Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 6

  • La génération Contras

     

    Sur le vif - Vendredi 17.04.20 - 18.46h

     

    Je les appelle "la génération Contras". Ils nous ont abreuvés, pendant toutes les années 80, de reportages sur les événements du Nicaragua. Non que ces derniers fussent dénués d'importance, mais c'était la tournure, le tropisme Nicaragua qui était, à mes oreilles, insupportables.

    Il y a toute une génération de journalistes qui ont vécu une véritable pâmoison pour ce qui se passait en Amérique centrale, ou latine. Ils n'étaient heureux que lorsqu'ils pouvaient prendre l'avion, pour aller nous brosser le portrait de quelque guérillero charismatique, visage de saint, regard de braise.

    Il y avait d'autres théâtres d'opérations, dans le monde, qui auraient pourtant pu retenir leur intérêt : ainsi, dès la mort de Tito, le 4 mai 1980, le scénario d'une décomposition de la Yougoslavie devenait, pour qui savait lire l'Histoire, parfaitement envisageable. Mais les Balkans, c'était l'Europe. Et l'Europe, pour nos Conquérants d'un nouveau monde, dignes épigones de José-Maria de Heredia, ça n'était pas assez loin. Tandis que le Nicaragua...

    Je n'ai pas aimé la génération Contras. Ni leur propension à l'éloignement géographique, ni la complicité de leurs chefs, notamment à la TSR de ces années 70-80, qui sont passés complètement à côté, à part pour la Pologne, de ce qui s'éveillait en Europe centrale et orientale. Ce sont les mêmes chefs, et la même génération Contras qui, une fois les Balkans en plein éclatement (à partir de fin 1990), dénués du moindre outillage intellectuel sur l'Histoire de cette région, sont passés totalement à côté des enjeux réels de ce théâtre d'opérations.

    Alors, face aux événements des Balkans, pendant toute la décennie des années 90, la génération Contras, au lieu de faire de la lecture politique et historique, nous a fait de la morale et de l'humanitaire. Elle a diabolisé un camp (les Serbes), sanctifié les camps d'en face. Elle n'a venu venir ni l'instrumentalisation du conflit par les États-Unis d'Amérique, ni le rôle des services secrets allemands. La génération Contras nous a fait du BHL, chemise blanche et leçons de morale.

    On espère, un jour, une étude sérieuse sur la génération Contras. En reprenant les téléjournaux TSR de ces années 70 et 80. Et en les confrontant, par exemple, à ce qui se passait à ce moment-là dans une Europe méprisée, parce que moins légendaire que les jungles d'Amérique centrale.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'éternelle possibilité du néant

     

    Sur le vif - Vendredi 17.04.20 - 14.31h

     

    J'ai toujours été profondément opposé à la vision multilatérale de la politique. Pour une raison simple : passionné d'Histoire depuis mon plus jeune âge, j'ai très vite perçu - avec la lecture de Thucydide, Plutarque, Michelet, Marc Bloch, Milza, Fichte, et tant d'autres - la dimension tragique du destin des peuples. Je ne crois guère à l'idée de progrès, encore moins à celle d'une nature humaine qui serait bonne et bienveillante. Je crois à l'immuable noirceur de nos âmes.

    Mais je crois aussi à la Révolution française, à laquelle je suis très attaché. Je veux dire en cela que je crois à l'immensité de ce moment historique, qui souffre peu de comparaisons. On peut discuter de tout, condamner les ravages de la Terreur, de la persécution des Vendéens et des Chouans, toutes choses exactes et pertinentes, mais enfin, au final, après une succession assez hallucinante de retournements de situations, nous avons affaire au renversement d'une société par une autre. La fin de l'Ancien Régime, héritier de la féodalité, l'avènement d'autre chose.

    Je note aussi, depuis la fin de mon enfance, que la Révolution française ne serait rien sans l'idée nationale. Si les Soldats de l'An II, avec la pauvreté de leur équipement mais la grandeur de leur patriotisme, n'avaient pas pris les armes pour défendre les idées nouvelles, et les frontières menacées de la jeune Nation, sans l'héroïsme de l'Armée du Rhin, le projet révolutionnaire aurait échoué. Ces armées de la Révolution furent ensuite celles du Directoire, puis celles du Consulat et de l'Empire. La grande aventure, entamée en 1792, s'est au fond arrêtée le 18 juin 1815, à Waterloo. Cette épopée, sans être exagérément hugolien dans mes adhésions poétiques, je l'admire intensément.

    Je l'admire, et je déteste tout autant la Restauration. Le Congrès de Vienne, en 1815, c'est une tentative d'imposer un ordre multilatéral. En réalité, comme plus tard en 1945, un équilibre entre vainqueurs (les Autrichiens, les Russes, les Anglais). La Restauration, y compris en Suisse romande, c'est le retour de l'Ancien Régime, le retour des privilèges. Tout cela ira se fracasser sur 1830, puis 1848. Mais tout cela, jusque chez nous, aura laissé des traces, où la fatigue patricienne le dispute à l'arrogance du bas de laine.

