Commentaire publié dans GHI - Mercredi 21.02.24
La vie privée, ça existe. Il y a des domaines publics, et puis la part que chacun d’entre nous a le droit de revendiquer pour soi. Tracer une ligne. Soit pour se protéger, soit pour protéger les siens, mais plus fondamentalement parce qu’il existe, en chacun de nous, une boîte noire d’intimité. Celui qui veut la rendre publique, pourquoi pas, c’est son affaire, à ses risques et périls. Mais le droit à la garder pour soi doit être total, inaltérable. C’est l’un des fondements de notre civilisation. Il est des êtres pour lesquels l’intrusion de l’Autre, sous toutes les formes que peut revêtir cette altérité, n’est pas nécessairement bienvenue. Il est des humains moins grégaires que d’autres, voire franchement solitaires. Il faut respecter cela.
Il en est même qui traversent la vie, comme des étrangers sur la terre, sans avoir vraiment contact avec le reste des humains. Qui sommes-nous pour les condamner ? Que savons-nous de leurs murs, leurs tréfonds, leurs carapaces de protection ? La société des grégaires n’a pas à imposer ses normes aux timorés du contact. Elle doit les respecter, comme des frères humains, ou sœurs humaines. Chacun sa vie, chacun son histoire, chacun ses mystères, ses secrets, sa part de silence, ou de non-dit. Non, tout n’est pas public, tout ne baigne pas dans la béatitude lumineuse du grand jour. En chacun de nous, le mystère d’une nuit. Chacun de nous a le droit de garder pour soi ce royaume des ombres. Chacun est libre. De parler, ou se taire. Se montrer, ou pas. Entrer en contact avec l’Autre, et puis peut-être pas. Nous devons respecter cela, vous m’entendez ?
Nous devons réhabiliter la notion de vie privée. Réinstaurer des barrières. Ensuite, libre à chacun de les ouvrir – ou non – à ceux de son choix. Nous avons tous, dans nos vies, des moments d’ouverture, et d’autres, plus cloisonnés. Je ne prône ici ni la vie monastique, ni l’ermitage d’un Siméon le Stylite, qui vivait seul au somment de sa colonne, je vous renvoie au magnifique « Simon du Désert », de Luis Buñuel, 1965. Je ne fais l’éloge d’aucune austérité de solitude qui serait imposée par la société des humains, mais je demande le respect de celle qui est librement consentie. Car certaines solitudes sont plénitudes, tout comme, à l’inverse, la mondanité est désespérément vide. Le solitaire n’est peut-être pas si seul, le joyeux grégaire pas si entouré. Nous sommes, nous les humains, des êtres complexes, nous avons nos vies, nos souffrances, nos cicatrices, nos ruptures, nos regrets. Oui, les Regrets, comme ceux du poète Joachim Du Bellay, vous savez, celui qui préférait sont Petit Liré, en Pays de Loire, aux merveilles de Rome, Tibre latin, Mont Palatin.
Tout humain est nostalgie. A chacun, sa part d’intimité. Secrets, emportés dans la tombe. Silences. C’est cela, au sens très puissant, la part privée de l’être. Chacun de nous est un royaume. Un trésor perdu. Dans la nuit.
Pascal Décaillet