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Série Allemagne - Page 7

  • Série Allemagne - No 14 - Blücher : le Maréchal Vorwärts !

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    L’Histoire allemande en 144 tableaux – No 14 – A Waterloo, le 18 juin 1815, deux des trois personnages principaux, Napoléon et Wellington, ont le même âge : 46 ans. Mais saviez-vous que le troisième, le maréchal prussien Blücher, sur ce même champ de bataille, était âgé de 73 ans ? Retour sur l’un des plus grands destins de l’Histoire militaire allemande.

     

     

     

     

     

     

     "Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
    Il avait l'offensive et presque la victoire ;
    Il tenait Wellington acculé sur un bois,
    Sa lunette à la main, il observait parfois
    Le centre du combat, point obscur où tressaille
    La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
    Et parfois l'horizon, sombre comme la mer.
    Soudain, joyeux, il dit : "Grouchy !" - C'était Blücher"

     

     

    Si les enfants de France, depuis des décennies, connaissent le nom de « Blücher », c’est bien grâce à ces vers de Victor Hugo : dans « L’Expiation », extraite des Châtiments (1853), le poète nous décrit en quelques mots la déconvenue de l’Empereur : seul contre Wellington, il peut  encore gagner ; il croit voir arriver le renfort français, celui de Grouchy, fraîchement nommé maréchal ; manque de chance, c’est l’armée prussienne de Blücher ! A Sainte-Hélène, l’Empereur déchu se montrera très sévère avec Grouchy, lui faisant endosser la responsabilité de la défaite. Fort bien. Mais Blücher, ce vieux chef de 73 ans, qui hante les champs de bataille de l’Europe depuis six décennies, ce Maréchal Vorwärts, apprécié de ses hommes, qui est-il, d’où vient-il, comment s’est-il taillé ce rôle de premier plan dans l’Histoire du continent ?

     

    Et d’abord, que fait encore sur le champ de bataille un homme de 73 ans ? Pour le comprendre, remontons aux origines. Né en 1742, à Rostock, Ville Hanséatique rattachée au Mecklembourg, fils d’un capitaine, le futur maréchal entre très tôt dans la carrière militaire, devenant officier à quinze ans, ce qui l’amène à servir comme cornette, dans l’armée des Suédois, pendant la Guerre de Sept Ans (1756-1763). A l’âge de 18 ans (1760), il est fait prisonnier par les Prussiens, enrôlé (comme dans Barry Lyndon !) par l’armée de Frédéric II. Il y montre d’éminentes qualités, devient capitaine, puis démissionne avec fracas, ce qui lui vaudra de se faire, littéralement, envoyer au diable par Frédéric le Grand : « Der Rittmeister von Blücher kann sich zum Teufel scheren ».

     

    Il ne reprend du service que quinze ans plus tard, après la mort du Vieux Fritz (1786), et sera dès lors de toutes les campagnes menées par la Prusse sur le continent européen. Il a 47 ans au moment de la prise de la Bastille, on le retrouve, comme général, sur les champs de bataille des Guerres de la Révolution, avec les Hussards Rouges. Puis, dans les Guerres de l’Empire. Contre les Français, il perd souvent, et se retrouve prisonnier à Lübeck, en 1806 : il faudra un échange (avec le général Victor) pour le tirer d’affaire. 1806, c’est l’année terrible pour la Prusse, le début d’une occupation qui durera jusqu’en 1813 (cf. notre chronique no 2, sur Fichte, les Discours à la Nation allemande). Le pays du grand roi Frédéric, décédé vingt ans plus tôt, n’est plus que l’ombre de lui-même. Et c’est justement pendant cette période d’occupation qu’il rumine sa revanche : Gebhard Leberecht von Blücher en sera le bras armé, l’artisan suprême, la Prusse lui devra tout.

