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Commentaires GHI - Page 38

  • Oui, l'école primaire m'a rendu heureux !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 28.02.24

     

    J’ai eu la chance immense, là où j’étais, d’avoir un enseignement exceptionnel à l’école primaire. A l’âge de sept ans, en 1965, j’ai sauté la deuxième, et me suis retrouvé directement en troisième primaire. Là où j’étais, on l’appelait la dixième. J’ai adoré l’école. Au point que, dès l’enfance, j’ambitionnais d’y passer toute ma vie : d’abord, comme élève, puis, dans une sorte de continuité naturelle, comme prof. J’aimais l’école, j’aimais ma famille. Et je vouais un culte à l’extraordinaire mappemonde lumineuse, avec tous les pays du monde, toutes les capitales, reçue le jour de mes sept ans. Je me figurais la vie comme une immense bibliothèque. Et d’ailleurs, ces pays, sur le globe enluminé reçu pour mon anniversaire, je les imaginais parfaits. L’idée même qu’il pût s’y dérouler des guerres, des horreurs, m’était totalement étrangère. La Chine était rose, le Brésil était jaune, la France était bleue et grise, l’immense Russie était verte, jusqu’à la mer du Japon. Heureuse enfance, où chaque nation se signale par une couleur, et où la simple caresse de cette mappemonde, si maternante, donnait aux bouts des doigts des frissons de chaleur, ceux générés par l’ampoule de l’intérieur.

     

    Ces années du primaire, entre 1965 et 1969, ont vu passer Mai 68, à quelques semaines de mes dix ans. J’écoutais beaucoup la radio, je comprenais que mes aînés, les étudiants de vingt ans, n’étaient pas contents. Je peinais à les comprendre, parce que moi, l’école me rendait heureux. Et puis, il était totalement exclu, pour moi, de contester le Général de Gaulle, que ma mère adorait, donc moi aussi. Le miracle de ces années, c’était d’abord celui de la poésie. Chaque semaine, un poème nous était dicté (pas question de photocopies, à l’époque !). Et nous avions quatre jours, sur notre propre écriture, pour l’apprendre par cœur. Il s’agissait de le réciter « à haute et intelligible voix » (cette expression me terrorisait, tout en m’excitant follement), debout près de l’institutrice, devant toute la classe. Il fallait respecter la prosodie, respirer juste, tenir compte de chaque virgule, donner au « e » muet son statut pour que le nombre de vers y soit. C’était, au fond, très proche de la musique. Dans cet exercice de haute voltige, le « Héron » de La Fontaine est un pur chef d’œuvre, autour du souffle, de la syllabe tue, et celle que l’on dit.

     

    Et puis, il y avait l’Histoire, en l’occurrence celle de France. Un manuel, magique, un grimoire. Les rois, les reines, les batailles, les traités, le régicides écartelés, comme Ravaillac. C’était du Michelet, pour enfants. C’était narratif à souhait, rebondissant d’événements, tout ce que l’École des Annales, au début du vingtième siècle, avait condamné. Mais moi, j’adorais. Cette école, surgie des hussards de Péguy, était-elle meilleure que celle d’aujourd’hui ? Chacun jugera. Mais une chose est sûre : je l’ai aimée, passionnément. Et le vent, du poète belge Emile Verhaeren, « le vent sauvage de novembre », siffle encore, plus que jamais, dans mes oreilles.

     

    Pascal Décaillet

  • Confiance en l'école

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 21.02.24

     

    Jeudi 15 février, Anne Hiltpold, ministre genevoise de l’Instruction publique, présentait sa feuille de route pour l’avenir de l’école, à Genève, d’ici 2028. En clair, son calendrier de législature. Horaire continu au primaire, meilleure orientation au Cycle, lisibilité dans les filières du secondaire supérieur, début de l’apprentissage plus tôt dans la vie, et pourquoi pas à 15 ans, comme à l’époque, aussitôt après le C.O. Enfin, apaisement du climat scolaire, retour à l’autorité des profs.

