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  • Série Allemagne - Intermezzo - En un seul paragraphe

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    Série Allemagne - Intermezzo - D'un trait - Sans méthode, ni structure - Jeudi 23.07.15 - 23.15h

     

    Je macère à mort, comme un possédé, dans l'Histoire allemande. En vrac et sans prétention exhaustive, j'ai encore envie de vous raconter l'émancipation des Juifs d'Allemagne par Moses Mendelssohn (18ème siècle), la publication de Cassandra par Christa Wolf en 1983, la traduction d'Antigone par Hölderlin, la reprise d'Antigone par Brecht, le passage de la Meuse en Mai 1940, la première Diète de Francfort en 1848, la première du Deutsches Requiem de Brahms, la traduction de la Bible par Luther, la grande exposition (j'y étais) pour le 500ème de Dürer à Nuremberg en 1971, le suicide de Kleist et d'Henriette à Wannsee en 1811, le travail théâtral de Heiner Müller dans le Berlin de l'après-Brecht, le suicide de Paul Celan à Paris en avril 1970, les dernières décennies de Friedrich Hölderlin dans sa tour, le cimetière militaire allemand que nous avons visité, en famille, en Italie du Nord, en 2001, la Première de Lohengrin, Wagner, tout Wagner, rien que Wagner et encore Wagner, le rapport de Thomas Mann avec sa ville de Lübeck, ma rencontre avec Genscher (j'ai la photo et les autographes) à 14 ans, en 1972, sur un mirador du Mur de Fer, mon incroyable rencontre avec Helmut Schmidt dans son bureau de Hambourg en avril 1999, le destin de l'Allemand de Pologne chez qui j'ai vécu en 1972, la publication de la Montagne magique, de Thomas Mann, la redécouverte de Bach par Felix Mendelssoh, la guerre héroïque des sous-mariniers, la Bataille du Jutland, l'Exode des Allemands, par millions, vers l'Ouest, en 1945 (cf Günter Grass), les années et les rencontres de ma mère dans l'Allemagne de 1937 à 1939, le destin de feu mon ami August von Kageneck, officier de panzers dans la campagne de Russie, fils d'un aide de camp du Kaiser, la Rose Blanche, la Rote Kapelle, Heinrich Mann, Klaus Mann, Erika Mann, les musées coloniaux de Hambourg et de Brême, le concert de Bruckner, par le Wiener Symphoniker, auquel j'ai assisté en juillet 1973, dans la Basilique d'Ottobeuren, sous la mythique direction d'Eugen Jochum, la classe d'allemand à qui j'ai fait visiter le camp de Dachau en 1983, la représentation de Götz von Berlichingen qui m'avait bouleversé à Nuremberg en 1971, ma nuit à Brême, dans un garage, en 1972, avec des anciens combattants de la Campagne de France (mai-juin 1940), mon séjour à Weimar avec mon excellent confrère Pierre-Alexandre Joye en juillet 1999, notre visite du camp de Buchenwald, mes premiers contacts avec la DDR, ma découverte d'Hildesheim et Wolfenbüttel lors du voyage d'études de l'Uni au printemps 1978, ma couverture des manifestations syndicales à Berlin au début des années 2000, mon émission spéciale en direct de Francfort sur l'Oder en septembre 1998, juste sur la frontière polonaise, ma visite admirative des usines VW à Wolfsburg en 1972, ma baignade de minuit dans le Mittellandkanal avec des anciens combattants du front de l'Est, le Kreis de Stefan George, les premières assurances sociales sous Bismarck, mon premier séjour familial en Allemagne en 1968, ma visite d'un U-Boot avec mon père, les films de Fassbinder découverts avec passion chez Rui Nogueira au début des années 80, la vie et l’œuvre d'Ernst von Salomon, les corps-francs issus de la défaite de 1918, la Révolution du 9 novembre 1918, les Spartakistes, Rosa Luxemburg, le "Novembre 1918" de Döblin, Berlin Alexanderplatz, toute l'oeuvre de Richard Strauss, sa relation avec son librettiste Hugo von Hoffmannstahl, les oratorios de Haendel, la révolution musicologique de Bach (cela, ce sera demain !), l'helléniste Wilamowitz, et je ne vous livre pas, ici, le dixième de mes passions.

     

     

    Et je ne vous dis rien de l'essentiel.

     

    Juste l'écume.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Série Allemagne - No 4 - Bad-Godesberg, 1959 : Marx et Engels au vestiaire !

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    L'Histoire allemande en douze tableaux - Série d'été - No 4 – 13 au 15 novembre 1959 : le tournant historique des sociaux-démocrates allemands.