     

    Ce qui est troublant, dans les soixante ans de carrière militaire de Blücher, c’est cette capacité à se retirer, disparaître, se faire oublier, puis, comme la foudre, resurgir. C’est lui, le grand chef des armées prussiennes en 1813, il est des batailles de Lützen et Bautzen (gagnées par Napoléon). Et il sera, surtout, de celle de Leipzig (cf. notre chronique no 11, consacrée à la Bataille des Nations, 16 au 19 octobre 1813). Il en est l’un des vainqueurs. Il y reçoit, à 71 ans, son bâton de Maréchal. Et c’est lui, le vieil Hussard, qui se jure de poursuivre la Grande Armée, qui avait occupé son pays pendant sept ans, partout où il le faudra, jusqu’à la victoire finale. La prochaine campagne, c’est celle de France (1814), l’une des plus géniales de Napoléon, qui le promènera, plusieurs semaines, d’un bout à l’autre du territoire. Mais au final, le Maréchal Vorwäts entre dans Paris, l’Empereur part pour l’île d’Elbe.

     

    Mais il en reviendra, le diable d’homme, l’année suivante (mars 1815). L’Aigle, qui a volé de clocher en clocher, retrouve son trône. Pour Cent Jours. En juin, la guerre reprend, elle se jouera le 18 à Waterloo, on connaît la suite. Une chose est sûre : les choses allaient mal pour Wellington, les 34'000 hommes de Blücher ont joué un rôle décisif dans le sort de la bataille. Reprenant  Paris, alors que l’Empereur s’exile définitivement vers Sainte Hélène, le vieux Maréchal Vorwärts envisage de faire sauter le Pont d’Iéna, du nom de la bataille (1806) qui avait scellé, pour sept ans d’occupation française, le destin de la Prusse. Il meurt quatre ans plus tard, en 1819, dans cette Silésie qui avait été l’une des plus retentissantes conquêtes de Frédéric II.

     

    Oui, la Prusse lui doit tout. Soixante ans sur les champs de bataille : de la Guerre de Sept Ans à la défaite finale de Napoléon ! L’aristocratie militaire prussienne, qui fera parler d’elle jusqu’au 8 mai 1945 (ou, tout au moins, jusqu’au 20 juillet 1944) se souviendra longtemps des qualités militaires de ce vieux combattant. Ses hommes, aussi, qui le tenaient en haute estime. Surtout, le peuple de Prusse, qui voyait bien que nulle libération du destin de leur pays n’eût été possible sans le courage et l’obstination de cet infatigable soldat.

     

    Au fond, trois hommes ont fait la Prusse de cette première période, héroïque : le grand roi Frédéric II, l’écrivain Kleist, et le Maréchal Vorwärts. Au vingtième siècle, on a donné le nom de « Blücher » à deux éminents bâtiments de guerre de la Kriegsmarine : l’un fut coulé en 1915, l’autre en 1940. Dans les affaires de la guerre, rien n’est jamais gagné pour l’éternité. Nul combat n’est acquis : le vieux maréchal le savait bien, lui qui avait souvent perdu, mais maintes fois remporté la victoire, notamment à Leipzig et à Waterloo. Dans ces deux batailles, surgissant du passé, il s’était trouvé au bon endroit, au bon moment. Fabuleux destin, qui sent la poudre, les bottes, le cuir, au rendez-vous de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux, c'est une série non chronologique, revenant sur 144 moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

     

    Prochain épisode - Lili Marleen : histoire d'une chanson.

     

     

     

  • Série Allemagne - No 13 - Sanary : l'exil bleuté des écrivains

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    L’Histoire allemande en 144 tableaux – No 13 – De 1933, date de l’arrivée de Hitler au pouvoir,  jusqu’à 1940, défaite de la France face à l’Allemagne, voire plus tard encore dans la guerre (1942, occupation de la zone sud), des dizaines d’écrivains allemands, en exil, se sont regroupés à Sanary-sur-Mer, petit village de pêcheurs sur la côte varoise. Parmi eux, les plus grands noms de la littérature allemande ou autrichienne au vingtième siècle : Bertolt Brecht, Thomas Mann, Stefan Zweig. Si un jour, vous passez par Sanary, pensez à eux.

