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  • Le boomerang et l'apprenti-sorcier

     
    Sur le vif - Lundi 17.06.24 - 10.15h
     
     
    Tout le pari politique d'Emmanuel Macron depuis sept ans, c'est la création d'un grand espace du centre, à vrai dire fort libéral d'inspiration, pour enrayer les extrêmes. Ce fut, à peu près, le pari de Giscard en 1974. Il y a aussi de rares exemples sous les Troisième et Quatrième Républiques.
     
    La droite nationale, Macron la voit monter, d'année en année. Il a eu Marine Le Pen contre lui au second tour de 2017, puis une nouvelle fois en 2022, avec un résultat canon. Il est assez intelligent, aussi, pour constater la force de frappe de La France Insoumise, de l'autre côté.
     
    Le problème, c'est que la France n'a jamais été une nation centriste. Pas plus qu'une nation libérale, hormis de brèves périodes, sous le Second Empire ou sous Tardieu. La France est une nation jacobine, où le dirigisme d'Etat est une seconde nature. Même Giscard était dirigiste ! De même, la structure même de la Cinquième République favorise la bipolarité droite-gauche. Notamment par le scrutin majoritaire à deux tours, qui exige des regroupements au second.
     
    En dissolvant, sur un coup de tête ou d'égo, l'Assemblée Nationale, Macron s'est imaginé désintégrer tout le monde dans un premier temps (ce qui fut assez bien réussi les premiers jours, côté LR ou Zemmour), puis ramasser les restes, et se figurer lui-même comme recours.
     
    Le calcul est en train de se retourner contre lui. Les deux forces puissamment antagonistes, RN et Front populaire, risquent bien, pour l'une ou pour l'autre, au soir du 7 juillet, de s'imposer. Avec soit un gouvernement Bardella, soit un gouvernement de gauche. Si l'un des ces deux scénarios se réalise, alors Emmanuel Macron aura tout perdu. Il pourra certes rester jusqu'en 2027, jouer la carte Mitterrand 86-88, son aura sera défaite, Car Mitterrand jouait, face à son Premier Ministre de cohabitation Jacques Chirac, le vieux sage, pour mieux se faire réélire en 1988, coup de génie réussi. Mais Macron devra de toute manière quitter l’Élysée en 2027.
     
    Dans tous les cas, un Président isolé, rattrapé par l'Histoire. Rattrapé par un système dont il avait voulu être l'apprenti-sorcier, mais qui se refermera sur lui.
     
    La dissolution pour motif de convenance, comme en 1997, se retourne très vite contre son auteur. On ne joue pas impunément avec les institutions, quand on est réputé en être le gardien suprême.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le Palais des Glaces, dans la montagne

     
    Sur le vif - Dimanche 16.06.24 - 16.04h
     
     
    Une surexcitation générale, depuis des mois. Une mise en scène d'opéra géant, signée Ignazio Cassis. Un ballet de Super-Pumas qui vaut mille résiliations de l'Accord de Paris sur le climat. Un demi-millier de journalistes, le cirque des accréditations, des dizaines de milliers de selfies, des sourires entre ministres, des accolades entre chefs d'Etat et de gouvernement. C'est fou ce qu'on peut s'aimer, entre puissants, ou feindre de s'aimer.
     
    Un opéra géant. Le livret pourrait être de Thomas Mann, présence majestueuse de la Montagne, unité de lieu en huis-clos, invisible gangrène du pouvoir, maladie du monde, veille de cataclysme, tout y est.
     
    De la Conférence du Bürgenstock, rien de concret n'est sorti. On n'avait pas invité les Russes, on est demeuré entre-soi, entre gentils Occidentaux, sous le parapluie atlantiste. Nulle percée dans l'émergence du seul dialogue qui vaille : celui qui s'établit, non entre gens d'accord les uns avec les autres, mais entre antagonistes.
     
    Alors certes, pour la carte postale, la Suisse a joué à merveille la carte de l'hôtellerie. Elle a montré qu'elle pouvait donner dans le gigantisme pseudo-diplomatique. Mais de concret, rien. Le néant.
     
    Oh, ils vont tous dire que c'était formidable. M. Cassis et Mme Amherd assureront le service après-vente, les médias atlantistes pourront dire "J'y étais". Mais où est le fond ? Où est la Russie, où est sa voix, où est sa position ? On a dialogué seuls, entre-soi, entre gens bien, présentables. On dira : "J'y étais, j'ai tournoyé dans le Palais des Glaces". En omettant juste un détail : d'un miroir l'autre, il ne s'est rien passé.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Front populaire 2024 : il manque juste un Léon Blum

     
    Sur le vif - Samedi 15.06.24 - 13.44h
     
     
    La gauche française ne manque pas d'air : s'emparer du nom mythique "Front populaire", pour tenter de couvrir ses faiblesses, ses divisions, son absence totale de cohérence, il fallait oser.
     
    Le Front populaire, en 36, c'est l'alliance entre la SFIO (socialistes), les communistes et les radicaux. Trois forces majeures, dont le parti historique qui avait la Troisième République, depuis le tout début du vingtième siècle, le parti radical. Mais le Front populaire, auquel j'ai consacré le volet d'une Série historique il y a trente ans à la RSR, c'est avant tout un homme, d'exception : Léon Blum.
     
    Un homme, certes, au milieu d'autres hommes, de qualité, dans les trois partis gouvernementaux. Mais un homme qui, par sa visibilité, son intelligence, sa culture historique et littéraire époustouflante, et avant tout son humanisme profond, a émergé. Au point d'incarner à lui-seul, devant l'Histoire, le souvenir du Front populaire, son legs, les congés payés, la réduction du temps de travail, les premières vacances à la mer pour des millions de Français. Léon Blum est l'un des plus grands politiques français du vingtième siècle.
     
    En France, en 2024, les gauches, après s'être étripées, tentent l'union, pour l'élection. Tout cela suinte la précipitation, pour obtenir des sièges. Tout cela camoufle des divisions idéologiques irréconciliables. Tout cela manque de sérieux.
     
    Tout cela manque surtout d'une incarnation, par une figure de proue. Jean-Luc Mélenchon, malgré ses qualités d'orateur, est tout sauf un rassembleur, il vient encore de le prouver en écartant de l'investiture de vieux camarades de combat. Chez les socialistes, et même chez les communistes avec l'excellent Fabien Roussel, nul ne peut sérieusement prétendre fédérer toutes les sensibilités disparates de la gauche.
     
    La vérité, c'est que, sans une figure de l'envergure d'un Léon Blum, le "Front populaire" 2024 est promis à retrouver très vite ses ferments de dispersion internes. Or, nul n'émerge. Mélenchon exaspère la terre entière. Le candidat à la première circonscription de Corrèze François Hollande devra faire acte d'une foi très ardente pour nous convaincre de sa résurrection. Quant au bobo européiste Glucksmann, si cet homme-là incarne les valeurs profondes et populaires de la gauche française, alors même un mulet des Monts d'Ardèche pourra, un jour prochain, accéder au pontificat.
     
     
    Pascal Décaillet