     

    C’est une longue, une passionnante histoire que celle de la sociale démocratie allemande. Rien que sur ce sujet, il me faudrait une série de douze épisodes ! On dit souvent qu’elle est née des mouvements révolutionnaires de 1848, auxquels j’avais consacré une série radio il y a dix-sept ans. C’est exact. Mais en vérité, il faut aller en chercher les sources dans les années qui précèdent. Ni en Allemagne, ni en France, ni en Suisse, l’effervescence de 1848 n’est surgie du néant : elle fut dûment préparée en amont, par tout un mouvement de pensée et d’action, avant que n’éclose le printemps des peuples.

     

    Ce qui est sûr, c’est que ce grand parti, d’abord SAP en 1875, puis sous son nom actuel, SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) dès 1890, est le plus ancien d’Allemagne. Il a traversé, sous le même nom, la fin des années bismarckiennes, l’époque de Guillaume II, la Grande Guerre, la République de Weimar (où il prospéra), le Troisième Reich (où il fut persécuté), puis l’après-guerre. Il donna au pays un immense Chancelier, Willy Brandt (1969-1974), ainsi que le redoutablement brillant Helmut Schmidt, 97 ans, que j’ai eu l’honneur d’interviewer à Hambourg, en avril 1999. Il avait déjà donné des hommes d’Etat sous la République de Weimar (1919-1933), on pense en priorité, bien sûr, à Friedrich Ebert (1871-1925). Bref, il est impossible de considérer les grandes figures sociales démocrates d’aujourd’hui sans avoir à l’esprit la profondeur des racines de leur parti, dans l’Histoire contemporaine de l’Allemagne.

     

    Hitler et les nazis détestent les sociaux-démocrates. A cause de leur rôle en novembre 1918 (nous y reviendrons), dans l’armistice du 11, puis au moment de Traité de Versailles. C’est la fameuse thèse du « coup de poignard dans le dos ». Dès leur arrivée au pouvoir, ils les persécutent. Et je n’oublierai jamais, depuis que j’ai visité en 1983 le camp de Dachau, les noms des leaders politiques sociaux démocrates qui avaient été les premiers, dès 1933, à y entrer comme détenus. A leurs côtés, des communistes, ex-Spartakistes : eh oui, les premières victimes du nazisme furent des Allemands.

     

    Beaucoup de sociaux démocrates prennent, entre 1933 et 1945, le chemin de l’exil. Pensons principalement à Herbert Ernst Karl Frahm, qui passera toutes ces années en exil en Scandinavie, avant de faire carrière sous le nom de Willy Brandt. Pensons aussi à Erich Ollenhauer (1901-1963), qui nous nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, parce qu’il préside justement le SPD lors de ce fameux Congrès de Bad-Godesberg, du 13 au 15 novembre 1959.

     

    Bad-Godesberg est presque devenu aujourd’hui un nom commun. « Faire son Bad-Godesberg », dans le langage socialiste en Europe, c’est procéder à un aggiornamento vers (un minimum, au moins) d’économie de marché. Donc, prendre congé du marxisme. Aller dans le sens d’Helmut Schmidt, ou de Michel Rocard. Ou de Bruno Kreisky, en Autriche. Ou d’Olof Palme, en Suède. Dans ce Congrès de 1959, c’est bel et bien ce qui s’est passé. Encore faut-il nuancer : la réputation d’une assemblée qui envoie Marx et Engels au musée n’est venue qu’a posteriori, mythifiant ainsi le tournant du Congrès.

     

    En Europe, tout de même, Bad-Godesberg crée la surprise. La doctrine du Congrès d’Heidelberg (1925, en pleine République de Weimar) était encore officiellement en vigueur, elle qui consacrait le dogme marxiste. Il y avait certes eu de premières inflexions vers le marché aux Congrès SPD de Berlin (1954) et Stuttgart (1958), mais elles n’avaient pas triomphé. Il faut préciser ici que dès leur retour dans la vie politique, après la guerre, les sociaux démocrates avaient certes retrouvé leur légitimité, mais n’arrivaient pas, désespérément, à conquérir le pouvoir, au niveau fédéral : échec en 1949, en 1953, et encore en 1957 ; chaque fois, c’est le chrétien-démocrate rhénan Konrad Adenauer qui s’impose. Il gagnera encore en 1961. Sous l’influence de jeunes économistes, comme Karl Schiller et (déjà !) Helmut Schmidt, le parti commence à sentir que le chemin du pouvoir passera par une série de conversions.

