Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 1041

  • François Mitterrand – La grâce d’un homme

     

    Sur le vif - Samedi 08.01.11 - 18.00h

     

    Il y a juste quinze ans, François Mitterrand s’éteignait. Mon ami d’enfance, Bertrand Ledrappier, s’est rendu aujourd’hui au cimetière de Jarnac, où se sont pressés, de Martine Aubry à Ségolène Royal,  le ban et l’arrière-ban des héritiers putatifs, présomptifs, ceux qui croyaient au ciel, ceux qui n’y croyaient pas, ceux qu’irradia la grâce du Sphinx, ceux qui firent semblant. Ils étaient là, agrippés à la robe de traîne de l’Histoire, le regard figé sur 2012.

     

    François Mitterrand était un homme d’exception. Je ne l’ai vu qu’une fois, en mai 1991, dans les jardins de la Villa Ciani, à Lugano, pour l’interviewer. Son charme avait opéré, sans égal. Cet homme est entré dans ma vie en décembre 1965, je ne le connaissais pas auparavant, bien qu’il fût déjà illustre, mais enfin j’avais sept ans et demi, et surtout c’est cette élection-là, première du genre au suffrage universel, qui propulse ce vieux briscard de la Quatrième dans tous les foyers munis d’un poste de télé. Le nôtre était noir et blanc, mettait une bonne minute à s’allumer, le même temps à s’éteindre. Les hôtes habituels en étaient Zorro et Thierry la Fronde. Mais là, en lieu et place de ces êtres de légende, nous eûmes droit aux spots de la campagne électorale. Lecanuet, Tixier-Vignancourt, Barbu, Marcilhacy, Mitterrand, et… de Gaulle, pour se succéder à lui-même.

     

    Mes souvenirs de 1965 sont trop diffus. De la campagne de 1974, ma mémoire est extraordinairement précise, ne parlons pas de celle de 1981, qui sera celle de la victoire. Tant que de Gaulle était vivant, je n’aimais pas François Mitterrand. Je le considérais comme un imposteur, exactement ce à quoi m’avait conditionné l’ORTF, aux ordres du pouvoir. Même sous Pompidou, je n’imaginais pas que ce Rastignac pût devenir jamais un homme d’Etat. En 1974, j’allais vers mes seize ans, mon candidat était Chaban, hélas troisième, je me suis (à tort) désintéressé du deuxième tour.

     

    Comme des millions de personnes, quelque chose, de l’ordre d’un lent et irréversible retournement, s’est produit en moi pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981). Très vite, les signaux orléanistes du locataire de l’Elysée, son détestable culte de la jeunesse, ses références au monde de l’argent, m’ont éloigné de ce nouveau pouvoir, avec lequel je reconnais avoir été, plus tard, très sévère, sans doute exagérément, le bilan de VGE n’étant certes pas le pire de la Cinquième République. Mais enfin, ce régime-là avait été fondé, en 1958, par une sorte de moine-soldat hors de toutes les catégories, que n’impressionnaient ni l’argent, ni les pouvoirs intermédiaires, ni la mode, ni le monde des puissants. Georges Pompidou (1969-1974) ne lui avait pas trop mal succédé. Là, avec ce svelte Guizot en voiture de sport, ça tournait à la catastrophe.

     

    De quand date ma conversion à François Mitterrand ? Sans doute de la fin, déjà, de l’année 1974, ou alors tout début 1975. Elle a été conditionnée par plusieurs facteurs : mon rejet de Giscard, l’idée géniale de mes parents de m’abonner au Nouvel Observateur (quel hebdomadaire, en ce temps-là, quelle intelligence, avec Maurice Clavel à la chronique TV, Giesbert à la politique, Julliard à l’économie, Jean-Louis Bory au cinéma, et bien sûr les éditos de Jean Daniel !), et aussi par deux interventions décisives de François Mitterrand sur le petit écran.

     

    La première (oui, c’est ce soir-là que je crois avoir basculé) fut la présence du Premier secrétaire du PS dans l’émission « Apostrophes », de Bernard Pivot. Il y parla de Chateaubriand, et, je crois, de Jules Renard et de Chardonne. Il ne dit pas un mot du socialisme, s’exprima fort bien sur la littérature, qui était ma grande passion, en un mot m’époustoufla. Au même moment, mon professeur de français, le Père Pierre Pascal, nous recommanda de lire « La Paille et le Grain », qui venait de sortir, ce que je fis immédiatement. A coup sûr, un style. Une sobriété, une simplicité, dans la pure tradition française, une sensualité de terroir, très éloignée des périodes majestueuses (et parfois sublimes) des « Mémoires de Guerre ». En lisant ce petit livre, je crois que je suis devenu mitterrandien. Pas socialiste : mit-ter-ran-dien.

