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  • Eloge de la langue allemande

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.12.22

     

    Pendant plusieurs années, avant d’être journaliste, j’étais prof d’allemand. J’ai pratiqué ce métier avec ardeur. Je n’ai, à vrai dire, jamais eu l’impression de « travailler », avec toute la contrainte que peut porter ce mot : enseigner une langue vivante, à la fois décortiquer sa grammaire et faire parler les élèves, il y a dans ce chantier tant d’inattendu, de joie, d’échanges, que le processus relève de la passion. Quand je croise d’anciens élèves dans les rues de Genève, ils me saluent en allemand, nous rions, c’est la vie qui passe, la vie qui va.

    La langue allemande, avec l’italien et quelques autres, est l’une des plus belles du monde. Il faut l’aborder, à l’école, en donnant toute puissance à sa musicalité : lire des textes à haute voix, tous ensemble, lire des poèmes en cheminant dans la juste métrique et la juste durée (comme en musique) de chaque syllabe, passer à ses élèves des Lieder, Schubert, Brahms ou Mahler, ou même Hindemith, avec le texte sous les yeux. La langue, c’est la vie. Un poème lu à haute voix (ou mieux : chanté), c’est la consonne et la voyelle sublimées par le souffle surgi de nos entrailles. La grammaire est intellectuelle, il en faut comme d’un solfège, mais la langue elle-même est pulsion vitale.

    Je ne supporte pas d’entendre que l’apprentissage de l’allemand serait trop complexe, ingrat, inaccessible. C’est faux. Il existe un chemin vers la connaissance de la langue qui, certes exigeant, n’en est pas moins jouissif. Pour cela, il faut mettre en avant la langue elle-même, dans ce qu’elle a d’imprévisible et de sensuel. Prenez la traduction de la Bible par Luther en allemand de son temps (1522), faites lire le texte aux élèves sur une Cantate de Bach, ou un Psaume, ils sentiront la force de ce qui surgit. Passez-leur ce moment inimaginable de l’Elektra (1903) de Richard Strauss, livret du poète viennois Hugo von Hofmannsthal, où Electre reconnaît son frère Oreste, ils ne l’oublieront jamais.

    L’Histoire de l’Allemagne, c’est l’Histoire de la langue allemande. Plurielle, dialectale, décentralisée, comme d’ailleurs la langue grecque, dont elle est si proche. Avec des inventeurs de mots : Luther, oui, et puis quatre siècles après lui, Bertolt Brecht (1898-1956), dont il faut absolument faire lire les Lehrstücke à haute voix par les élèves, chacun tenant un personnage, un autre encore pour le chœur, et pourquoi pas chanter ensemble les moments musicaux de l’immense compositeur Kurt Weill ?

    On dit de l’allemand qu’elle n’est pas une langue facile. Mais quelle langue est facile ? Le grec, avec la complexité de ses formes verbales ? L’italien, avec ses nuances raffinées de grammaire ? Le français, pour un étranger ? Je propose qu’on chemine vers la langue comme à un rendez-vous d’amour. Dans les veines, de l’inquiétude. Dans le cœur, un irrépressible besoin d’ouverture. Au fond de l’âme, la pulsion de trouver les mots. Les syllabes. Le souffle. Le rythme. Pour rompre le silence. Et pourquoi pas, soyons fous, passer à l’aveu.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Alémaniques désormais minoritaires !

     
    Sur le vif - Mercredi 07.12.22 - 10.29h
     
    La Suisse est une magnifique démocratie, sans doute la plus belle du monde. Ce matin, à Berne, l'Assemblée fédérale a élu au gouvernement de notre pays le Bernois Albert Rösti et la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider. A ces deux nouveaux conseillers fédéraux, il faut souhaiter bonne chance. Ils sont, l'un et l'autre, compétents et enthousiastes. Ils devront être des combattants, monter au feu : les temps sont difficiles.
     
    Et c'est justement parce que les temps sont durs qu'il fallait élire deux tempéraments. Ce sont deux personnages sympathiques. D'habitude, à mes yeux, ce critère ne devrait pas particulièrement jouer : jugeons les élus à ce qu'ils FONT, non sur ce qu'ils SONT. Mais là, au fond, j'ai l'impression que le pays a besoin de cela. Pour affronter la tempête, il faut du tempérament, du courage, mais aussi du sourire, de l'humour. En écrivant ces lignes, je pense à Jean-Pascal Delamuraz : il avait ces qualités.
     
