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  • Sommet de Bruxelles : avez-vous déjà réanimé un mort ?

     

     

    Sur le vif - Dimanche 19.07.20 - 10.32h

     

    Face aux "pays frugaux", qui dénoncent le délirant projet d'endettement du l'Union européenne, le couple Merkel-Macron s'agite avec la dernière énergie pour faire passer la pilule.

    L'enjeu est de taille : le "plan de relance" n'est qu'un prétexte. Le sujet réel, c'est la survie de l'Union, qui a montré, pendant toute la crise sanitaire, son admirable propension à la non-existence.

    Pourquoi Mme Merkel et M. Macron veulent-ils sauver le château de cartes européen ? Pour des motifs de politique intérieure !

    La carte de l'Union, c'est la dernière qui reste à la Chancelière pour que sa famille politique, fondatrice en 1957 lors du Traité de Rome, puisse espérer encore jouer un rôle durable, celui du traditionnel Zentrum bismarckien, dans les années qui viennent. En Allemagne, la ligne de front de la politique ne se situe plus au centre, dans la bonne vieille dualité CDU/CSU - SPD, elle s'est éclatée en fonction de partis plus radicaux, à droite comme à gauche. Aucun de de ces nouveaux partis, qui montent, n'est européen. Leurs thèmes tournent autour de la nation allemande, et du peuple allemand.

    Quant à Emmanuel Macron, qui a beaucoup moins bien géré la crise sanitaire en France que Mme Merkel en Allemagne, il sait que son destin politique, à lui, se jouera dans deux ans (présidentielle d'avril-mai 2022) sur deux enjeux majeurs : d'abord, et loin devant, la situation sociale en France (aujourd'hui alarmante) ; et puis, la question européenne. Or, en France aussi, ne cesse de monter une radicalité souverainiste, anti-Bruxelles, et cela (comme en Allemagne) sur la gauche et sur la droite.

    Assez vite, en France et en Allemagne, les deux piliers dont tout dépend, les opinions publiques comprendront que les plans de relance européens, c'est engraisser encore plus des usuriers (ceux qui prêtent aux États, et les intérêts peuvent à tout moment remonter en flèche), donc se lier les mains pour des générations. Car soit l'Euro est une monnaie sans la moindre garantie réelle, et alors l'Union européenne est déjà morte. Soit il a encore une valeur, et les emprunts gigantesques d'aujourd'hui devront, un jour ou l'autre, être remboursés par des contribuables déjà saignés.

    Dans les deux cas, le compte à rebours du modèle ultra-libéral et libre-échangiste en cours depuis trente ans (Acte unique) a commencé.

    L'enjeu du Sommet de Bruxelles, ça n'est donc pas le "plan de relance". C'est la survie d'une certaine construction européenne, dont l'échec est aujourd'hui flagrant.

     

    Pascal Décaillet

  • Série Allemagne - Numéro 27 - Sturm und Drang (1770-1785) : Tempête et Pulsion sur les âmes allemandes !

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    L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 27 – Sturm und Drang : trois syllabes incroyablement sonores, pour un mouvement littéraire qui, juste avant la Révolution française, enflamme les Allemagnes. On le confond souvent avec le Romantisme, et… on n’a peut-être pas tort !

     

    Samedi 18.07.20 - 16.57h

     

    « Freiheit, Freiheit ! » : lorsque le rideau tombe sur les dernières paroles du Ritter Götz von Berlichingen, de Goethe, un soir de juillet 1971 à Nuremberg, où je passe l’été, je suis loin de me douter, à juste treize ans, que je viens d’assister à une pièce emblématique du Sturm und Drang ! J’ai aimé la représentation, vaguement compris l’action, tout au plus saisi qu’il s’agissait d’affranchissement, du combat d’un homme contre les codes de son époque. Mais décidément, c’était trop tôt, dans ma vie, pour saisir tout l’enjeu qu’un jeune auteur de 24 ans avait entendu donner, dans la société qui était la sienne, les Allemagnes en 1773, au combat d’un Chevalier du début du seizième siècle. Je n’avais même pas entendu parler de Werther, best-seller absolu, offert au monde ébloui l’année suivante. Inutile de dire que je n’avais jamais entendu parler du Sturm und Drang !