    La genèse, la fermentation de l'idée nationale, tant dans la France de 1792 que dans la Prusse occupée par les troupes napoléoniennes (1806-1813 ; lire les Reden an die Deutsche Nation, de Fichte), me passionne au point que je crois bien avoir tout lu, en français et en allemand, sur ces deux sujets.

    Dans chaque danger majeur, la nation finit par survivre, avec ses réseaux de solidarité et de fraternités internes, sa communauté de mémoire, la puissance de ses institutions. Et la toile multilatérale, tissée de probité candide et de verbeuses intentions, se déchire lamentablement. Ainsi, la SDN, avec Adrien Deume qui taille ses crayons à Genève, pendant qu'Ariane se laisse envoûter par Solal. Ainsi, l'ONU, qui depuis 1945 n'a jamais empêché la moindre guerre. Tout au plus a-t-elle, sous les aspects rassurants de sa construction plurielle, tenté de masquer une réalité : celle de l'impérialisme sans partage des États-Unis d'Amérique.

    Je n'ai pas attendu la crise du coronavirus pour évoquer l'impuissance de l'illusion multilatérale. Je la relève depuis des décennies ! Nul d'entre nous ne peut prédire l'avenir. Mais une chose est certaine : aujourd'hui déjà, les peuples réclament un retour à l'échelon national. C'est à l'intérieur de ce périmètre que s'organisent les réseaux de solidarité : premières assurances sociales dans la société bismarckienne, Sécurité sociale lancée par de Gaulle à la Libération (44-45), création de l'AVS dans la Suisse des années 47/48, etc.

    C'est à l'intérieur de la nation, aussi, que se dessine, au fil du temps, des épreuves, une communauté d'appartenance et de mémoire. Un lien très fort, qui resurgit en temps de crise, et qui relève de l'affectif plus que de la raison. Oui, la nation s'adresse au coeur, là où les Lumières (qui l'ont précédée) se souciaient de perfection géométrique. Regardez l'Allemagne à partir des années 1770 : l'Aufklärung se dissipe, le Sturm und Drang, puis le Romantisme, vont chercher dans le coeur même de la langue allemande, des mythes allemands, des mots allemands, les outils de l'affranchissement national. Univers poétique de Schiller, puis Dictionnaire des Frères Grimm.

    J'aime la nation, parce que j'aime la culture. J'aime les Lettres, les livres, les poèmes, sans parler de la musique. Mais les guerres, les Traités, l'immensité du tragique, l'éternelle possibilité du néant, me passionnent et m'habitent tout autant. Excellente journée à tous !

     

    Pascal Décaillet

     

  • Pour des monnaies fières et souveraines

     

    Sur le vif - Jeudi 16.04.20 - 14.02h

     

    Plus que jamais, les peuples ont besoin de monnaies nationales. Nous avons, en Suisse, la chance extraordinaire d'avoir encore notre Franc, alors que la France a perdu le sien, l'Italie a perdu la Lire, la Grèce a perdu ses Drachmes.

    L'Allemagne, elle, n'a pas perdu le Deutschemark. Loin de là. Elle lui a juste donné un nouveau nom : l'Euro. Et cette monnaie, sous un emblème tellement plus rassurant que celui qui avait succédé au Reichsmark, est maintenant devise européenne.

    Mais ne soyons pas dupes. La Banque Centrale Européenne, c'est la banque de l'Euro, c'est de facto une banque allemande. Calquée sur la vitalité de l'économie allemande. L'Europe, depuis 1992 (et non depuis 1957), c'est une Europe allemande. La puissance militaire qui monte, en Europe, dans l'indifférence générale, c'est celle de l'Allemagne. Pour l'heure, intégrée à "l'Otan". Dans quelques années, les Américains partis, la Bundeswehr aura retrouvé son autonomie, roulera pour la seule nation allemande.

    Et l'Euro ? Cette monnaie prétendument continentale, en réalité allemande, va-t-elle survivre à la déconfiture de l'Union européenne dès que survient une crise majeure, comme celle que nous vivons ? Nous allons vers des années de souverainetés retrouvées, on va se méfier du multilatéral, des grands empires, des constructions abstraites et des spéculations cosmopolites. Les peuples vont retrouver le goût du terroir, le charme de la proximité, l'enthousiasme de construire des solidarités sociales à l'intérieur d'un périmètre donné.

    Dans ces conditions, ne vont-ils pas, un jour ou l'autre, exiger la restauration de leurs monnaies nationales respectives ? Peu importe, dans l'avenir, que ces dernières soient sonnantes, trébuchantes ou virtuelles : on voudra, de partout, qu'elles soient fières et souveraines. C'est cela, l'essentiel.

     

    Pascal Décaillet