     

    Lorsque l’exil prend la parure du bleu, celui de mer, celui d’azur, sous la tranquille compagnie des palmiers, dans un village de pêcheurs de la côte varoise, à quoi donc peut bien penser l’exilé ? La douceur du paysage vient-elle atténuer sa douleur ? Ou l’Allemagne natale l’occupe-t-elle tout entier ? Je me suis fait cette réflexion il y a quelques années, en arpentant les rues si douces de Sanary-sur-Mer, dont tout le monde, peut-être, ne sait pas qu’elle fut, de 1933 à 1940, la « capitale de la littérature allemande », selon l’expression de Ludwig Marcuse (1894-1971), l’un des exilés, justement, parmi les plus célèbres.

     

    Capitale de quoi ? De la douleur ? De la nostalgie ? De la tristesse, loin du pays ? La splendeur de la carte postale, l’îlot de quiétude, la qualité des rencontres, dans les villas privées ou sur les terrasses des cafés, quelle espèce de rôle tout cela peut-il bien tenir dans l’âme d’un écrivain de génie, arraché à sa patrie ? L’âme d’un Thomas Mann, d’un Bertolt Brecht, d’un Stefan Zweig ? D’ailleurs, la patrie d’un écrivain, où est-elle ? Là où il réside ? Là d’où il vient ? Là où il va ? Je crois qu’à Sanary, Thomas Mann devait se sentir plus que jamais de Lübeck, et Brecht, rêver dans les mots souabes de son enfance, lui le surdoué de la syllabe : il paraît qu’à la guitare, à Sanary, il entonnait des chansons contre Hitler.

     

    Cette histoire-là, c’est celle de la crème de la littérature allemande qui, dès l’année 1933, pas directement après le 30 janvier (accession de Hitler au pouvoir), mais après les autodafés du 10 mai, prend le chemin de l’exil. Ce jour-là, dans une mise en scène orchestrée au niveau national par le pouvoir nazi, on avait  jeté au bûcher tous les livres dont l’esprit était jugé anti-allemand. On allait réaliser l’éclatante prophétie du poète Heinrich Heine (1797-1856), « Là où on brûle les livres, on finira par brûler des hommes ». Alors, les plus grands écrivains allemands se sont mis à partir.

     

    Mais pourquoi diable Sanary ? Une affaire de filière : un ou deux commencent par s’y installer, cela se sait, les autres affluent à leur tour. Parmi les premiers, il y eut Lion Feuchtwanger (1884-1958), qui y demeurera de 1933 à 1940. Mais aussi, Thomas Mann, qui s’établit dès le 12 juin à la Villa Tranquille. Autour de lui, gravitera toute la dynastie dans la station varoise : son épouse Katja, son frère Heinrich (cf. notre dernier épisode, no 12), ses enfants Erika, Klaus, Golo. Et très vite, Sanary-sur-Mer deviendra « la capitale de la littérature allemande » en exil.

     

    Mais l’Histoire est toujours là, qui rattrape les rêves d’azur. Septembre 39, la guerre. Mai-juin 40, la vraie, pour la France, et au bout de six semaines, la plus grande défaite de son Histoire. Les exilés de Sanary prennent le chemin d’un exil plus lointain, Espagne, Portugal, États-Unis. Certains sont internés. L’écrivain Hans Arno Joachim finira à Auschwitz, et n’en reviendra pas. La France, celle de la Drôle de Guerre (septembre 39 - mai 40), se méfie des Allemands : qu’ils soient de grands esprits exilés, opposants au régime, ne compte guère ; l’internement est la règle. Et puis, de toute façon, en novembre 1942, la zone libre est occupée, les Allemands fortifient Sanary contre un éventuel débarquement. Il n’y a plus ni rêve, ni villégiature, il n’y a plus que la guerre.