     

    Sturm und Drang : on pourrait traduire par Tempête et Passion, je préfère pour ma part Tempête et Pulsion, à vrai dire il est très difficile de passer en français le génial condensé sonore de ces trois syllabes : elles nous mettent la pression, comme le couvercle d’une marmite à vapeur ! Nous sommes dans les Allemagnes (j’insiste sur le pluriel : le Saint-Empire ne sera dissous qu’en 1806, après la victoire de Napoléon à Iéna et le début de l’Occupation de la Prusse), dans la seconde partie du dix-huitième, un siècle capital pour l’Histoire allemande, celui de sa renaissance, après le long désert ayant succédé à la Guerre de Trente Ans (1618-1648).

     

    On date le Sturm und Drang, généralement, des années 1770 à 1785, certains poussant jusqu’à 1790. Une période d’une incroyable effervescence dans l’univers littéraire germanique : le jeune Goethe, Herder, puis Schiller, celui des Räuber, les Brigands, sa première grande pièce (1781). On confond souvent (et une certaine postérité a entretenu cela) le Sturm und Drang avec le Romantisme, venu plus tard. Et il est vrai que les points communs sont nombreux : rupture avec le rationalisme des Lumières (encore que cette thèse soit contestée au vingtième siècle par Georg Lukacs, le grand critique hongrois, auteur de la Théorie du Roman), champ libre aux sentiments, retour aux grands récits germaniques, début d’un immense travail lexical sur les mots allemands, qui sera, plus tard, l’œuvre des Frères Grimm, auxquels nous avons déjà consacré un épisode, le no 20 (30 août 2015), de cette Série.

     

    Dans ces années-là, qui précèdent immédiatement une Révolution française dont les conséquences sur les Allemagnes seront immenses, que se passe-t-il ? On prend congé des Lumières. L’Aufklärung vient de jouer un rôle considérable, pendant des décennies, sur les esprits allemands. Elle les a ouverts. Elle les a mis en connexion avec le reste du monde, notamment la France. Elle a donné à l’Allemagne le très grand philosophe Moses Mendelssohn, grand-père du musicien, mais aussi bien sûr Kant et Lessing. Mais voilà, autour de 1770 (l’année de naissance d’une comète en perpétuelle Révolution formelle appelée Beethoven), certains esprits allemands aspirent à autre chose. Radicalisation des Lumières, c’est une école. Rupture avec les Lumières, c’en est une autre, pour laquelle j’ai toujours penché, d’abord sous l’influence de grands professeurs, puis par mes lectures.

     

    Avec le Sturm und Drang, on est moins préoccupé de démontrer (même si la grande école de la philosophie allemande demeure) que de montrer. On raconte des destins humains ! Götz se bat pour la liberté. Werther, débordé par sa passion, se suicide, et son acte fait pleurer l’Europe entière. Les Brigands de Schiller défient la morale et la convenance. On pose le drame (action théâtrale) comme fondement du récit. On germanise les figures. On commence à puiser dans le Moyen Âge allemand. On révoque l’influence française, notamment dans le théâtre. On travaille sur les mots allemands, on en invente. Difficile de ne pas voir dans le Sturm und Drang une absolue, une irrévocable préfiguration du Romantisme !

     

    La grande question : le Sturm une Drang est-il seulement un mouvement littéraire, ou faut-il le comprendre aussi comme un mouvement politique ? La postérité s’est déchirée sur le sujet. Les uns voient dans ce premier grand recours aux mythes allemands l’esquisse de la renaissance nationale qui prendra forme à Berlin, en 1807, avec les Discours à la Nation allemande de Fichte (cf. No 2 de notre Série, 21 juillet 2015). D’autres estiment que ce lien de filiation est prématuré. Une chose est sûre : si le Sturm und Drang n’est pas encore le Romantisme, certains de ses aspects y ressemblent diablement ! Nous parlerons en tout cas, au sens littéraire, pour notre part, d’une préfiguration.

