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  • LA DDR, une Histoire allemande

     

    Sur le vif - Samedi 20.06.20 - 11.22h

     

    J'ai toujours eu un faible pour la DDR, depuis près d'un demi-siècle, en tout cas depuis 1972. En 1978, j'avais écrit à l'Université d'Iéna, pour aller passer un semestre chez eux. Ils m'avaient répondu, très gentiment, qu'ils étaient infiniment sensibles à l'intérêt que pouvait leur porter un jeune étudiant en Germanistik, quelque part à l'Occident, mais qu'hélas, "pour des raisons de logistique" (je me demande bien lesquelles !), la chose ne serait "pas tout de suite possible". Bref, mon rêve d'aller lire Hölderlin et Brecht dans cette Allemagne orientale à laquelle me rattachaient tant de sentiments puissants, ne s'est pas concrétisé. J'ai retrouvé la DDR plus tard, autrement.

    Rien que sur la DDR, je pourrais écrire plusieurs livres. Tout d'abord, l'inutilité de cette appellation : il y a la Prusse, il y a la Saxe, il y a la Thuringe. Aucune idéologie, jamais (et Dieu sait si elles furent coercitives, entre 1933 et 1989), n'a pu avoir raison de ces puissantes identités nationales, ancrées dans des siècles d'Histoire, au sein de la pluralité naturelle des Allemagnes.

    Et puis, il y a la culture. Dès l'âge de vingt ans, j'ai lu les auteurs de la DDR. J'y ai immédiatement trouvé autre chose que de simples chantres du communisme, ce qui eût été un peu court pour capter les appétits littéraires du jeune homme que j'étais. Plus tard, j'ai découvert Christa Wolf, Heiner Müller, et tant d'autres. Nous sommes loin de la DDR ramenée (par la propagande occidentale) à la seule image de la Stasi, la redoutable police politique, en effet détestable.

    Pour ma part, je n'ai jamais jugé un peuple à l'aune de son idéologie dominante du moment. D'autres facteurs, innombrables, le définissent : le rapport à la langue, l'organisation mentale des représentations, les questions confessionnelles, spirituelles, culturelles, et bien sûr économiques et sociales. Je ne crois pas aux "parenthèses" en Histoire : ni pour la période 1933-1945 en Allemagne, ni pour la période 1945-1989 en DDR, ni pour la période 1940-1944 en France, ni pour la période 1922-1943 (ou 45) en Italie. Chacune d'entre elles appartient à la continuité historique de son pays. Il convient dès lors de tenter de comprendre comment elles ont pu exister, en vertu de quelles chaînes de causes et de conséquences. Lire Kraus, Thomas Mann, Heinrich Mann, Klaus Mann.

    La DDR me touche, au plus profond. Parce que les trois grandes nations allemandes, la Prusse, la Saxe, la Thuringe, qui par le sort des armes furent dévolues à l'occupation soviétique (et non américaine, britannique, ou française), avec obligation d'installer un régime communiste, ont bien dû "faire avec". Eh bien, ils ont fait ! Et franchement, vu les conditions, ils ne s'en sont pas si mal sortis ! C'était un régime sans liberté politique, il faut le dire. Mais ils ont fait beaucoup pour le social, pour l'égalité des chances, pour l'accès à la culture, aux sciences. La vie associative, culturelle, sportive, était remarquable. Tout cela, dès la fin de l'enfance, ou le début de l'adolescence, je l'avais perçu.

    Voilà pourquoi, que cela vous plaise ou non, que cela plaise ou non aux anticommunistes viscéraux (dont je n'ai jamais fait partie), nous ne m'avez jamais entendu, vous ne m'entendrez jamais dire du mal de cette partie des Allemagnes qui, du 8 mai 1945 au 9 novembre 1989, a fait ce qu'elle a pu. Son génie est une partie du génie allemand. Son Histoire, son destin, sont ceux de l'Allemagne. Il n'y a pas de parenthèse. Il y a un texte, dans la continuité d'un plus grand texte. La DDR, c'est une Histoire allemande. C'est tout.

     

    Pascal Décaillet

     
  • Le figurant de proue

     

    Sur le vif - Vendredi 19.06.20 - 09.18h

     

    Les guerres balkaniques des années 1990, telles que je les ai vécues dans le combat intellectuel féroce auquel j'ai pris part, n'étaient absolument pas un conflit entre partisans de telle ou telle ethnie.

    Non, c'était un antagonisme violent entre ceux qui prennent le temps d'ouvrir des livres d'Histoire, remonter aux antécédents, établir des chaînes - souvent complexes - de causes et d'effets, restituer les événements dans leurs contextes politiques, linguistiques, confessionnels, culturels.

    Et, de l'autre côté, les autres. Compensant leur inculture historique par la morale. Désignant immédiatement des bons et des méchants. Diabolisant un camp pour sanctifier l'autre. Bref, la démarche des salons parisiens. Avec, comme figurant de proue, le globe-trotter de luxe en chemise blanche. Immaculée. Sans la moindre tache, le moindre pli, jamais.

     

    Pascal Décaillet

  • L'esprit humain, tout simplement

     

    Sur le vif - Jeudi 18.06.20 - 11.39h

     

    Les anachroniques, incapable de restituer un fait historique dans son contexte, sont à ranger dans la même espèce que les fondamentalistes textuels.

    Rien ne m'illumine plus qu'un historien de la Bible, capable de placer chaque Livre de l'Ancien Testament dans l'environnement historique où il fut écrit. Rien ne m'assombrit davantage que celui qui sacralise le texte, en le pétrifiant pour l'éternité. Je ne crois pas, pour ma part, à une quelconque révélation. Je crois que ces Livres successifs - dans le temps - sont l'œuvre d'humains, dans le cadre bien précis d'un temps historique, idéologique, linguistique. Dans le cadre des attentes spirituelles, ou messianiques, d'un moment.

    C'est pourquoi je voue à Martin Luther une admiration sans bornes. Il a pris le texte biblique, il l'a traduit dans la langue allemande de son époque. Il a travaillé chaque mot, dans ses souches hébraïques, grecques ou latines. Il engagé toutes les puissances de son esprit, de son intelligence, pour restituer cela dans la langue véhiculaire de son époque. Il a publié cette petite bombe en 1522. Il a changé le monde.

    Dans son texte, Luther invente des mots. Il révolutionne l'allemand écrit. Il jette les bases de la littérature allemande moderne. Un fondamentaliste jamais n'aurait pu procéder à cette alchimie. Parce que l'idée même de traduction procède de la mise en lumière. Il faut passer par l'altération pour rendre vie à l'original. Luther nous sort des mots, comme les chercheurs d'or nous extraient des pépites.

    Vous pourrez, Barbares, déboulonner sa statue. Jamais vous ne détruirez l'immensité de son œuvre. Parce qu'elle procède des forces de l'esprit. Pas l'esprit révélé. Non, l'esprit humain, tout simplement.

     

    Pascal Décaillet