    Autre chose, mais c'est important : la Suisse est un pays d'équilibres. Avec cette élection d'un Bernois et d'une Jurassienne, qui viennent s'ajouter à un Vaudois, un Fribourgeois,, une Valaisanne, jamais la Suisse occidentale n'a eu un tel poids dans l'Histoire de la Confédération. Jamais la Suisse latine non plus, avec le Tessinois Cassis. Une seule personne, désormais, provient d'un Canton alémanique non-bilingue : la Saint-Galloise Karin Keller-Sutter.
     
    Et là, désolé si je jette un froid en ce matin de fête pour les Romands, mais ça ne va pas. La Suisse alémanique existe, elle est nettement majoritaire dans la population suisse, la voilà très nettement sous-représentée. La voix aux minorités, ça ne doit tout de même pas être l'effacement de la majorité.
     
    Je termine par un cri du coeur. J'ai obtenu le droit de vote le 20 juin 1978. Mon premier vote, en septembre de la même année, fut pour dire un oui franc et massif au nouveau Canton du Jura. J'aime cette terre amie, ses habitants, son combat. Ils ont désormais une conseillère fédérale. J'en suis heureux, ému. La Suisse est une petite fleur fragile. Elle a besoin de notre amour pour prospérer.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • L'Etat. Pas la vie privée.

     
    Sur le vif - Mardi 06.12.22 - 14.26h
     
     
    La politique, ce sont les affaires de l'Etat. Les affaires de chaque Etat, pris séparément. Il n'existe pas de lois universelles.
     
    Il existe une croissance historique de la France, une autre pour l'Allemagne, une autre pour l'Italie, une autre pour la Suisse. Chacune de ces Histoires nationales doit être étudiée, à fond, intrinsèquement, dans son évolution propre, idiomatique. Il n'y a nulle leçon philosophique, encore moins (quelle horreur !) morale à en tirer. Il faut juste considérer ce qui s'est passé, confronter les sources, les témoignages, établir les causes et les conséquences. Comme le fait l'historien grec Thucycide, dans sa Guerre du Péloponnèse, il y a vingt-cinq siècles.
     
    La politique : les affaires de l'Etat. La guerre ou la paix. La prospérité ou la pauvreté. La puissance économique ou la faiblesse. Le rayonnement culturel, intellectuel, ou l'abaissement.
     
    Les affaires de l'Etat, et non la vie privée des gens. Sous couvert d'impératif "sociétal", la parole publique a pris la détestable habitude de s'immiscer dans le chemin d'intimité de nos vies. Le sexe. L'alimentation. L'argent. Et jusqu'au rapport à l'écriture (qui relève pour moi de la part la plus privée) : on nous ensemence la phrase de germes de mauvaises herbes, points médians, tirets inutiles, redondance de désinences, "toutes et tous", et autres détritus.
     
    Tenez, il n'est absolument pas normal, par exemple, que les Chambres fédérales, où doit se décider le destin de la Suisse, en soient réduites à statuer sur la présence, ou non, de "publicités tous-ménages" dans nos boîtes aux lettres. Oh, je suis le premier à m'énerver de ce fatras de papier gaspillé. Mais cela ne regarde pas l'Etat. Cela concerne les efforts publicitaires décidés par une boîte privée pour faire connaître ses services, et ma libre décision de monter ces prospectus chez moi, ou de les classer verticalement, dans la case poubelle, au rez-de-chaussée. En aucun cas la Confédération ne doit statuer sur ces calembredaines de notre quotidien. Ni le Canton. Ni la Commune.
     
    Seulement voilà. Pour un esprit peu préparé à la vie publique, donc peu rompu aux lectures historiques, qui seules peuvent nous y mener, il est plus aisé de pérorer sur le "sociétal" que sur les sujets de fond des domaines régaliens. Alors, doucement, par le défaut de formation d'élus et de médiateurs qui se croient exonérés de se renseigner sur ce qui s'est passé avant leur naissance, on se met à décréter le bien et le mal, le dicible et l'interdit, le présentable et le maudit, le comestible et le jetable. On remplace la politique par la morale, la lucidité par l'obédience aveugle, la liberté de conscience individuelle par l'obligation d'adhésion.
     
    Cette profusion des moralistes à la petite semaine doit être combattue. Fauchée. Et, finalement, éradiquée.
     
     
    Pascal Décaillet