     

    Conversion à l’économie de marché, qui a incroyablement fait ses preuves (dopée par le Plan Marshall) dans les années de reconstruction. Conversion au dialogue avec les communautés religieuses, dans ces Allemagnes où ces dernières, catholiques ou réformées, jouent un rôle politique et social tellement important. Conversion à la concertation, c’est d’ailleurs simplement reconnaître l’ADN social de l’Allemagne. Bref, devenir un parti moderne, concurrentiel, pouvoir étendre son électorat au-delà du plafond de 30%. Parvenir au pouvoir. L’exercice sera une réussite totale : moins de dix ans après, l’homme qui avait participé au Congrès de Bad-Godesberg comme Maire de Berlin, Willy Brandt, accède à la Chancellerie (octobre 1969).

     

    Il y aurait beaucoup à dire sur les réactions, sur le moment, dans les partis socialistes européens : elles ne sont pas très chaudes ! A commencer par celle de Guy Mollet, le leader de la SFIO se souvient que sa politique algérienne, très dure comme on sait, dans les années 1956, 1957, avait été condamnée pas les sociaux démocrates allemands. A son tour, il ne se gênera pas pour laisser perler toute la part de trahison que lui inspire la conversion des Allemands.

     

    Il y aurait, aussi, tant à écrire sur toute la distance que les sociaux démocrates, à l’Ouest, entendaient prendre avec le SED, le parti communiste d’Allemagne de l’Est. Tout chemin commun était désormais impossible. A vrai dire, il l’était depuis longtemps. Peut-être, dès les années spartakistes de 1918, 1919, à l’époque de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Mais c’est une autre Histoire. Ou plutôt : c’est la même. A un autre moment du destin allemand.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** L'Histoire allemande en douze tableaux, c'est une série d'été non chronologique, revenant sur douze moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

     

     

     

    *** Prochain épisode (no 5) - 1722 : l'invention du "Clavier bien tempéré", par Jean-Sébastien Bach.

     

     

     

     

  • Série Allemagne - No 3 - Tannenberg (août 1914) - Naissance du mythe Hindenburg

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    L'Histoire allemande en douze tableaux - Série d'été - No 3 - A l'Est, du nouveau : 500 ans après, Hindenburg venge les Chevaliers teutoniques et sauve la Prusse Orientale.

     

     

    Tannenberg : trois syllabes magiques, sonnant l’une des plus éclatantes victoires de l’Histoire militaire allemande, qui n’en est pas avare. Tannenberg, du 26 au 30 août 1914 : la victoire du général Hindenburg, 67 ans, futur maréchal, futur président de la République de Weimar, sur le Grand Duc Nicolas, 58 ans, oncle du Tsar, commandant en chef des Armées impériales russes. Tannenberg, qui met fin pour longtemps aux espoirs russes contre l’Allemagne, et qui sauve la Prusse orientale, jusqu’en 1945, de la domination slave.

     

    Tannenberg, revanche de la défaite subie, au même endroit, par les Chevaliers teutoniques en 1410, face aux Polonais et aux Lituaniens, sous le nom de bataille de Grunwald. Un demi-millénaire plus tard, Hindenburg offre à l’Allemagne son inoubliable revanche : dans le long, le très vieux conflit entre Slaves et Germains, il faut savoir se montrer patient, un siècle c’est parfois court, il faut plonger dans l’Histoire pour saisir les racines du présent. Et qui sait, entre nous, si Kaliningrad ne recommencera pas un jour, dans un siècle, trois siècles, à s’appeler Königsberg ?

     

    L’Histoire retient que l’Allemagne a perdu la Première Guerre Mondiale, avec l’armistice du 11 novembre 1918 (surlendemain de la Révolution allemande), puis les clauses humiliantes du Traité de Versailles. Certes. Mais l’Histoire doit aussi retenir – et transmettre – que sur le front de l’Est, les Allemands furent vainqueurs dès le premier mois de la Guerre. Et que rien, dans les relations germano-russes au vingtième siècle, invasion allemande le 22 juin 1941, Stalingrad fin janvier 1943, puis prise de Berlin par les Soviétiques début mai 1945, rien de tout cela ne peut être compris, si l’on n’intègre pas Tannenberg, août 1914. Ce jour-là, le général Hindenburg, ressuscitant les Chevaliers teutoniques, est entré dans la légende de l’Allemagne éternelle. Elle lui en sera d’ailleurs, pour toujours, reconnaissante.