     

    L’autre intervention télévisée du chef de l’opposition, en plein règne de Giscard, est moins connue, et fut génialement ciblée : cet après-midi-là, je devais être en congé, ou peut-être malade, bref je me suis retrouvé avec ma mère à regarder « Aujourd’hui Madame », l’émission d’Armand Jammot qui, sur le coup de quinze heures, s’adressait aux femmes au foyer. Invité : François Mitterrand. Et là, que découvrons-nous ? Un homme simple, charmant et charmeur, très à l’aise avec les femmes, n’ayant surtout pas oublié qu’elles constituaient la moitié de l’électorat ! Exercice réussi, au-delà de toute mesure. Le diable d’homme nous avait eus.

     

    Bref, sous Giscard, Mitterrand monte. Il a pour lui un hebdomadaire (le Nouvel Obs), un extraordinaire réseau (le parti socialiste, qu’il avait conquis à la hussarde en 1971, à Epinay), l’unanimité (d’ailleurs excessive) des intellectuels, son meilleur allié étant au fond Giscard lui-même, qui s’enfonce. Le 10 mai 1981, à 20h, je fais partie de ceux qui laissent éclater leur joie.

     

    Ensuite ?

     

    Ensuite, il y eut quatorze ans de régime. Ca, c’est une autre histoire. Je voulais juste raconter ce soir la conversion d’un adolescent. Mais une chose est sûre : quels qu’aient pu être les erreurs, les errances, les abus de pouvoir des années 1981-1995, jamais je ne regretterai d’avoir aimé et admiré cet homme. Aussi trouble fût-il, et Dieu sait si Péan l’a montré. Aussi obscur, ambigu, tout ce qu’on voudra dans l’ordre du mal. Mais il avait pour lui le génie de la politique et celui du verbe. Il aura accompagné ma jeunesse. J’ai lu tous ses livres, et tous les livres sur lui, qui encombrent mes bibliothèques. Il incarne la France que j’aime. Il aimait son pays. Il lui ressemblait. Ce soir, pendant que mon ami Bertrand est à Jarnac, je pense, oui un peu, à François Mitterrand.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Maurice Troillet, indicateur du Confédéré !

    troillet.jpg

     

    Sur le vif - Lundi 03.01.11 - 18.56h

     

    Incroyable révélation, à l’instant, sur les ondes de la RSR. Adolphe Ribordy, rédacteur en chef du « Confédéré » (le grand journal radical valaisan, qui fête ses 150 ans), nous apprend que le plus célèbre des conservateurs, Maurice Troillet (1880-1961), recordman absolu de longévité au Conseil d’Etat (quatre décennies), fut un moment… l’une des sources du journal !

     

    Pendant quelques années, où il avait été minorisé, le Bagnard a donné des renseignements au célèbre journaliste André Marcel, autre légende de ces années où le Valais n’en pouvait plus de jouer et rejouer le Sonderbund, fanfare radicale par ci, concurrente conservatrice par là, église de Lourtier jugée trop moderne, Chorgue*** amendé pour n’être point allé à la messe, Supersaxo et la Judée hantant déjà la plume de Chappaz.

     

    Maurice Troillet indicateur du « Confédéré », c’est un peu comme si on apprenait que le général de Gaulle, en direct de Londres, refilait de petits scoops à la Gazette de Vichy, ou le Maréchal aux feuilles de la Résistance, ou Pie IX à Bismarck, ou l’entourage de Pascal Couchepin à… Adolphe Ribordy. Tout cela pour la modique somme de un franc.

     

    Symbolique, of course,

     

    Cela dit, qu’on partage ou non son combat, longue vie au « Confédéré ». Longue vie à tout journal qui se bat pour ses idées. Et vive Maurice Troillet !

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Habitant de Troistorrents

     

     

     

  • Mitterrand, l’Algérie, la guillotine

     

    Sut le vif - Samedi 01.01.11 - 22.02h

     

    J’avais moins de 23 ans lors de la première élection de François Mitterrand à la présidence de la République française, le 10 mai 1981. J’étais favorable à cette élection, surtout par rejet de l’orléanisme giscardien. Jamais je ne regretterai ce choix. Avec ses défauts, son passé trouble, l’incessante reconstruction de sa propre histoire, François Mitterrand demeure néanmoins, avec de Gaulle, l’une des deux grandes figures de la Cinquième République.

     

    Comme toutes les personnes qui ont vécu cette campagne de 1981, je me souviens de ce moment très fort où le candidat Mitterrand, 64 ans, face à Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel, se déclare adversaire de la peine de mort. Nous avions tous trouvé cela courageux, car l’opinion publique française demeurait favorable à la peine capitale. Le président élu tiendra d’ailleurs parole, avec Robert Badinter et la loi d’abolition.

     

    Combien étions-nous, regardant en direct l’émission « Cartes sur table » du 16 mars 1981, où Mitterrand se proclame « en conscience contre la peine de mort », « ce à quoi j’adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation », à savoir que le même homme, un quart de siècle plus tôt, ministre de la Justice du gouvernement de gauche de Guy Mollet, avait laissé sans états d’âme 45 condamnés à mort monter sur l’échafaud ?