     

    Chacun peut contester l’une ou plusieurs de ces mesures. Mais il y a là un programme, une vision, une volonté d’action clairement annoncée. Le reflet, aussi, de la personnalité très pragmatique de la magistrate. Pas de grands mots, pas de mantras, style « inclusif », non des mesures scolaires et sociales pour notre époque, avec l’évolution des modes de vie. Qui, dans la vie active, aujourd’hui, rentre encore chez soi pour manger à midi ? Assurément, une minorité.

     

    Je l’ai dit, je le répète, cette magistrate discrète et rigoureuse, avec un sens pratique très développé, peu encline aux querelles byzantines, doit être soutenue. Non en acceptant toutes ses mesures, tout cela se discute en démocratie. Mais soutenue, sur l’essentiel. Elle doit sentir, sur les questions scolaires, que la population est avec elle. Cela porte un très beau nom : cela s’appelle la confiance.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Chacun de nous est un royaume

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 21.02.24

     

    La vie privée, ça existe. Il y a des domaines publics, et puis la part que chacun d’entre nous a le droit de revendiquer pour soi. Tracer une ligne. Soit pour se protéger, soit pour protéger les siens, mais plus fondamentalement parce qu’il existe, en chacun de nous, une boîte noire d’intimité. Celui qui veut la rendre publique, pourquoi pas, c’est son affaire, à ses risques et périls. Mais le droit à la garder pour soi doit être total, inaltérable. C’est l’un des fondements de notre civilisation. Il est des êtres pour lesquels l’intrusion de l’Autre, sous toutes les formes que peut revêtir cette altérité, n’est pas nécessairement bienvenue. Il est des humains moins grégaires que d’autres, voire franchement solitaires. Il faut respecter cela.

     

    Il en est même qui traversent la vie, comme des étrangers sur la terre, sans avoir vraiment contact avec le reste des humains. Qui sommes-nous pour les condamner ? Que savons-nous de leurs murs, leurs tréfonds, leurs carapaces de protection ? La société des grégaires n’a pas à imposer ses normes aux timorés du contact. Elle doit les respecter, comme des frères humains, ou sœurs humaines. Chacun sa vie, chacun son histoire, chacun ses mystères, ses secrets, sa part de silence, ou de non-dit. Non, tout n’est pas public, tout ne baigne pas dans la béatitude lumineuse du grand jour. En chacun de nous, le mystère d’une nuit. Chacun de nous a le droit de garder pour soi ce royaume des ombres. Chacun est libre. De parler, ou se taire. Se montrer, ou pas. Entrer en contact avec l’Autre, et puis peut-être pas. Nous devons respecter cela, vous m’entendez ?

     

    Nous devons réhabiliter la notion de vie privée. Réinstaurer des barrières. Ensuite, libre à chacun de les ouvrir – ou non – à ceux de son choix. Nous avons tous, dans nos vies, des moments d’ouverture, et d’autres, plus cloisonnés. Je ne prône ici ni la vie monastique, ni l’ermitage d’un Siméon le Stylite, qui vivait seul au somment de sa colonne, je vous renvoie au magnifique « Simon du Désert », de Luis Buñuel, 1965. Je ne fais l’éloge d’aucune austérité de solitude qui serait imposée par la société des humains, mais je demande le respect de celle qui est librement consentie. Car certaines solitudes sont plénitudes, tout comme, à l’inverse, la mondanité est désespérément vide. Le solitaire n’est peut-être pas si seul, le joyeux grégaire pas si entouré. Nous sommes, nous les humains, des êtres complexes, nous avons nos vies, nos souffrances, nos cicatrices, nos ruptures, nos regrets. Oui, les Regrets, comme ceux du poète Joachim Du Bellay, vous savez, celui qui préférait sont Petit Liré, en Pays de Loire, aux merveilles de Rome, Tibre latin, Mont Palatin.

     

    Tout humain est nostalgie. A chacun, sa part d’intimité. Secrets, emportés dans la tombe. Silences. C’est cela, au sens très puissant, la part privée de l’être. Chacun de nous est un royaume. Un trésor perdu. Dans la nuit.

     

    Pascal Décaillet