Commentaire publié dans GHI - Mercredi 17.01.24
Dresde, Hambourg, Berlin, Cologne, Nuremberg, et des centaines d’autres villes allemandes, rayées de la carte. En Italie, la dévastation politique, économique, morale. En France, des villes entières de Normandie devenues cendre et poudre, dans les bombardements alliés qui ont suivi le Débarquement du 6 juin 1944. Ne parlons pas de la Pologne, dévastée. La Belgique, les Pays-Bas. Oui, l’année 1945 fut terrible. Oui, elle fut, notamment pour l’Allemagne, cette Année Zéro qui, aux esprits les plus avisés, ceux qui lisent des livres d’Histoire plutôt que des romans de gares, rappelait une autre dévastation : celle de 1648, à l’issue de la sanglante Guerre de Trente Ans. En ce milieu du dix-septième siècle, les Allemagnes n’existent plus. Rayées de la carte. Si cette période vous intéresse, je vous donne un livre à lire, absolument : « Les Aventures de Simplicius Simplicissimus », une sorte de roman pré-picaresque publié en 1669 Par Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen. Les Allemagnes mettront un siècle à se relever de ce désastre : il faudra attendre ce très grand roi que fut Frédéric II de Prusse (1740-1786).
1945 : le désastre des nationalismes, comme l’avait déjà été 1918. De longues années, en Allemagne et partout en Europe, à déblayer les ruines, ne pas toujours manger à sa faim, grelotter l’hiver, puis lentement reconstruire. C’est l’époque, par exemple, du néo-réalisme italien, le cinéma d’un Roberto Rossellini, sublime témoin de ces années de misère. C’est l’époque du Riz amer (Riso amaro), de Giuseppe De Santis. Les nations, on ne veut plus en entendre parler, on les assimile aux armées, à la haine, aux souffrances, au deuil. On commence à parler d’Europe, d’abord pour se chauffer (avec le charbon allemand !), puis pour favoriser les échanges commerciaux, celui de l’acier par exemple. Et puis, doucement, entre l’Allemagne et la France, on commence à parler de « réconciliation » (Versöhnung). Oui, cette Europe-là, celle du début, celle du Traité de Rome (1957), était porteuse d’espoirs. Après la mort, elle proposait la vie.
67 ans plus tard, la structure née de ce beau rêve, d’abord appelée « Communauté européenne », aujourd’hui « Union européenne », ne fait plus rêver personne. Les Six du départ sont aujourd’hui Vingt-Sept, la machinerie administrative de Bruxelles étouffe les peuples, on a voulu oublier les nations au profit d’un conglomérat sans âme ni passé, sans Histoire, sans mémoire commune. On a eu tort. Le 9 juin prochain, les élections européennes pourraient bien voir progresser le camp du refus. Les peuples ne disent pas non à l’Europe, c’est notre continent, nous l’aimons. Mais ils disent non à la machine. Ils veulent respirer. Ils veulent qu’on les écoute. Ils ne veulent pas la guerre, ils veulent juste retrouver leurs identités nationales. Leurs lieux de mémoire. Leurs repères historiques. Leurs langues, leurs dialectes. Leurs textes fondateurs. Ils veulent l’Europe, mais celle des Nations. Pas celle des chimères.
Pascal Décaillet