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Série Allemagne - Page 2

  • Série Allemagne - No 29 - Vienne, 7 mai 1824 : la Missa Solemnis

     

    Dimanche 20.12.20 - 17.29h

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 29 – L’événement se passe à Vienne. C’est la Première (non-intégrale) d’une Messe en latin. L’auteur est certes allemand, mais toute sa carrière créatrice s’est déroulée en Autriche. Il la dédie à un Archiduc autrichien. Nous sommes 18 ans après la dissolution du Saint-Empire. Pourtant, nous avons choisi, en toute connaissance de cause, d’intégrer la Première viennoise de la Missa Solemnis, de Ludwig van Beethoven, dans notre Série allemande ! Parce que le compositeur est profondément allemand. Parce que nous sommes au cœur de l’Histoire musicologique allemande. Parce qu’il faut comparer cette œuvre, encore marquée d’une latinité conventionnelle d’Ancien Régime, à une autre, immense, parue 44 ans plus tard : le Deutsches Requiem, de Johannes Brahms, composé cette fois sur texte allemand, celui de la traduction de la Bible par Luther, en 1522.

     

    Vienne est une ville autrichienne, elle en est même la prestigieuse capitale. A Vienne, on parle allemand. Vienne n’est pas une ville allemande. Mais, comment dire, elle n’est pas, non plus, une ville détachée des Allemagnes. Nous aborderons, plus tard, dans notre Série en 144 épisodes, la très complexe question autrichienne, liée à mille ans d’Histoire du Saint-Empire, un lien coupé en 1806, mais jamais totalement. Les Autrichiens ne sont pas des Allemands. Mais le verbe et la musique, les contours de l’Histoire, la puissance de la langue, font de leur lien avec l’Allemagne une question historique de premier ordre, très délicate et très difficile à traiter.

     

     Ludwig van Beethoven, né à Bonn en 1770, mort à Vienne en 1827, est un Allemand ayant fait sa carrière en Autriche, d’abord dans les dernières années du Saint-Empire, puis sous l’Empire d’Autriche. Il est Allemand de Vienne. Mais il est Allemand, jusqu’au bout des ongles. Il est le compositeur allemand, par excellence. Nul n’aurait l’idée de le classer dans la musique autrichienne, et Dieu sait si cette dernière nous a livré le plus haut degré du sublime : Haydn, Mozart, Schubert, Bruckner, Mahler, Alban Berg, Schönberg. Et tant d’autres. Et Dieu sait, aussi, si le jeune Beethoven, arrivé à Vienne dans son adolescence, doit un legs impérissable à ses maîtres autrichiens. Avec eux, notamment, il étudie l’harmonie et le contrepoint.

    Beethoven compose sa Missa Solemnis au sommet absolu de son art : il a entre 48 et 53 ans, ce sont les dernières années de sa vie, il est complètement sourd, mais cela ne l’empêche pas une seule seconde de composer. Les notes, les accords, la polyphonie des voix, il les a dans sa tête, il sait exactement ce que cela donnera, dans l’univers de ceux qui entendent. C’est l’une des œuvres qui lui coûtent le plus de temps : cinq années d’un travail acharné. Il la considère comme le meilleur de ses ouvrages, « le plus grand ». Il présente pourtant, exactement au même moment, sa fameuse Neuvième Symphonie, dont la terre entière connaît le Final, l’Hymne à la Joie, sur le poème de Friedrich Schiller. Ce sont aussi les années des derniers Quatuors, ceux qui font avancer de deux siècles l’Histoire de la musique.

     

    L’Histoire de la Missa Solemnis a été étudiée à fond par les musicologues. Saviez-vous, par exemple, que la véritable Première s’était déroulée non à Vienne, mais à Saint-Pétersbourg, trois mois plus tôt, le Tsar ayant fait partie des premiers souscripteurs ? On ajoutera aussi que la Première viennoise, le 7 mai 1824, au Kärntnertortheater, le Théâtre de la Porte de Carinthie, ne pouvait être complète, le régime de Metternich interdisant qu’une Messe fût représentée ailleurs que dans une église ?

