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  • Le grand bazar cosmopolite

     

    Sur le vif - Dimanche 25.06.18 - 08.24

     

    Le libre-échangisme commercial, tel qu'il prévaut depuis vingt-cinq ans en Europe, n'est en aucun cas une fatalité. Ni, comme on nous l'assène à coups de massue, la voie naturelle vers une prospérité étendue et partagée.

     

    Tout cela, c'est l'appareil lexical de la propagande ultra-libérale, sa liturgie. En vérité, la philosophie du libre-échange est un choix politique très précis. Le génie de ses partisans est de nous l'avoir administré comme un dogme.

     

    Les dogmes ne sont pas morts. Au 19ème siècle, on en proclamait sur l'infaillibilité du Pape, ou sur l'Immaculée Conception. Aujourd'hui, on édicte et propage le dogme de l'infaillibilité du libre-échange. On prend une position économique, et on nous l'impose comme la seule voie possible. Cela, depuis le 9 novembre 1989, la chute du Mur de Berlin.

     

    Le libre-échangisme est un choix, bien précis. Il a un dieu : la Marché. Il a un Veau d'or : la libre concurrence internationale. Il sublime le commerce extérieur, affame l'agriculteur, abolit les réglementations douanières qui, jusque là, protégeaient justement les plus faibles, les plus déshérités.

     

    Le libre-échangisme sanctifie la transaction financière, l'exonère de tout contrôle d'Etat, accentue les inégalités, dissout la mission régulatrice des nations. Il construit un grand bazar cosmopolite, où l'usure est souveraine, la spéculation impunie. Les marchands ont repris le contrôle du Temple.

     

    Le libre-échangisme se rit des peuples, des Etats, des nations. Les repères politiques, ceux de la mémoire et des émotions partagées, ne l'intéressent pas. On spécule sur une marchandise, on en dilue les traces, on la fait circuler au plus offrant, sans entraves.

     

    Et avec la marchandise, on fait circuler les hommes et les femmes. On abat les frontières, on laisse déferler les masses sur des communautés humaines organisées depuis des siècles, avec des règles, des protections sociales conquises de haute lutte, au service des plus faibles. La fragilité de leurs équilibres, on la saccage. On la piétine.

     

    Ces édifices de solidarité sociale, de mutualité, qui faisaient la fierté de nos pays, on les ratiboise. Il faut laisser la place au grand marché cosmopolite, la nouvelle religion. Universelle, apostolique.

     

    Le libre-échangisme ne relève ni du hasard, ni de l'inéluctable. Mais d'un choix politique, parfaitement précis, traçable, identifiable. Il pourra donc être détruit, le jour venu, par la masse supérieure d'un choix contraire. Celui qui, sans abolir l'échange ni l'ouverture, rétablit comme unité de base la notion de communauté nationale. Avec, à l'intérieur de cette dernière, la cohésion sociale, l'attention aux plus faibles, la solidarité. Toutes ces valeurs que le Marché sanctifié tente, avec une inouïe vulgarité, de nous faucher.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La vieille ficelle de l'homme nouveau

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    Sur le vif - Samedi 23.06.18 - 10.46h

     

    L'immense escroquerie de Macron, lors de la présidentielle 2017, a été de nous sortir la vieille ficelle de "l'homme nouveau". Comme Giscard, en 1974, avec sa "société libérale avancée".

     

    Pour qui sait lire la politique, pour qui s'est frotté à l'Histoire, il ne saurait exister d'hommes nouveaux. Tout politicien, même jeune, même flamboyant, recèle en lui les archétypes de la captation du pouvoir. C'est dans Plutarque, dont je vous recommande absolument la lecture (Pléiade). C'est dans Shakespeare, notamment "Jules César". C'est Kennedy, en 60. C'est Giscard en 74. Et c'est Macron, en 2017.

     

    Le discours sur "l'homme nouveau" est tellement vieux en politique qu'il résume en lui l'éternité de l'archaïsme. Rien de plus éculé que la modernité.

     

    La vérité, c'est que Macron entre, comme tous les autres, dans des typologies parfaitement identifiables, pour qui a consacré une partie de sa vie à les étudier.