     

    Reste que, pendant sept ans, les pins et les palmiers de Sanary, les murs de pierre des villas de maîtres, les terrasses des cafés du bord de mer ont dû entendre d’époustouflantes conversations. Des auteurs comme Feuchtwanger ont vécu sur la côte varoise des moments prolifiques de leur carrière. Au cours de ces années trente, on y aura vu défiler le plus grand dramaturge du vingtième siècle (Brecht), l’un des plus grands romanciers de la littérature mondiale (Thomas Mann), le bouleversant Stefan Zweig, mais aussi Joseph Roth, Franz Werfel et Alma Mahler, et tant d’autres. Sanary, c’est comme si l’âme profonde de l’Allemagne, quelques années, était venue s’accrocher aux rives de la mer bleue.

     

    Mais Thomas Mann, le soir, de blanc vêtu, l’été, se laissait-il prendre par la magie de cet azur ? Ou son esprit, plus que jamais, ne revenait-il pas sur une autre côte ? Celle, lointaine, de Lübeck. Celle de sa Baltique natale. Celles des Buddenbrooks ? Cela, le saurons-nous jamais ? Seuls les arbres centenaires de Sanary, peut-être, en conserveront le secret.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux, c'est une série non chronologique, revenant sur 144 moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

     

    Prochain épisode : Blücher, le Maréchal Vorwärts !

     

     

     

  • Série Allemagne - No 12 - Heinrich Mann, le vrai père de l'Ange Bleu

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    L'Histoire allemande en 144 tableaux -  No 12 – La sublime Marlene Dietrich chantant dans l’Ange Bleu de von Sternberg en 1930, tout le monde connaît. Mais qui connaît Heinrich Mann (1871-1950), l’auteur en 1905 de « Professor Unrat », dont est tiré le film ?

     

     

    Il ne doit pas être facile, lorsqu’on est soi-même un grand écrivain, d’avoir un frère cadet qui vous éclipse pour l’éternité derrière la statue de son renom et de son génie. C’est ce qui est arrivé à Heinrich Mann, aîné de quatre ans du futur Prix Nobel Thomas Mann, né comme lui à Lübeck (en 1871, deux mois après la proclamation de l’Empire allemand dans la Galerie des Glaces de Versailles), fils comme lui d’un illustre marchand de grains, sénateur de la Ville de Lübeck en 1877, et d’une mère d’origine brésilienne. L’enfance de Heinrich et de Thomas à Lübeck, il faut lire les Buddenbrooks de Thomas Mann (1901), l’un des plus puissants romans de la littérature allemande, pour se plonger dans cette ambiance hanséatique et cette prodigieuse littérature de la décadence. La mère brésilienne, là, il faut absolument lire un roman beaucoup moins connu, mais déterminant : « Zwischen den Rassen » de Heinrich Mann (1907). Je l’ai lu pour la première fois en 1976-1977, en passant à côté des enjeux. Je l’ai redécouvert, beaucoup plus tard.

     

     

    Le monde entier connaît Thomas, peu de gens (à part en Allemagne) ont entendu parler de Heinrich. L’univers entier a honoré le Zauberberg et les Buddenbrooks, un cercle beaucoup plus restreint s’est passionné pour l’œuvre littéraire de Heinrich. On connaît mieux la géniale progéniture de Thomas (Klaus, Golo, Erika, Michael Thomas, une incroyable bande de surdoués) que l’oncle Heinrich. C’est une injustice. L’un des buts de cette chronique est de contribuer à la réparer. Car Heinrich Mann est un grand écrivain, trempé dans les enjeux de son époque, mais aussi un militant très courageux contre le nazisme. Sa vie, à cause du Troisième Reich, fut plongée dans l’exil. Il meurt à Santa Monica, en Californie, en 1950, honoré par la DDR, mais désargenté, sans avoir revu l’Allemagne. Non, il n’est pas facile d’être le frère d’un monstre sacré de la littérature universelle, alors qu’on a soi-même embrassé le métier d’écrire, et qu’on l’a fait avec un rare talent.