     

    Reste l’immensité des questions posées. Pourquoi le répertoire sacré occupe-t-il si peu de place (par rapport à Mozart, notamment), dans une œuvre aussi totale ? On pense certes au Christ sur le Mont des Oliviers, et à la Messe en ut. Pouvait-on, en 1824 à Vienne, présenter une Messe autrement qu’en latin ? Là, la réponse est clairement non, et c’est là qu’il faut comparer l’aventure de Beethoven avec celle, en 1868, du Deutsches Requiem de Brahms, dans un contexte d’Unité allemande triomphante (Cf. le numéro 9 de ma Série, "Lepizig, 1869 : Ein Deutsches Requiem", publié le 31 juillet 2015). Quel est le rapport de Beethoven à la religion ? Il se dit certes croyant (dans sa Correspondance, notamment), mais comment se définit-il par rapport à l’Etiquette religieuse étouffante de la Vienne de Metternich, toute sonore de latinité et de liens avec l’Italie pontificale ? Et puis, surtout : pourquoi l’auteur d’une Messe aussi époustouflante n’a-t-il pas davantage consacré d’énergie à la musique religieuse ? A la plupart de ces questions, les réponses fouillées demeurent à trouver.

     

    Reste une œuvre immense, notamment dans la répartition des voix entre les quatre solistes. La discographie est impressionnante. Nous retiendrons Toscanini, Böhm, Karajan (en plusieurs versions), Klemperer, Giulini, Herreweghe, parmi tant d’autres. Pour, ma part, l’une d’entre elles, plus que les autres, résonne en mon âme : celle que j’ai écoutée hier soir, samedi 19 décembre 2020, sur Mezzo : le Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. En y pensant, 20 heures plus tard, j’en ai encore des frissons. Entre Mozart et Brahms, il y a, quelque part dans l’univers, cette Messe en latin d’un compositeur allemand qui a révolutionné la musique. Tout en acceptant, dans le cas présent, de s’inscrire pour l’apparence dans la codification traditionnelle de la musique sacrée autrichienne, d’expression latine. Un sacré paradoxe, que dissout seulement l’écoute de l’œuvre : elle vous emporte, au-delà du monde. Au-delà de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :

    https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .

    La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.

     

     

     

     

     

     

  • Série Allemagne - Numéro 28/144 - Littérature allemande, ou littérature de langue allemande ?

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    L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 28 – La question est simple, et… diablement complexe ! Qu’est-ce que la littérature allemande ? Comment la matrice de la langue – celle de Luther, celle de Brecht – parvient-elle à englober dans une communauté d’appartenance des auteurs aussi divers, issus de Bohème, de Roumanie, ou de cet Est lointain dont plusieurs millions d’Allemands furent chassés en 1945 ?

     

    Lundi 03.08.20 - 12.55h

     

    Aimé Césaire est Martiniquais, Senghor est Sénégalais, Simenon est Belge, Ramuz est Suisse. Chacun de ces auteurs est pourtant un magnifique représentant de la littérature de langue française. Il y a leur pays d’origine, pays de combat même parfois, et puis il y a l’autre pays, qui est celui de la langue. L’autre matrice. La vraie mère ?

     

    Il en va ainsi de la littérature allemande. Franz Kafka, l’un des plus grands prosateurs germanophones, est Tchèque. Enfin, disons qu’il est enfant de cette Bohème austro-hongroise qui l’a vu naître (1883), dans une Prague d’une incroyable richesse multiculturelle, et pourtant nul n’aurait l’idée de le classer, comme Musil, dans les auteurs autrichiens. Ni comme un Allemand d’Allemagne, ce qu’il n’est pas. Ni comme un Tchèque nationaliste, il ne l’est pas non plus.

