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Sur le vif - Page 200

  • Freisinn et Patrie

     
    Sur le vif - Jeudi 16.12.21 - 12.05h
     
     
    Avec toutes les personnalités du PLR, en Suisse, qui depuis bientôt huit ans me confient en privé avoir voté oui (comme votre serviteur, qui, lui, a le courage de ses opinions) à l’initiative du 9 février 2014 sur l’immigration de masse, et être au fond opposées à la libre circulation, on pourrait, croyez-moi, lancer un parti en Suisse.
     
    Et ce serait un magnifique parti ! La convergence de deux grandes idées : le Freisinn, issu de la pensée de Kant, qui a fait la Suisse de 1848. Et qui reconnaît le legs de la grande fracture historique de la Révolution française. Et, de l’autre côté, la notion, plus intime, moins rationnelle, plus chaude, plus maternelle, de Gemeinschaft. Une communauté d’appartenance, tenue par les liens de la mémoire, ombrageuse sur les exigences requises pour en faire partie. Détestant qu’on lui fasse la leçon de l’extérieur. Et pas forcément tétanisée par le grand brassage mondialisé.
     
    Cette intersection-là, en Suisse, ça fait du monde. Beaucoup de monde.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Les vitrines de Cologne, juste après la guerre

     
    Sur le vif - Jeudi 09.12.21 -10.15h
     
    Je préfère mille fois les votations aux élections. Parce qu'on y parle des thèmes, et non des personnes. Notre magnifique démocratie suisse, où le suffrage universel a le dernier mot, permet de brasser, toute l'année, des sujets communaux, cantonaux ou fédéraux sur lesquels, quatre dimanches par an, les citoyennes et citoyens se prononcent. Nous parlons des thèmes, nous faisons la politique, nous tous. Nous aimons notre pays, nous sommes les acteurs de son destin. En vérité je vous le dis : en matière de démocratie, nous avons des années-lumière d'avance sur nos voisins, à commencer par la France.
     
    La France ! Ce pays que j'aime tant, dont je parcours l'Histoire avec passion depuis l'enfance (comme celles de l'Allemagne, de la Suisse, des Balkans, du Proche-Orient, de l'Afrique du Nord). Ce pays dont la littérature, et d'ailleurs aussi la musique, me captivent. Ce pays ami n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut. En juin 1940, il a tout perdu, on sous-estime totalement cette défaite, la plus grande de son Histoire, absolument pas rachetée (méfiez-vous de la geste gaullienne) par la participation de façade de la France à la victoire de 1945. Oui, de Gaulle, génie du verbe, a brandi le cadavre comme on avait, au soir de la bataille, exhibé celui du Cid. Oui, par deux fois, en 44-46, puis en 58-69, il a raconté l'Histoire de la résurrection. Par deux fois, c'était un leurre. Et ça n'est pas, je pense, un anti-gaulliste primaire qui signe le présent billet.
     
    La France est dans un état moral hallucinant. Le cirque médiatique des chaînes en continu passe son temps à nous distraire avec le casino boursier des candidats à la Présidence. Sur ces chaînes, on bavarde. On s'étripe. On s'agrippe. On s'interrompt. De la vie quotidienne des Français, pouvoir d'achat, misère des retraites, chômage des jeunes, on ne parle jamais. On vient juste pour le spectacle. On fait briller les feux de vitrines luxuriantes, mais derrière, le magasin est vide. Comme dans Cologne, visitée un soir par mes parents juste après la guerre. Le lendemain, ils sont montés sur le dôme, ils ont découvert à leurs pieds la ville en cendres. Les vitrines, c'était juste pour maintenir le moral de la population.
     
    Nous les Suisses, restons concrets. Soyons démocrates, plus que jamais. Renforçons la démocratie directe. Lançons des initiatives. Nous les citoyennes et les citoyens, faisons la politique. Aimons notre pays. Parlons des idées, des projets. Pas des personnes.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Bernard Haitink (1929-2021) : un portrait d'homme, juste égaré dans l'essentiel

     
    Sur le vif - Mardi 07.12.21 - 15.30h
     
     
    Comme je l'ai fait, ici et sur mon blog, le samedi 23 octobre dernier, à l'occasion de sa mort, je ne puis m'empêcher de vous parler de Bernard Haitink (1929-2021). Parce qu'il était un homme d'exception. L'un des plus grands chefs du vingtième siècle. L'un des plus puissamment habités, dans le tréfonds de l'intériorité spirituelle, mais aussi corporelle, par la musique. Enfin et surtout, parce que j'ai regardé hier soir, sur Mezzo, le portrait absolument saisissant consacré à cet homme. Il m'a laissé comme pétrifié. La chaîne le repassera, je pense, en boucle. S'il vous plaît, ne le manquez pas.
     
    On y découvre l'homme. Enfin, disons que Haitink, interviewé par Hans Haffmanns, homme de radio et de TV aux Pays-Bas, laisse perler de sa personne quelques éclats de diamant pur, nostalgie, tristesse apparente, émotion qui remonte, et puis soudain le regard qui éclate de mille feux lorsque l'on parle musique. Avec un sens du concret incomparable : partitions, choix de tempo, indications d'orchestre. L'exigence millimétrée d'un perfectionniste, au service de l'oeuvre, et d'elle-seule.
     
    Et puis ? Et puis, il y a ce visage, qui me frappe depuis si longtemps. Une raideur, comme il en va de ceux qui furent frappés de brûlantes souffrances, ou de crises fulgurantes. Un rideau de tristesse. Un barrage, pour contenir l'émotion. Haitink est là, dans sa maison du Sud de la France, à converser avec Haffmanns. Ils ne parlent que de musique, que de l'essentiel. Sur l'écume, rien. Toute l'émission se déroule en néerlandais, on comprend presque à l'oreille, si on est germanophone, ou (j’imagine) anglophone. Sous-titres en anglais. On pourrait se croire au Rijkmuseum, galerie des portraits.
     
    Et puis ? Et puis, la mémoire ! Elle remonte. Elle affleure. Elle arrive comme la vague, elle s'apprête à tout emporter. Premier souvenir de concert ? Haitink évoque immédiatement le Concertgebouw, 1938, Mengelberg à la baguette. Lui, Haitink, a neuf ans. Il découvre cet ensemble que plus tard il dirigera.
     
    Et puis ? Et puis, on entre dans le détail ! Haitink nous sort Mahler : la partition du Chant de la Terre, Das Lied von der Erde. Avec les annotations du grand Mengelberg ! Et Haitink nous en détaille les notes, les corrections, les indications de rythme, de la main du maître d'avant-guerre, avec des crayons de couleur. Et Haitink nous tient un discours sur le discours de Mengelberg sur le Chant de Mahler !
     
    C'est à cela qui doivent ressembler les émissions sur la musique. Pas de grandes paroles, romantiques (dans le mauvais sens), imprécises, volatiles. Mais la rigueur du concret.
     
    Haitink était un géant. Comme Furtwängler. Comme Abbado. Comme Harnoncourt. Comme Mariss Jansons. Ce portrait, soutenu par l'intense beauté tragique du visage de Haitink, mais aussi par la rugueuse splendeur de la langue néerlandaise, en version originale, est à voir de toute urgence. Il est un portrait d'homme, juste égaré dans l'essentiel.
     
     
    Pascal Décaillet