     

     

    Heinrich Mann est un très grand esprit de son temps, ses Essais politiques en témoignent. En 1932, 1933, il se bat comme un fou, sur place, contre l’inéluctable arrivée de Hitler au pouvoir. Les nazis ont sa fiche. Aussitôt au pouvoir, ils brûlent ses livres, en tête de liste des autodafés, ils savent qu’ils ont affaire à un adversaire implacable. Dès lors, avant même l’incendie du Reichstag, Heinrich prend le chemin de l’exil : la France (le fameux séjour des Allemands exilés à Sanary), puis Paris, puis dès 1940, les Etats-Unis, via l’Espagne et le Portugal. Lui, qui avait si bien décrit le retour en Allemagne dans « Zwischen den Rassen », vit, dans sa vraie vie, l’expérience de l’exil. Lui, qui avait été honoré sous la République de Weimar, présidant en 1931 la section Poésie de l’Académie prussienne des Arts, vivra les dix-sept dernières années de sa vie hors d’Allemagne.

     

     

    Et puis, Heinrich Mann, c’est grâce à lui que avons tous pu découvrir les cuisses dénudées, le porte-jarretelles, et l’éclatante présence de Marlene Dietrich, en 1930, dans l’Angle Bleu, de Josef von Sternberg. Premier film parlant en Allemagne, le film qui lance la carrière de Marlene et inaugure ses fructueuses années de collaboration avec Sternberg. Heinrich Mann, que fait-il là ? Eh bien c’est de son livre, « Professor Unrat », publié en 1905, qu’est tiré le scénario du film. L’histoire d’Immanuel Rath, professeur de littérature anglaise, chahuté par ses étudiants, qui s’éprend jusqu’à la ruine de Lola-Lola, incarnée par Marlene dans le cabaret L’Ange Bleu. Il faut dire que lorsqu’elle croise les jambes, droite sur sa chaise, et qu’elle entonne « Ich bin von Kopf bis Fuss auf Liebe eingestellt », toute résistance paraît vaine, d’ailleurs à quoi bon résister ?

     

     

    Bien sûr, un quart de siècle plus tôt, le roman « Professor Unrat » (Professeur Déchet, surnom donné par les étudiants chahuteurs) charriait d’autres thèmes que celui de la seule perdition devant la chair, immortalisé par Marlene et Sternberg. Je reviendrai sans doute, dans une chronique ultérieure (il m’en reste, celle-ci finie, 132 à rédiger), sur le rapport des frères Mann, Thomas et Heinrich, puis celui de Klaus (fils de Thomas) avec les structures des sociétés allemandes qu’ils décrivent. Il faudrait plutôt dire « déstructuration », de l’univers bismarckien au Troisième Reich, en passant par la société wilhelmine (Guillaume II) et la République de Weimar (1919-1933). Je ne pourrai faire l’impasse sur « Der Untertan » (1918), l’un des grands textes de Heinrich. Ni sur son rapport à la France, dont il connaît remarquablement la littérature. Ni sur le courage de ses positions politiques. Ni sur l’aspect « esthétisant » d’une partie de son œuvre, rappelant son illustre contemporain Gabriele D’Annunzio.

     

     

    Mais là, cet après-midi, je voulais juste vous dire que le grand Thomas Mann avait un frère. Et que ce frère, ma foi, n’est pas n’importe qui. Ni dans ses options de vie. Ni dans l’extrême qualité de son œuvre littéraire. Encore moins, comme observateur politique, dans l’acuité de son regard sur l’époque. Ce frère magnifique, méconnu, je voulais ici, avec l’émotion qui remonte, celle du souvenir de mes premières lectures, lui rendre hommage. Oui, dans l’incroyable famille Mann, il y eut aussi Heinrich. Un destin un peu perdu, dans la lointaine Californie, une vie au milieu des livres. Une très grande conscience allemande, au vingtième siècle.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux, c'est une série non chronologique, revenant sur 144 moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

     

    Prochain épisode : Sanary, l'exil bleuté des écrivains.