     

    A la vérité, Kafka est Kafka, l’un des plus puissants génies du récit dans le monde, il maîtrise le tchèque, l’hébreu, sa culture juive est remarquable, omniprésente. Il est tout cela. Mais à côté de sa relation matricielle à la ville de Prague (qui le tient entre ses griffes, « comme un petite mère »), il y a l’immensité d’une autre appartenance : la langue allemande. En elle, il s’exprime. En elle, il vit et transmet ses sentiments. En elle, il lègue une œuvre, ou plutôt son ami Max Brod nous la livre, malgré les pulsions de destruction de l’auteur.

     

    Il est convenu de résumer l’affaire en disant que Kafka est « un auteur Tchèque de langue allemande ». Depuis plus de quatre décennies, je trouve cette formule un peu courte. Mais n’en ai pas vraiment d’autre à proposer. Enfin, si : j’opterais pour « auteur universel né dans la matrice de langue allemande ».

     

    Prenez Paul Celan (1920-1970), mon poète préféré du vingtième siècle, dont je vous recommande la lecture, par exemple dans la remarquable édition bilingue NRF/Gallimard, traduction de Jean-Pierre Lefebvre. Il vient d’une famille juive de Bucovine. Au moment de sa naissance, c’est la Roumanie. Deux ans avant (1918), c’était encore l’Empire austro-hongrois. Aujourd’hui, c’est l’Ukraine. Les frontières changent, le tragique de l’Histoire passe (la famille du poète périt dans les camps), mais une matrice nous est transmise : la langue allemande.

     

    Ce germanophone de Roumanie, qui choisit en avril 1970 le Pont Mirabeau (celui d’Apollinaire) pour se jeter dans la Seine, avait pourtant toutes les raisons biographiques de rejeter toute référence à l’Allemagne, qui a anéanti les siens. Mais sa langue est l’allemand. Du premier au dernier jour. Il n’est pas un poète roumain. Il est un « poète allemand », non par la nation, mais par « la petite mère » de la langue. Si vous ne l’avez pas lu, je vous conjure de le faire : vous y découvrirez une langue simple, sobre, concise, le thème de la mort, de la disparition, de l’anéantissement, du néant, du silence. Il ne parle pas expressément des camps, mais l’univers de l’extermination est omniprésent. A tous, je vous demande de lire à haute voix, en allemand, le poème « Die Niemandsrose », dans le recueil qui porte ce nom. Deux ou trois minutes de votre vie. Vous n’aurez pas l’impression, je crois, d’avoir perdu votre temps.

     

    Sur Celan, je reviendrai dans cette Série. Sur Kafka, aussi. Sur la question autrichienne, la littérature et la musique autrichiennes. Sur le statut de la littérature suisse-alémanique, qui sera traitée en soi. Entre autres.

     

    Reste la grande question : qu’est-ce que la littérature allemande ? Celle de tout auteur germanophone, dont les millions d’Allemands établis à l’Est, hors des frontières, jusqu’au Grand Exil de 1945 (cf. le numéro 24 de cette Série) ? Ou alors, seulement les auteurs allemands « de l’intérieur » ? Mais dans ce cas, ne faudrait-il pas d’abord les définir par leur région d’origine (la Souabe pour Hölderlin ou Brecht, la Prusse pour Kleist, Fichte ou Fontane, Lübeck pour Thomas Mann, etc.) ? Ou encore, ne les considérer comme « auteurs allemands » que dans la mesure où ils auraient, d’une manière ou d’une autre, dans l’adhésion ou dans le rejet, posé la question de la nation allemande ? Trop compliqué ! La matrice qui tous les réunit, c’est la langue. Pour ma part, tout écrivain ayant pris la plume en allemand, de Luther jusqu’à Christa Wolf, d’où qu’il vînt, quelles que fussent ses origines, ses positions, constitue l’incomparable richesse de la littérature germanophone. Pour la simple raison qu’il nous transmet une langue. Et que, Roumain, Tchèque, Polonais germanophone, Allemand de la Volga, il s’exprime dans la langue de Luther, Hölderlin ou Goethe.

