Sur le vif - Dimanche 03.05.20 - 14.23h
Je ne pensais pas prendre un jour la plume pour regretter l'absence parlementaire dans mon pays. Mes idées, vous les connaissez : je me méfie viscéralement du monde législatif, pour le connaître trop bien, l'avoir fréquenté à Berne, puis ailleurs, dans les entrailles de son intimité. J'ai trop vu le système d'influences, le poids les lobbys, le jeu de miroirs des ambitions personnelles.
Mon modèle est celui d'une démocratie totale, beaucoup plus de place prise par le suffrage universel, et des Parlements qui se contentent de faire les lois, sans la moindre mystification nécessaire du rôle "d'élu". Ils fabriquent les lois, soupèsent les virgules si ça les excite, votent un texte final, et si le peuple n'est pas content, il attaque la loi en référendum. Surtout, ce même peuple multiplie les initiatives, celles qui viennent d'en bas : les citoyennes, les citoyens sont la pierre angulaire de la nation, ce sont eux qui font la politique, et pas spécialement les élus. Tel est mon modèle.
Vous pouvez partager ou non ma conception d'une démocratie totale, décrypter (si vous en avez les moyens) ce qu'elle doit à certains penseurs politiques de la première partie du vingtième siècle, dans des pays voisins du nôtre, et d'ailleurs aussi en Suisse. Je ne vous demande pas d'être d'accord, mais de prendre acte de ma conception.
On aurait donc imaginé que d'autres que moi vinssent à la rescousse d'un pouvoir législatif que je n'adule guère. Oui, mais voilà : il y a eu la crise. Depuis deux mois, les exécutifs sont omniprésents, on ne voit et n'entend qu'eux. Sous l'imparable prétexte (en tout cas moi, n'étant pas médecin, je n'ai pas les moyens de la parade) d'urgence sanitaire, la Suisse est gouvernée par ukases, décrets, arrêtés directs. Le monde parlementaire, dont on nous répète à l'envi qu'il nous est vital par les vertus de son contre-pouvoir, a totalement disparu de notre espace politique. Il est quelque part, ailleurs, entre les fraises encore naissantes et les promesses de première menthe, entre l'Alpe et le marécage. Il est comme le sous-préfet de Daudet : aux champs.
Les Parlements, en Suisse, ont intérêt à réussir leur retour. Ainsi, les quatre jours de session des Chambres fédérales, dès demain, seront jugés, non au contenu détaillé des délibérations, mais à la présence, à la justesse, au timbre, à la tonalité des voix qui s'exprimeront. Il ne s'agit pas tant de savoir si on va voter la variante A ou la variante B. Non, il s'agit, pour le Parlement, de montrer s'il sert encore à quelque chose dans ce pays, s'il est encore en mesure d'établir un contre-pouvoir à l'exécutif, d'en contrôler le travail et celui de l'administration, de représenter au mieux les intérêts du peuple.
Si le Parlement devait échouer dans cette mission, alors beaucoup de nos compatriotes se rallieraient, dans les mois et les années qui viennent, au modèle exposé plus haut, celui que pour ma part je défends à terme.
Dans tous les cas, Parlement fort ou Parlement faible, un troisième acteur, capital, doit lui aussi sortir de sa torpeur : le peuple. Entendez le corps des citoyennes et citoyens, ceux qui forment le suffrage universel, activent la démocratie directe, lancent des idées d'en bas, provoquent de vastes débats nationaux. Bref, la vraie sève politique de notre démocratie suisse, loin des arcanes parlementaires, des lambris du Palais fédéral, et de la combinazione inhérente à toute nomenclature.
Quant aux fraises et à la menthe, nous irons nous aussi les cueillir. Lorsqu'elles seront mûres.
Pascal Décaillet