     
    Lisez Lacouture. Et vous verrez à quel point le destin de l'Algérie, depuis 191 ans, peut si souvent se confondre avec le nôtre, par-delà cette Méditerranée qui nous relie.
     
    Lisez des livres d'Histoire, tous pays confondus, je passe mon temps à le faire pour l'Allemagne. Renseignez-vous. Allez sur les lieux. Ayez soif de connaissances. Laissez-vous surprendre. Ne vous contentez jamais des versions des vainqueurs, des gouvernements, des officiels, du pouvoir. Embrassez toutes les perspectives, y compris celles des oubliés, des maudits. Ne succombez surtout pas aux leçons des moralistes, qui nous dévident leurs anachronismes et leur ignorance de la complexité des faits.
     
    C'est valable pour l'Algérie. C'est valable pour l'Allemagne. C'est valable pour la France. C'est valable pour tout. D'abord, aller voir. Pénétrer les textes, les témoignages. Laisser parler la polyphonie des morts.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Pascal Broulis, Philippe Leuba : deux magistrats à hauteur d'Etat

     
    Sur le vif - Jeudi 19.08.21 - 12.37h
     
     
    Pascal Broulis et Philippe Leuba auront été, l'un et l'autre, des magistrats de grande valeur. Au-delà de leurs legs, que chacun peut évaluer comme il l'entend, ils laissent dans l'espace politique une hauteur de vue, une justesse de ton, une adéquation à la fonction, que bien des Cantons (notamment l'un, en aval du Rhône) peuvent leur envier.
     
    Pascal Broulis, dans la tradition radicale, celle qui a fait la Suisse moderne et construit l'Etat. Philippe Leuba, dans la rigueur d'une autre philosophie politique, celle de la responsabilité individuelle. Deux hommes, deux postures. La bonhommie de l'un, la raideur de l'autre, dans les deux cas au service de l'Etat. On rêverait, dans des Cantons voisins (notamment dans ce Sud-Ouest de la Suisse où le Grand Fleuve se rapproche de la Camargue), de retrouver parfois cette élévation d'Etat dans le comportement des magistrats. On les perçoit chez Nathalie Fontanet, peut-être un ou deux autres, tous partis confondus. C'est bien. Mais c'est un peu juste.
     
    On n'aurait jamais imaginé Pascal Broulis, ni Philippe Leuba, entrant dans la mêlée, blessant l'âme de citoyennes et citoyens libres de leurs opinions, de leurs critiques, qui constituent pourtant le seul véritable souverain dans notre démocratie suisse. Ces deux hommes d'autorité n'ont jamais versé dans la crise d'autoritarisme. Certains Cantons, notamment là où le Rhône redevient Rhône, pourraient s'en inspirer.
     
    Je ne suis pas Vaudois, mais Valaisan de Genève, ou Genevois d'origine valaisanne, comme on voudra. Je suis Suisse, profondément. Et il se trouve que j'admire depuis toujours, déjà à l'époque de Philippe Pidoux, la rude et intransigeante conception républicaine que les magistrats exécutifs vaudois ont de leur fonction. Je l'ai sentie, plus que chez tout autre, chez un Jean-Pascal Delamuraz, que j'ai eu l'honneur de suivre de près dans mes années bernoises.
     
    Ensuite, chacun jugera : tel ministre a-t-il fait de bonnes, de mauvaises choses, là n'est pas mon débat. Pour ma part, citoyen libre, engagé, passionné de politique et d'Histoire, j'adresse tous mes vœux à MM Broulis et Leuba pour la suite. Ils ont été, l'un et l'autre, à hauteur d'Etat.
     
     
    Pascal Décaillet