     

    Mais cette langue, qui depuis Luther constitue la littérature allemande moderne (je ne traite pas ici du Moyen Âge littéraire allemand, faute de compétence dans ce domaine), quelle est-elle ? Quel est son trésor ? Son héritage ? Que nous transmet-elle ? Entre la longue période de Kafka ou Thomas Mann, leurs longues phrases (parfois une page entière), le roman bourgeois prussien d’un Theodor Fontane (lire Effi Briest, 1896), les saisissantes formules de Brecht mises en musique par Kurt Weill, la relecture des Grecs chez Hölderlin, les incantations de Heiner Müller, la grande prophétie de Cassandre revue par Christa Wolf (1983), la finesse viennoise d’un Schnitzler ou d’un Hofmannsthal, le picaresque déroutant d'un Günter Grass, et des centaines d’autres témoignages humains et littéraires, quelle communauté ? Quelle Gemeinschaft ? Quel lien d’appartenance ? Quel fil invisible ?

     

    A ces questions, je n’ai pas la réponse. Le salut viendra de l’immersion. Avec une double sensibilité : à l’Histoire, et à la langue. Dans le monde germanique, l’une est inséparable de l’autre. Entreprendre une Histoire des Allemands sans se plonger dans la langue, est une vaine tentative. Sans parler de la musique. Mais c’est encore là une toute autre affaire. A mon sens, la première de toutes. Nous y reviendrons largement, dans les années qui viennent. Excellente journée à tous !

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Vous venez de lire le numéro 28, publié ce matin - Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :

    https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .

    La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.

  • Série Allemagne - Numéro 27 - Sturm und Drang (1770-1785) : Tempête et Pulsion sur les âmes allemandes !

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    L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 27 – Sturm und Drang : trois syllabes incroyablement sonores, pour un mouvement littéraire qui, juste avant la Révolution française, enflamme les Allemagnes. On le confond souvent avec le Romantisme, et… on n’a peut-être pas tort !

     

    Samedi 18.07.20 - 16.57h

     

    « Freiheit, Freiheit ! » : lorsque le rideau tombe sur les dernières paroles du Ritter Götz von Berlichingen, de Goethe, un soir de juillet 1971 à Nuremberg, où je passe l’été, je suis loin de me douter, à juste treize ans, que je viens d’assister à une pièce emblématique du Sturm und Drang ! J’ai aimé la représentation, vaguement compris l’action, tout au plus saisi qu’il s’agissait d’affranchissement, du combat d’un homme contre les codes de son époque. Mais décidément, c’était trop tôt, dans ma vie, pour saisir tout l’enjeu qu’un jeune auteur de 24 ans avait entendu donner, dans la société qui était la sienne, les Allemagnes en 1773, au combat d’un Chevalier du début du seizième siècle. Je n’avais même pas entendu parler de Werther, best-seller absolu, offert au monde ébloui l’année suivante. Inutile de dire que je n’avais jamais entendu parler du Sturm und Drang !

     

    Sturm und Drang : on pourrait traduire par Tempête et Passion, je préfère pour ma part Tempête et Pulsion, à vrai dire il est très difficile de passer en français le génial condensé sonore de ces trois syllabes : elles nous mettent la pression, comme le couvercle d’une marmite à vapeur ! Nous sommes dans les Allemagnes (j’insiste sur le pluriel : le Saint-Empire ne sera dissous qu’en 1806, après la victoire de Napoléon à Iéna et le début de l’Occupation de la Prusse), dans la seconde partie du dix-huitième, un siècle capital pour l’Histoire allemande, celui de sa renaissance, après le long désert ayant succédé à la Guerre de Trente Ans (1618-1648).