     

    De quoi s’agit-il ? Lorsque la guerre éclate, le 2 août 1914, la Russie (encore tsariste pour trois ans) est l’alliée de la France et de la Grande Bretagne. Dès le début, les armées du Kaiser se battent sur deux fronts : à l’ouest, ultime guerre de mouvement avant quatre ans de tranchées, ils tentent de prendre Paris, c’est la Bataille de la Marne, qui sera victoire française (honneur aux taxis !) et sauvera la France. A l’Est, c’est la Prusse orientale, si chère au cœur des Allemands, qui devient très vite l’enjeu des combats. Le Tsar, Nicolas II, a nommé son oncle, le Grand Duc Nicolas, à la tête de ses armées. Les Russes entrent en Prusse Orientale, objectif Königsberg. Assurément, la prise de la ville de Kant eût été, en termes d’images comme en importance stratégique, un atout de premier plan. La première contre-attaque allemande échoue le 20 août à Gumbinnen. Le général allemand Maximilian von Prittwitz ordonne la retraite, Berlin ne l’accepte pas, il est relevé de ses fonctions, rien ne va plus.

     

    C’est alors qu’on va chercher un officier de 67 ans, déjà couvert de gloire, mais à la retraite. Paul von Hindenburg, né en 1847, avait déjà, dans sa jeunesse, participé à la Bataille de Sadowa dans la guerre austro-prussienne de 1866, puis en 1870 à la guerre victorieuse contre la France ! A cet homme d’âge mûr, mais nanti d’une incomparable expérience militaire, connaissant par coeur le terrain de la Prusse Orientale, Berlin confie le commandement de la 8ème Armée. Avec une mission simple : sauver la Prusse Orientale, sauver l’Allemagne. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a de l’enjeu !

     

    On a dit souvent de Paul von Hindenburg (1847-1934) qu’il était un Pétain allemand, ou l’inverse, peu importe. Militairement, la comparaison est pertinente : dans les deux cas, Verdun (1916) comme Tannenberg (1914), on a affaire à des victoires décisives, prestigieuses, symboliques, rendant le moral à une génération de combattants. Mais la différence s’arrête là : Pétain s’impose à Verdun sur une stratégie défensive, alors qu’à Tannenberg, Hindenburg fait mouvement. Il coupe en deux les lignes russes de deux généraux (Rennenkampf et Samsonov) qui se détestent mutuellement depuis la guerre russo-japonaise de 1904, 1905. Il confirme, par l’acte, la supériorité morale et matérielle des armées allemandes sur celles des Russes. Les troupes du Kaiser, face à celles du Tsar, sont pourtant, en cette fin août 1914, en nette infériorité numérique : 250'000 Allemands face à 500'000 Russes.

     

    Mais la manœuvre de percée, puis d’encerclement, réussit au-delà de toute espérance : Hindenburg (aidé de Ludendorff, avec lequel il formera un remarquable couple de commandement jusqu’à la fin de la guerre), gagne la bataille, des dizaines de milliers de Russes sont faits prisonniers, Samsonov se suicide dans une forêt, le Tsar est défait.

     

    La suite, on la connaît : Tannenberg fait de Paul von Hindenburg une légende. En 1925, il est élu Président de la République (celle de Weimar), puis réélu en 1932 contre un certain… Adolf Hitler. Le vieux maréchal déteste le petit caporal de 1914. Mais le 30 janvier 1933, il n’aura d’autre possibilité que de lui confier la Chancellerie du Reich. Il meurt un an après, funérailles grandioses et nationales. A partir de 1934, Hitler peut concentrer entre ses mains tous les pouvoirs. Lui aussi, de 1941 à 1945, mènera campagne contre les Russes. Et finira par perdre. Tout perdre. Se perdre lui-même. Perdre l’Allemagne. Là où le vieil officier prussien, de 42 ans son aîné, fin août 1914, avait signé une incomparable victoire.

     

    Sur ces événements, je pourrais vous donner d'innombrables conseils de lectures. J'en retiendrai un seul, mais il faut le lire absolument : il s'appelle Août 14, et il est signé d'un certain Alexandre Soljenitsyne.

     

     

    Pascal Décaillet

     

    *** L'Histoire allemande en douze tableaux, c'est une série d'été non chronologique, revenant sur douze moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

     

    *** Prochain épisode (no 4) - Bad Godesberg, 1959 : réunis dans un Congrès qui marquera l'Histoire du socialisme européen, les sociaux-démocrates allemands renoncent à la lutte des classes et au marxisme. Dix ans plus tard (1969), Willy Brandt sera Chancelier d'Allemagne fédérale.