Sur le vif - Mercredi 13.07.22 - 10.41h
Jeune ingénieur, mon père, Paul Décaillet (1920-2007), construisait en 1942 le Fort d'Artillerie de Champex, en pleine guerre. Il y rencontre une jeune fille d'Orsières, Gisèle Rausis (1920-2010), ma mère, fille d'Emma et de Maurice Rausis (1892-1925), mon grand-père, instituteur, musicien, Capitaine à l'armée, décédé à l'âge de 33 ans d'une crise de diabète, foudroyante. Entre Paul et Gisèle, idylle immédiate. Mariage le 1er mai 1942. 65 ans d'union, jusqu'au décès de mon père, le 13 juillet 2007, il y a jour pour jour quinze ans. Belle histoire.
Avec ma soeur Dominique, et toute ma famille, nous avons évidemment aujourd'hui, pour notre père, une pensée particulière. Le premier souvenir est celui des innombrables marches en montagne, été après été, avec nuits en cabane. Bagnes, Entremont en tout premier lieu, région Salvan, Dents du Midi, mais aussi rive droite, Rambert, ou encore Hérens, Anniviers, Haut-Valais. Pour le chaud, on pouvait compter sur la soupe de la cabane, où le lardon dominait. Sinon, dans le sac à dos, du lard (encore !) bien sec, un bout de Bagnes ou d'Orsières, du pain de seigle dur comme un caillou, un solide couteau bien tranchant, des fruits secs, du chocolat qui fondait dans la poche extérieure, un boutillon de thé tiède auquel je préférais l'eau glacée des ruisseaux, et puis basta ! A nous la grande aventure !
Ces randonnées alpines, dont certaines dantesques (Aiguilles du Tour en 1966, montée par Orny, nuit à la Cabane du Trient, deux monstres cordées rivales, sous la haute autorité de mon Oncle Raoul, guide de montagne et futur Président du Grand Conseil, ou encore Sentier des Chamois complet, jusqu'à Fionnay, via le lac de Louvie) n'ont pas empêché mes parents de nous faire découvrir le vaste monde, du Proche-Orient jusqu'au Cap Nord. Dire qu'ils ont accompli leur mission est un faible mot.
J'écris ces quelques lignes à quelques mètres du piolet de mon autre grand-père, Emile Décaillet (1887-1941), époux de Marie, mes grands-parents paternels. Emile, originaire évidemment de Salvan, entrepreneur au Châtelard (où mon père a passé son enfance), puis à Martigny. Il y a, dans tout cela, ces récits et ces souvenirs entremêlés, bien plus que des racines. Disons la puissance d'un sentiment d'appartenance. Retrouver, tous les ans, l'extase du pays physique, me plonge dans une profonde communion spirituelle avec ceux qui nous ont précédés.
Appartenance à la puissance de la mémoire.
Mon rapport passionnel à l'Histoire, depuis l'enfance, est lié à ces choses-là. N'avoir connu aucun de mes quatre grands-parents, tous nés au 19ème siècle (1886, 1887, 1892, 1895). Retrouver un fil. Dégager la fresque, sous la couche de peinture.
Pascal Décaillet