     

    On date le Sturm und Drang, généralement, des années 1770 à 1785, certains poussant jusqu’à 1790. Une période d’une incroyable effervescence dans l’univers littéraire germanique : le jeune Goethe, Herder, puis Schiller, celui des Räuber, les Brigands, sa première grande pièce (1781). On confond souvent (et une certaine postérité a entretenu cela) le Sturm und Drang avec le Romantisme, venu plus tard. Et il est vrai que les points communs sont nombreux : rupture avec le rationalisme des Lumières (encore que cette thèse soit contestée au vingtième siècle par Georg Lukacs, le grand critique hongrois, auteur de la Théorie du Roman), champ libre aux sentiments, retour aux grands récits germaniques, début d’un immense travail lexical sur les mots allemands, qui sera, plus tard, l’œuvre des Frères Grimm, auxquels nous avons déjà consacré un épisode, le no 20 (30 août 2015), de cette Série.

     

    Dans ces années-là, qui précèdent immédiatement une Révolution française dont les conséquences sur les Allemagnes seront immenses, que se passe-t-il ? On prend congé des Lumières. L’Aufklärung vient de jouer un rôle considérable, pendant des décennies, sur les esprits allemands. Elle les a ouverts. Elle les a mis en connexion avec le reste du monde, notamment la France. Elle a donné à l’Allemagne le très grand philosophe Moses Mendelssohn, grand-père du musicien, mais aussi bien sûr Kant et Lessing. Mais voilà, autour de 1770 (l’année de naissance d’une comète en perpétuelle Révolution formelle appelée Beethoven), certains esprits allemands aspirent à autre chose. Radicalisation des Lumières, c’est une école. Rupture avec les Lumières, c’en est une autre, pour laquelle j’ai toujours penché, d’abord sous l’influence de grands professeurs, puis par mes lectures.

     

    Avec le Sturm und Drang, on est moins préoccupé de démontrer (même si la grande école de la philosophie allemande demeure) que de montrer. On raconte des destins humains ! Götz se bat pour la liberté. Werther, débordé par sa passion, se suicide, et son acte fait pleurer l’Europe entière. Les Brigands de Schiller défient la morale et la convenance. On pose le drame (action théâtrale) comme fondement du récit. On germanise les figures. On commence à puiser dans le Moyen Âge allemand. On révoque l’influence française, notamment dans le théâtre. On travaille sur les mots allemands, on en invente. Difficile de ne pas voir dans le Sturm und Drang une absolue, une irrévocable préfiguration du Romantisme !

     

    La grande question : le Sturm une Drang est-il seulement un mouvement littéraire, ou faut-il le comprendre aussi comme un mouvement politique ? La postérité s’est déchirée sur le sujet. Les uns voient dans ce premier grand recours aux mythes allemands l’esquisse de la renaissance nationale qui prendra forme à Berlin, en 1807, avec les Discours à la Nation allemande de Fichte (cf. No 2 de notre Série, 21 juillet 2015). D’autres estiment que ce lien de filiation est prématuré. Une chose est sûre : si le Sturm und Drang n’est pas encore le Romantisme, certains de ses aspects y ressemblent diablement ! Nous parlerons en tout cas, au sens littéraire, pour notre part, d’une préfiguration.

     

    Et s’il n’y avait qu’une œuvre à retenir ? Werther, bien sûr ! Pour sa forme épistolaire, qui rappelle Rousseau. Pour la puissance dévastatrice des sentiments. Pour le tragique du destin. On dit souvent de Goethe qu’il est un esprit universel, avec tout le risque d’ennui que cette formule peut comporter. Mais au milieu d’une œuvre immense, à cheval sur deux siècles, ce roman si frappant, si singulier, si sincère, a fait du jeune auteur, en attendant l’Olympe, l’un des rares capables de toucher universellement le cœur des lecteurs. Et aussi, celui des lectrices ! Excellente lecture à tous !

     

     Pascal Décaillet

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :

    https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .

    La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.