Sur le vif - Dimanche 10.05.20 - 00.42h
Il y a, jour pour jour, 80 ans, l'attaque à l'ouest. Six semaines d'une offensive foudroyante, l'une des plus impressionnantes de toute l'Histoire militaire. Au bout du chemin, pour la France, la plus grande défaite de son Histoire. Défaite militaire, mais défaite morale surtout. Lire Marc Bloch. Lire Julien Gracq, lieutenant et accessoirement génie de l'écriture.
Défaite intellectuelle. Défaite conceptuelle : pétri de certitudes défensives, on n'a rien vu venir, on a préparé la guerre d'avant, celle qu'on avait gagnée. On s'est pétrifié dans la routine, dans ses certitudes.
On s'est enfermé dans une immense forteresse, autour de laquelle rien, au moment décisif, ne s'est passé. Désert des Tartares. On s'est confiné. Oui, confiné ! Là où le destin se jouait dehors, en plein air, dans le monde du mouvement, de la force mécanique, des liaisons interarmes coordonnées par radio. Et non par le vieux téléphone de campagne !
Ces six semaines, depuis quarante ans ou plus, je les ai étudiées jour après jour, parfois heure après heure. Six semaines d'une exceptionnelle densité dramatique. Avec des points de bascule (le passage de la Meuse), des moments de rupture, la permanence du mouvement, des Allemands parfois dépassés par l'ampleur de la victoire. Pourquoi Hitler, un moment, arrête-t-il la division victorieuse de Rommel, qui vient de percer les Ardennes, fonce vers l'ouest, direction mer du Nord ?
Et des Français qui, contrairement à une légende tenace (dûment entretenue par Vichy, qui veut charger la prétendue impéritie du Front populaire), se battent, font ce qu'ils peuvent. Mais n'arrivent pas : ils ont affaire à trop forte partie.
Et finalement, l'effondrement. La fin d'un monde. Pas seulement la fin de 70 ans de Troisième République. Non, la fin de beaucoup plus que cela. Il faut aller chercher plus antérieurement, plus loin, dans les entrailles de l'Histoire de France.
Défaite militaire. Défaite politique. Défaite morale. Défaite spirituelle, même, peut-être.
La France ne s'en est pas remise.
Pascal Décaillet