Sur le vif - Lundi 20.04.20 - 16.13h
L'hyper-visibilité des exécutifs, en Suisse, depuis le début de la crise, doit impérativement n'être qu'une parenthèse dans l'Histoire de notre pays, depuis 1848. Elle n'est conforme ni à nos traditions démocratiques, ni à l'équilibre des pouvoirs, ni à l'impérieuse nécessité d'un contrôle des gouvernements par les législatifs. Bref, elle constitue une verrue qu'il conviendra soigneusement d'éradiquer, dès la crise passée.
Depuis que l'affaire du coronavirus a commencé, Alain Berset au niveau fédéral, puis les différents conseillers d'Etat dans les Cantons, ont pris l'habitude de venir "informer" la population, à une fréquence jamais atteinte jusque là. Ce qui frappe, c'est le mode de communication, redoutable : le ministre apparaît, délivre la bonne parole, annonce ses décisions sans le moindre contre-pouvoir. Son message est oraculaire, incontesté. Nous sommes en temps de guerre. Tout au plus s'appuie-t-il sur "l'expertise" des scientifiques, à Berne M. Koch, à Genève le médecin cantonal.
Tout cela, me direz-vous, est pour la bonne cause. Je veux bien. Mais je note que jamais, dans l'Histoire récente de notre pays, en tout cas depuis la dernière guerre, la parole ministérielle, qu'elle soit fédérale ou cantonale, n'a bénéficié d'une telle mise en scène, d'une telle immédiateté, d'une telle verticalité. Le ministre n'est jamais contrarié : il expose ses décisions, et ne s'explique que sur les détails de mise en oeuvre.
La Suisse n'est pas un pays jacobin. Les exécutifs, dans notre pays, sont là pour servir le pays. Servir les citoyennes, les citoyens, qui eux sont la pierre angulaire de notre démocratie. La parole ministérielle doit être rare, précieuse, soupesée. Elle ne doit pas tourner à la causerie au coin du feu d'un Roosevelt ou d'un Mendès France, encore moins aux apparitions fracassantes d'un Charles de Gaulle, qui surgissait en uniforme pour dénouer le drame. Là n'est pas notre tradition suisse.
Cette hyper-présence exécutive n'aurait jamais pu prendre une telle place sans la conjugaison d'un autre facteur : la disparition, depuis des semaines, des Parlements. Tant au niveau fédéral que dans les Cantons. Ces derniers, totalement impréparés à un scénario où il faudrait siéger hors de la présence physique, ne se sont vraiment pas pressés pour inventer des solutions techniques et politiques pouvant répondre à la situation. Sans Parlements, pas de contrôle. Sans contrôle, les ministres se royaument.
Il va falloir, très vite, que cela cesse. Les exécutifs, dès la sortie de crise, devront être remis à leur place. Leur récurrente ostentation, sans la moindre parole contrariante en face, depuis des semaines, doit demeurer une exception historique. Une parenthèse. Qu'il convient, au plus vite, de refermer.
Pascal Décaillet