     

    Les faits, pourtant, étaient parfaitement connus. Tout le monde savait qu’après avoir été ministre de l’Intérieur de Mendès France (1954-1955), le jeune surdoué des cabinets de la Quatrième était devenu Garde des Sceaux de Guy Mollet (1956-1957). Tout le monde savait, ou plutôt tout le monde pouvait savoir, en 1981, que ce ministère avait été très répressif en matière algérienne, que la guillotine n’avait cessé de s’abattre sur le cou des hommes du FLN, que Mitterrand, dans l’immense majorité des cas, avait donné son préavis contre les grâces. La décision suprême étant du ressort du président de la République, René Coty.

     

    Tout le monde pouvait savoir. Mais, par un mécanisme d’oubli collectif, personne ne jugeait bon de le rappeler. Ni la gauche, bien sûr, ni une droite guère moins compromise dans d’autres épisodes de la tragédie algérienne, ni même une extrême droite constituée en partie de rapatriés n’ayant pas grands griefs, en cette espèce précise, à adresser au Garde des Sceaux des mois terribles de la bataille d’Alger. Ni même, plus surprenant, la fameuse « deuxième gauche », celle d’un Michel Rocard ou d’une Gilles Martinet, que Mitterrand a d’ailleurs toujours détestée, et dont on connaît les combats humanistes du temps même de la guerre d’Algérie.

     

    Personne. Il ne s’est trouvé personne pour rappeler que la grande âme parlant « en conscience » le 16 mars 1981 n’avait pas éprouvé trop d’embarras, un quart de siècle plus tôt, à laisser agir allègrement les bois qu’on dit « de justice » dont parle si génialement Léo Ferré dans sa chanson « Ni Dieu, ni maître ».

     

    Le vrai scandale n’est pas que François Mitterrand, entre 1956 et 1981, ait changé d’avis. Tout humain a le droit d’évoluer. Il n’est même pas que le chevalier blanc de « Cartes sur table » ne juge pas indispensable de rappeler son rôle de 1956, disons que ce genre d’omission – assez énorme, tout de même – peut faire partie du jeu politique. Non, le vrai scandale est le silence, à ce moment-là, de ceux qui savaient, notamment une certaine presse, qui auraient pu, pour le moins, remettre les choses dans leur contexte historique. L’excellent Franz-Olivier Giesbert était d’ailleurs, en ce temps-là, en pleine brouille avec Mitterrand, pour avoir osé évoquer, en 1977, l’affaire de la francisque et surtout son passé de Garde des Sceaux en 56-57. Une disgrâce qui durera dix ans.

     

    Tout cela, pour quoi ? Pour dire à quel point j’ai apprécié la lecture du remarquable « François Mitterrand et la guerre d’Algérie », que viennent de sortir François Malye, journaliste au Point, et l’historien Benjamin Stora, spécialiste de cette Algérie qui l’a vu naître. Une enquête serrée, passionnante d’un bout à l’autre, sur les seize mois de François Mitterrand comme Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet, le plus long cabinet de la Quatrième République (1er février 1956 – 21 mai 1957).

     

    Âmes sensibles, s’abstenir. À commencer par ceux qui croient que le Mitterrand de ces temps-là est un homme de gauche. Ou encore, qu’il éprouve une quelconque sympathie pour la cause indépendantiste algérienne. Ou alors, que la guillotine le révulserait au fond de lui, au nom des « adhésions spirituelles, la croyance, le souci de civilisation » qu’il invoquera 25 ans plus tard.

     

    Non, le Mitterrand du 13, place Vendôme ne montre pas le moindre état d’âme dans l’usage de la guillotine contre des gens qu’il considère non comme des combattants (sans quoi ces derniers eussent été fusillés), mais bel et bien comme des terroristes, semant la mort dans trois départements français : l’Algérois, l’Oranais, le Constantinois. Oui, c’est cela aujourd’hui qui frappe, cela qui révulse : non tellement l’usage de la peine capitale (dans la loi, les mœurs, en ce milieu des années cinquante), mais la sourde, la terrible récurrence de cette lame qui tombe, celle destinée aux criminels, non aux résistants. Les Allemands eux-mêmes, après tout, moins de quinze ans plus tôt, fusillaient les maquisards : ils les exécutaient debout. Les hommes du FLN n’auront pas eu cet honneur.

     

    Alors ? Alors quoi ? Redéfinir à la baisse son admiration pour François Mitterrand ? Cela ne sera pas mon cas. Admirateur de Machiavel et de Bismarck, de Richelieu et de Gabriele D’annunzio, je n’ai, pour ma part, jamais confondu la politique avec la morale. Mais replacer l’homme dans son contexte, mieux établir la part de construction de sa propre image, avec ce que cela implique de corrections, d’omissions. François Mauriac, qui l’aimait beaucoup, avait dit de lui, dès le début des années cinquante, qu’il était un personnage de roman. C’est peut-être la clef de toute l’affaire.

     

    Pascal Décaillet