     

    Économiquement, c'est un libéral, tradition Tardieu et un peu Giscard. C'est un libre-échangiste, proche d'une école anglo-saxonne peu répandue en France. Il y en eut quelques-uns, sous le Second Empire, puis vers le milieu de l’Entre-deux-guerres.

     

    Dans les rapports avec l'Europe, c'est un MRP, entendez un démocrate-chrétien français de la Quatrième République, on pense à des hommes comme Schuman ou Pleven. À certains égards, Jacques Delors.

     

    Dans le rapport aux choses de l'Argent et à la majesté de sa posture, c'est un orléaniste. La branche cousine des Bourbons, celle qui fit des affaires, ou encouragea qu'on en fît.

     

    Tout cela, toute cette configuration qui finit bien par affleurer, relève d'options que Macron a totalement le droit d'embrasser. Simplement, il n'est pas un homme nouveau. Il incarne les feux de l'Ancien Monde. Ses choix, dans la géographie et la géométrie politiques, sont repérables, traçables, identifiables.

     

    Il n'existe jamais d'hommes nouveaux. Juste des hommes plus jeunes, qui prennent leur place sur l'échiquier. Pour nous rejouer l'ancestrale noirceur du pouvoir. Dans cette partition, toujours recommencée comme une suite de Bach, rien ne change, jamais.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Macron, conservateur de l'Ordre libéral

     

    Sur le vif - Vendredi 22.06.18 - 14.53h

     

    Très vite, dans la campagne présidentielle de 2017, il m'est apparu que le concept de nouveauté, dont se targuait tant le candidat Macron, n'était qu'une apparence. Cet homme n'est ni un révolutionnaire, ni même un novateur. Au contraire, il a été le candidat de la conservation de l'Ordre libéral. Le candidat de l'Ancien Monde.

     

    Dans la campagne, il a joué sur quoi ? Son aisance, sa jeunesse, sa belle allure, toutes choses que nul ne lui conteste. Il est tombé au meilleur moment, celui où tous les appareils qui avaient régi la Cinquième République se suicidaient allègrement sous ses yeux : les gaullistes et les socialistes, au premier chef. Mieux : sa rivale du second tour s'est, elle aussi, suicidée face à lui, lors du débat, où elle été simplement calamiteuse.

     

    Un homme, beau et souriant, moderne, au milieu des décombres et des suicides. Oui, il a pulvérisé tout le monde, c'est assurément très bien joué. Mais qu'il ne vienne pas se présenter comme le Président du changement.

     

    Face à une Union européenne en ruines, totalement incapable de donner une réponse à la pression des flux migratoires, Macron continue de s'en tenir aux paradigmes des années 1990, à l'époque de Jacques Delors et de l'européanisme triomphant. Il ne voit pas - ou feint d'ignorer - le retour des nations. Il a, dit-on, une solide formation philosophique : il aurait mieux fait de lire des livres d'Histoire, nation par nation, c'est plus concret pour le préparer à un job comme le sien.

     

    Face à une Italie qui réaffirme l'échelon national et marque sa volonté de contrôler drastiquement les flux migratoires, il a commencé par insulter le nouveau gouvernement, en lui brandissant des poncifs moraux : catastrophique posture du Président-philosophe face à un pays qui fait ce qu'il peut dans la gestion du réel.

     

    Face à l'Allemagne, il continue de croire en Mme Merkel, personnage du passé, figure dépassée par une crise migratoire à laquelle elle n'a pas su donner les bonnes réponses.

     

    Le Président Macron est un homme du passé. Un défenseur de la vision multilatérale des rapports entre les nations. Un tenant de l'Ordre libéral, et surtout libre-échangiste, qui étouffe l'Europe et une partie du monde depuis trois décennies. Un orléaniste, charmant et souriant, présentant bien, faisant bonne figure. Sur le fond, un démanteleur de services publics, un conservateur des acquis pour les nantis. Un libéral. La France méritait une autre vision. Cinq ans de répit pour l'Ancien Monde. Cinq ans de perdus.

     

    Pascal Décaillet