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  • Cessons d'attaquer l'Etat !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 10.12.14
     
     
    J’ai suivi jour après jour, heure après heure même, les longues querelles autour du budget 2015. Il y a, comme tous les ans, une part de tragi-comédie. Laissons aux politiciens les petites joies de ce théâtre. Prenons juste un peu de hauteur. Et plaçons les attaques contre la fonction publique, particulièrement vitriolées en cet automne 2014, dans leur contexte : celui d’une véritable offensive des milieux libéraux, voire ultra, contre tout ce qui ressemble au service universel, tout ce qui provient de l’Etat. Cela, pour une raison simple : ces gens-là n’ont pas la culture de l’Etat. Tétanisés par le seul mirage de la réussite individuelle, ils ne parviennent pas à entrevoir la beauté de la construction collective d’une communauté humaine.


     
    Il ne s’agit pas ici de défendre des privilèges. Assurément, la fonction publique n’en est pas dépourvue, notamment pour les hauts cadres. Il lui appartient, dans chaque Département, de faire le ménage. Mettre fin au copinage, aux prébendes et aux placards dorés, oui : dans le Petit Etat (les fonctionnaires) comme dans le Grand (les régies). Ainsi, rien, je dis bien rien, ne justifie les salaires de certains directeurs, du côté par exemple de l’aéroport. Oui, s’il y a des économies à réaliser, c’est bien du côté des hauts revenus, des nababs et des placards dorés. Mais ces excès ne justifient en rien la vague d’assaut, parfaitement pensée et programmée, contre les serviteurs de l’Etat, dans leur ensemble.


     
    Le plus choquant, c’est qu’on s’en prenne au personnel. Dans un canton qui est en train de griller deux milliards pour une liaison ferroviaire dont j’attends qu’on nous prouve l’efficacité, il y a d’autres arbitrages à opérer que se montrer pusillanime sur l’octroi d’une annuité, ou sur l’aide aux plus faibles au sein du DIP. Et de grâce, qu’on ne vienne pas nous faire la leçon sur la différence entre budget d’investissement et de fonctionnement : pour le CEVA, nous passons tous à la caisse, peu importe la ligne budgétaire. Il faudra d’ailleurs un jour revenir sur l’incroyable arrogance de ces quelques roitelets de la Commission des finances, une quinzaine de personnes sur près d’un demi million, qui n’en peuvent plus de distiller leur jouissance dans leur pouvoir de faire peur, brandir les coupes. Naguère deux libéraux agrippés à leur blason, aujourd’hui d’autres, avec hélas l’appui de la toute récente aile ploutocrate du MCG.


     
    Pour ma part, je suis tout, sauf fonctionnaire. Petit entrepreneur depuis bientôt neuf ans, j’assume le risque économique, j’ai toujours un peu peur. Je sais ce que signifie payer un loyer professionnel, une charge salariale, les assurances sociales. Mais voilà, à côté de cela, je suis citoyen. Et comme tel, je veux contribuer à entretenir ce qui nous rassemble, dans l’amour du pays et celui de la République. L’école, la santé, la sécurité et font partie au premier plan. Elles doivent certes produire des efforts de gestion, nous sommes tous d’accord. Mais s’acharner à les démanteler, en multipliant les attaques ou les petites piques, relève d’un esprit qui n’est pas le mien. J’appelle ici la population à se battre pour l’idée de l’Etat : il est notre meilleur rempart contre la jungle, la loi du plus fort, la tyrannie du possédant, l’arrogance du pouvoir. 

     


    Pascal Décaillet

     

  • Serge Dal Busco : une chance pour Genève

     

    Sur le vif - Dimanche 07.12.14 - 17.48h

     

    L’homme de caractère, c’est dans la tempête qu’on le reconnaît, pas dans la tiédeur des agapes. Celui qui fait front. Celui qui ne se laisse démonter ni par les attaques, ni par le vent mauvais. Dans l’actuel septuor qui dirige Genève, un caractère émerge, doucement, mais creusant son sillon avec toujours plus de force : Serge Dal Busco. Ni matamore, ni glaçon : juste un homme qui mène son entreprise. Un homme qui se bat.

     

    Je dis ici qu’il émerge doucement : il n’a pas l’autorité statutaire du glaçon pour parler au nom du collège, ni la faconde festive de son collègue de parti pour vibrionner dans le vide sidéral de la mondanité sociale. Cette équipe a des maillons faibles, deux à mes yeux, comme il y en eut deux dans le collège précédent. Elle a son évanescence diaphane, entrée en troisième législature comme on entre dans un Ordre silencieux, ou dans l’ère glaciaire. Elle a son petit rusé qui sait se taire quand ça va mal, histoire de ne pas compromettre sa future carrière fédérale, mondiale, cosmique. Et puis, elle a la chance d’avoir Serge Dal Busco.