     

    Et s’il n’y avait qu’une œuvre à retenir ? Werther, bien sûr ! Pour sa forme épistolaire, qui rappelle Rousseau. Pour la puissance dévastatrice des sentiments. Pour le tragique du destin. On dit souvent de Goethe qu’il est un esprit universel, avec tout le risque d’ennui que cette formule peut comporter. Mais au milieu d’une œuvre immense, à cheval sur deux siècles, ce roman si frappant, si singulier, si sincère, a fait du jeune auteur, en attendant l’Olympe, l’un des rares capables de toucher universellement le cœur des lecteurs. Et aussi, celui des lectrices ! Excellente lecture à tous !

     

     Pascal Décaillet

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :

    https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .

    La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.

     

     

     

     

     

     

     

  • Sommet de Bruxelles : l'amicale des boxeurs groggy

     

    Sur le vif - Vendredi 17.07.20 - 12.58h

     

    La crise sanitaire l'a prouvé avec éclat : face à une difficulté majeure, chaque nation ne peut compter que sur elle-même. Chacune, sur notre continent, a fait ce qu'elle a pu, de son mieux, pour renforcer ses solidarités internes, maintenir sa cohésion sociale, venir en aide aux personnes les plus touchées.

    Dans cette tempête, l'Union européenne n'a pas existé. Chaque nation s'est trouvée seule. Respectueuse des autres, il faut le noter, sincèrement sensible aux souffrances de ses voisins. Ce ne fut pas une guerre entre nations, mais une guerre de chaque nation, pour elle-même, au milieu d'autres nations. Certains pays, comme la France, ont eu une gestion dure, jacobine, verticale, fliquée même parfois. D'autres, comme la Suisse, ont respecté la liberté individuelle des gens. Ils ont fait confiance. Nous ne nous en plaindrons pas.

    La crise, comme révélateur. Le génie propre de chaque pays, en fonction de son Histoire, a été mis en lumière par le virus. Dans cette affaire, tous ont existé. Tous, sauf l'Union européenne.

    Et voilà qu'à Bruxelles, des chefs de rencontre, semblables à une amicale de boxeurs groggy, sous prétexte de "relancer l'Union", cherchent à mutualiser leurs difficultés en recourant au pire expédient dans ces cas-là : l'endettement ! On va faire tourner la planche à billets, mettre en circulation une monnaie dont la garantie réelle est de plus en plus faible, et bien sûr reporter la charge finale sur les contribuables des pays membres.

    Un jour ou l'autre, il faudra payer l'addition. Politiquement, ce sera une montée encore plus puissante des partis anti-européens. Un discrédit renforcé de la classe politique, et plus généralement du principe de représentation. La France, par exemple, pourrait en sentir le résultat lors de la présidentielle de 2022.

    La Suisse n'est pas membre de l'Union européenne. C'est pour elle une bénédiction. Avec ce système de valeurs fictives, où la fuite en avant est reine, notre petit pays doit se montrer plus intraitable que jamais sur sa distance, sa souveraineté, son indépendance. Depuis la guerre, il a trop misé sur son Commerce extérieur avec le continent, au détriment de son agriculture et de sa souveraineté alimentaire. Il doit, en profondeur, rectifier ce déséquilibre, engager des négociations État par État, et doucement signifier à Bruxelles qu'il ne lui doit rien. Tout cela, respectueusement : si l'Union européenne est devenue, hélas, une machine antipathique et technocratique, les différents peuples qui la composent sont nos amis. Tous, sans exception.

    L'Europe, oui. Celle des cœurs, de la culture, des valeurs communes. La machine technocratique, celle qui tourne à vide comme les pantins expressionnistes dans les expos d'avant-garde des années vingt, c'est définitivement non.

     

    Pascal Décaillet