Commentaire publié dans GHI - Mercredi 06.09.23
Le poison de la politique, ce sont les moralistes. Ils sont hélas de plus en plus nombreux, infestent les partis de gauche, se prennent pour des prélats en chaire, des inquisiteurs, des directeurs de conscience. Chez les Verts, ils nous parlent du climat en nous engueulant, en nous traitant d’inconscients, voire de « criminels » (ce qui mérite une réponse pénale). Chez les socialistes, ils nous recrachent, sans la moindre distance critique, toutes les théories à la mode, autour des questions de genre, de couleur de la peau, de relecture de l’Histoire à la sauce wokiste, sans la moindre restitution du contexte. Les moralistes sont le plus souvent des ignares : moins on connaît, plus servilement on se range derrière la première bannière venue, battue par le vent du conformisme.
La politique, ça n’est pas la morale. Ce sont deux ordres différents. On peut être cynique, sans le moindre scrupule, et servir avec génie le bien public. A l’inverse, et c’est si courant, tant de gens « de bien » échouent dans l’action politique : elle exige d’autres qualités, tout simplement. Je ne dis pas ici que la politique exige l’immoralité. Il faudrait plutôt dire « l’amoralité », avec cet alpha privatif qui souligne la stricte séparation des ordres. « Qui veut faire l’ange, fait la bête » : on connaît, dans la sublime concision de son style, le résumé lapidaire de Blaise Pascal.
Oui, les moralistes ont parasité les partis de gauche. Du coup, les gens intelligents s’en vont. Ils claquent la porte de ces formations dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus. Ils étaient venus dans un parti pour lancer des idées, servir la Cité, réformer, progresser. Ils se sont retrouvés côtoyant des Savonarole en sandales et pullovers, grands clercs de la religion du vélo, Philippulus de l’Apocalypse climatique, suppôts imbéciles d’un impérialisme américain qu’ils sont incapables de déceler dans l’affaire ukrainienne. Bref, des naïfs. De gens qui devraient militer dans des paroisses, mais n’ont strictement rien à faire dans ce domaine de l’Aufklärung, entendez la pensée rationnelle, qui s’appelle la politique.
Oui, les portes commencent à se claquer. L’excellent Youniss Moussa, ancien député à Genève, jeune et passionné par la chose publique, vient de quitter avec fracas le PS, à cause des moralistes. D’autres ont quitté les Verts, pour aller chez les Verts libéraux, avec qui on peut parler climat, transition énergétique, sans immédiatement se faire menacer de damnation. Ces mêmes Verts qui pourraient bien, le 22 octobre prochain, aux élections fédérales, recevoir la sanction de leurs tonalités de défenseurs de la Doctrine de la foi.
La politique, ça n’est pas la morale. C’est d’abord une connaissance profonde de l’Histoire, des textes, des langues, des visions antagonistes. Entrer dans la logique des méchants comme dans celle des gentils, dans celle des bourreaux comme dans celle des victimes, dans celle des vainqueurs comme dans celle des vaincus. Moralistes, foutez-nous la paix : allez prêcher dans les déserts de l’ignorance.
Pascal Décaillet