     

    L’homme est rude, incroyablement bosseur, déterminé. Il a hérité du Département des finances alors que les caisses sont vides, la conjoncture moins souriante que sous M. Hiler, le renflouement des caisses de pension plombe pour des décennies toute audace d’investissement, et ne parlons pas du CEVA. Homme d’exécutif, il n’a pas le contact très aisé avec la ductilité parlementaire, c’était déjà le cas lorsqu’il était député. Attaqué sur une mythologie d’absentéisme en Commission des finances, concoctée entre la droite ultra-libérale et une partie de la gauche, il répond par des faits : « Mercredi, j’y ai siégé huit heures ». Il n’accuse personne, ne braille pas, donne juste une réalité factuelle.

     

    Serge Dal Busco est un démocrate-chrétien, totalement mûri dans la philosophie de cette tradition politique, mais avec en plus, face à la dimension d’Etat, la raideur régalienne d’un radical. Du PDC, il a toutes les qualités : la chaleur, la famille, la convivialité. Des radicaux, il a la tenue. Nous avons un peu moins perçu cette dernière dans les frasques de son collègue de parti.

     

    Alors oui, j’affirme ici que Genève tient, avec cet homme-là, la puissance de travail, de caractère, de solitude qui, un jour, au service du plus grand nombre, pourrait faire la différence. Non comme un homme providentiel, cela n’est guère dans nos traditions suisses. Mais comme celui dont l’ardeur et l’amour du pays donneront l’exemple. J’ai souvent identifié, dans mes textes, les maillons faibles, je le fais en général bien en amont de la meute. Il ne me déplaît pas, non plus, de percevoir les maillons forts. Ces derniers sont simplement plus rares. Mais assurément, Serge Dal Busco en fait partie.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Conseil d'Etat : le Vaisseau fantôme

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    Publié dans GHI - Mercredi 03.12.14

     

    En présentant au public de Dresde, fière capitale de la Saxe, la Première de son opéra « Le Vaisseau fantôme », le 2 janvier 1843, Richard Wagner aurait-il éprouvé, avec 170 ans d’avance,  comme une prémonition de l’actuel Conseil d’Etat genevois ? Pour ma part, j’adore cette œuvre, que j’ai vue pour la première fois à l’âge de seize ans. Il y est question d’un Hollandais volant, qui dérive sur les mers. Un Vaisseau fantôme, par définition, ne sait où il va. Il a perdu tout contrôle de lui-même. Le pilote est évanescent, diaphane comme nuage sous la lune. L’équipage invisible, muet. Le livre de bord, englouti au fond des mers. Dans la cabine de pilotage, un vieux compas rouillé, battu par le vent glacé.

     

    A l’image du Hollandais volant, le gouvernement de Genève donne davantage l’impression de dériver que de tenir un cap. Il aura suffi que survienne le premier automne, avec le rugissement d’une grève, la promesse d’une autre, le traditionnel bras-de-fer autour du budget, pour que ces fiers enfants de la Gaule s’évaporent comme marins d’eau douce, soudain moussaillons clopinant sur le pont arrière : ne manquent que l’orchestre, le frisson de l’ultime baiser, la grâce immaculée de l’iceberg. Car enfin, dans la première grève des TPG, on a commencé par laisser un bleu monter à l’abordage, avec menaces, rodomontades. Il a fait le matamore, oui, mais au matin s’est démonté, dès la première clarté. Il avait parlé de faire intervenir la police, c’était en ordre avec son collègue, pourquoi pas l’armée. Au final, il n’y eut ni l’une, ni l’autre. On n’aura, dans cette affaire, ruiné que son propre crédit.

     

    Le matamore ayant un peu trop ruminé, croyez-vous qu’on eût publiquement montré une quelconque désapprobation ? On aurait pu, soit le soutenir, soit signifier la distance. On ne fit ni l’un, ni l’autre. On ne régna que par le silence. On ne se montra pas. On ne parla pas. On rasa les murs en trottinant, d’une passerelle l’autre, dans la nuit fantomatique des flots impérieux. Le voilà donc, le Conseil d’Etat 2013-2018 ! Le voilà, ce singulier attelage où celui qui parle trop dispute la vedette à ceux qui trop se taisent, comme si toute parole, toute intervention, se trouvaient par nécessité frappées du sceau de décalage. Un concert dont toute la partition aurait trouvé son édification sur le principe de la fausse note.

     

    Face à cette non-pertinence, l’impertinence s’impose. Qui sommes-nous, après tout ? Mais enfin, des citoyens, tout de même, pas des sujets ! Le respect de l’autorité, lorsque cette dernière ne s’impose pas d’elle-même, a des limites. Face à la pression sociale, face à l’extrême difficulté d’élaborer un budget, on aimerait entendre le collège parler avec vision, cohérence. Alors que chacun s’efforce, dans son coin, de préserver le pré-carré de son dicastère, brandissant des menaces de licenciements dès que la tragi-comédie budgétaire de l’automne feint de toucher à un Département. Apeurés, les ministres ! Le signal, dans la cabine de pilotage, ou sur le pont avant, n’est pas le meilleur pour inspirer la confiance. Malgré la grâce de l’orchestre. Et le sourire de l’iceberg.

     

    Pascal Décaillet