L'Histoire allemande en douze tableaux - Série d'été - No 3 - A l'Est, du nouveau : 500 ans après, Hindenburg venge les Chevaliers teutoniques et sauve la Prusse Orientale.
Tannenberg : trois syllabes magiques, sonnant l’une des plus éclatantes victoires de l’Histoire militaire allemande, qui n’en est pas avare. Tannenberg, du 26 au 30 août 1914 : la victoire du général Hindenburg, 67 ans, futur maréchal, futur président de la République de Weimar, sur le Grand Duc Nicolas, 58 ans, oncle du Tsar, commandant en chef des Armées impériales russes. Tannenberg, qui met fin pour longtemps aux espoirs russes contre l’Allemagne, et qui sauve la Prusse orientale, jusqu’en 1945, de la domination slave.
Tannenberg, revanche de la défaite subie, au même endroit, par les Chevaliers teutoniques en 1410, face aux Polonais et aux Lituaniens, sous le nom de bataille de Grunwald. Un demi-millénaire plus tard, Hindenburg offre à l’Allemagne son inoubliable revanche : dans le long, le très vieux conflit entre Slaves et Germains, il faut savoir se montrer patient, un siècle c’est parfois court, il faut plonger dans l’Histoire pour saisir les racines du présent. Et qui sait, entre nous, si Kaliningrad ne recommencera pas un jour, dans un siècle, trois siècles, à s’appeler Königsberg ?
L’Histoire retient que l’Allemagne a perdu la Première Guerre Mondiale, avec l’armistice du 11 novembre 1918 (surlendemain de la Révolution allemande), puis les clauses humiliantes du Traité de Versailles. Certes. Mais l’Histoire doit aussi retenir – et transmettre – que sur le front de l’Est, les Allemands furent vainqueurs dès le premier mois de la Guerre. Et que rien, dans les relations germano-russes au vingtième siècle, invasion allemande le 22 juin 1941, Stalingrad fin janvier 1943, puis prise de Berlin par les Soviétiques début mai 1945, rien de tout cela ne peut être compris, si l’on n’intègre pas Tannenberg, août 1914. Ce jour-là, le général Hindenburg, ressuscitant les Chevaliers teutoniques, est entré dans la légende de l’Allemagne éternelle. Elle lui en sera d’ailleurs, pour toujours, reconnaissante.
De quoi s’agit-il ? Lorsque la guerre éclate, le 2 août 1914, la Russie (encore tsariste pour trois ans) est l’alliée de la France et de la Grande Bretagne. Dès le début, les armées du Kaiser se battent sur deux fronts : à l’ouest, ultime guerre de mouvement avant quatre ans de tranchées, ils tentent de prendre Paris, c’est la Bataille de la Marne, qui sera victoire française (honneur aux taxis !) et sauvera la France. A l’Est, c’est la Prusse orientale, si chère au cœur des Allemands, qui devient très vite l’enjeu des combats. Le Tsar, Nicolas II, a nommé son oncle, le Grand Duc Nicolas, à la tête de ses armées. Les Russes entrent en Prusse Orientale, objectif Königsberg. Assurément, la prise de la ville de Kant eût été, en termes d’images comme en importance stratégique, un atout de premier plan. La première contre-attaque allemande échoue le 20 août à Gumbinnen. Le général allemand Maximilian von Prittwitz ordonne la retraite, Berlin ne l’accepte pas, il est relevé de ses fonctions, rien ne va plus.
C’est alors qu’on va chercher un officier de 67 ans, déjà couvert de gloire, mais à la retraite. Paul von Hindenburg, né en 1847, avait déjà, dans sa jeunesse, participé à la Bataille de Sadowa dans la guerre austro-prussienne de 1866, puis en 1870 à la guerre victorieuse contre la France ! A cet homme d’âge mûr, mais nanti d’une incomparable expérience militaire, connaissant par coeur le terrain de la Prusse Orientale, Berlin confie le commandement de la 8ème Armée. Avec une mission simple : sauver la Prusse Orientale, sauver l’Allemagne. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a de l’enjeu !
On a dit souvent de Paul von Hindenburg (1847-1934) qu’il était un Pétain allemand, ou l’inverse, peu importe. Militairement, la comparaison est pertinente : dans les deux cas, Verdun (1916) comme Tannenberg (1914), on a affaire à des victoires décisives, prestigieuses, symboliques, rendant le moral à une génération de combattants. Mais la différence s’arrête là : Pétain s’impose à Verdun sur une stratégie défensive, alors qu’à Tannenberg, Hindenburg fait mouvement. Il coupe en deux les lignes russes de deux généraux (Rennenkampf et Samsonov) qui se détestent mutuellement depuis la guerre russo-japonaise de 1904, 1905. Il confirme, par l’acte, la supériorité morale et matérielle des armées allemandes sur celles des Russes. Les troupes du Kaiser, face à celles du Tsar, sont pourtant, en cette fin août 1914, en nette infériorité numérique : 250'000 Allemands face à 500'000 Russes.
Mais la manœuvre de percée, puis d’encerclement, réussit au-delà de toute espérance : Hindenburg (aidé de Ludendorff, avec lequel il formera un remarquable couple de commandement jusqu’à la fin de la guerre), gagne la bataille, des dizaines de milliers de Russes sont faits prisonniers, Samsonov se suicide dans une forêt, le Tsar est défait.
La suite, on la connaît : Tannenberg fait de Paul von Hindenburg une légende. En 1925, il est élu Président de la République (celle de Weimar), puis réélu en 1932 contre un certain… Adolf Hitler. Le vieux maréchal déteste le petit caporal de 1914. Mais le 30 janvier 1933, il n’aura d’autre possibilité que de lui confier la Chancellerie du Reich. Il meurt un an après, funérailles grandioses et nationales. A partir de 1934, Hitler peut concentrer entre ses mains tous les pouvoirs. Lui aussi, de 1941 à 1945, mènera campagne contre les Russes. Et finira par perdre. Tout perdre. Se perdre lui-même. Perdre l’Allemagne. Là où le vieil officier prussien, de 42 ans son aîné, fin août 1914, avait signé une incomparable victoire.
Sur ces événements, je pourrais vous donner d'innombrables conseils de lectures. J'en retiendrai un seul, mais il faut le lire absolument : il s'appelle Août 14, et il est signé d'un certain Alexandre Soljenitsyne.
Pascal Décaillet
*** L'Histoire allemande en douze tableaux, c'est une série d'été non chronologique, revenant sur douze moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.
*** Prochain épisode (no 4) - Bad Godesberg, 1959 : réunis dans un Congrès qui marquera l'Histoire du socialisme européen, les sociaux-démocrates allemands renoncent à la lutte des classes et au marxisme. Dix ans plus tard (1969), Willy Brandt sera Chancelier d'Allemagne fédérale.