Edito publié ce matin en une du Giornale del Popolo, sous le titre "Profunde radici, rami al vento"
Moi, Valaisan de Genève, petit-fils et neveu de catholiques conservateurs, on me demande d’évoquer ici, pour mes amis tessinois qui en connaissent un sacré bout, la démocratie chrétienne suisse, à l’occasion de ses cent ans ! Valais, Genève, Tessin, mais aussi Fribourg, Jura, Soleure, Suisse centrale et orientale, et tous les autres aussi : le PDC est partout ! Cent ans et six mois après sa création, le 22 avril 1912, à l’Unionsaal de Lucerne, le parti est vivant. Il n’est certes pas le premier du pays, ni même le deuxième, ni vraiment le troisième, mais il est bien là, dans le paysage. Avec la puissance entremêlée de ses racines. La force de la terre. L’ancrage profond de la Vieille Suisse, celle d’avant le Sonderbund, avant 1798, et même avant 1648. Cette Suisse-là, de Chiasso à Romanshorn, n’est pas morte. Elle a la vie beaucoup plus dure qu’on ne l’imagine : c’est le miracle du PDC.
Il faut le rappeler aujourd’hui, le mot « PDC » ne date que de 1970. Auparavant, il y avait des noirs ou des jaunes, des catholiques conservateurs ou des chrétiens sociaux, tout se passait dans les cantons. D’ailleurs le parti national ne joue pas depuis si longtemps un rôle majeur, même s’il eut d’importants présidents, comme Flavio Cotti (1984-1986), Carlo Schmid (1992-1994), Doris Leuthard (2004-2006), et surtout l’actuel, Christophe Darbellay (depuis 2006). La force du PDC, c’est le fédéralisme. La grande chance historique du parti, à travers les décennies, c’est la diversité de ses sensibilités cantonales.
Pourquoi l’Histoire du PDC est-elle, avec celle des libéraux-radicaux, la plus passionnante ? Parce que tout ce parti est un incroyable mélange entre des valeurs communes (la Doctrine sociale de l’Eglise, promulguée en 1891 par Léon XIII, Rerum Novarum), oui des racines dans la profondeur de la terre, et toute l’immense diversité, aérienne, volatile, sensible au vent, des branches et des feuillages. N’oublions jamais que les mouvements chrétiens sociaux ou catholiques conservateurs, dans les cantons, sont nés d’une réaction. Après la défaite du Sonderbund (novembre 1847), la Suisse de 1848 a été conçue, imaginée, bâtie par des radicaux, en laissant largement de côté les vaincus catholiques. Oui, pendant 43 ans, on a « fait sans eux » ! Sept conseillers fédéraux radicaux sur sept : au moins, c’était clair ! Jusqu’à ce jour de 1891 (l’année de Rerum Novarum !) où le premier catholique conservateur, le Lucernois Josef Zemp, arrive au Conseil fédéral. Le début de la réconciliation. La fin du temps de la réaction (très vive, dans les cantons), le début de celui de la construction.
A partir de là, au niveau national, les vaincus du Sonderbund prendront une part toujours plus grande à la vie politique du pays. Comment ne pas citer le Tessinois Giuseppe Motta, l’une de nos plus grandes figures suisses, conseiller fédéral de 1912 à 1940, cinq fois président de la Confédération ! Un conseiller fédéral, puis deux, et même trois pendant une courte période des années cinquante, puis à nouveau un seul à partir de la chute de Ruth Metzler (décembre 2003). « Mourir pour renaître », avais-je alors titré, anticipant sur le véritable travail de résurrection accompli par les présidents Doris Leuthard et Christophe Darbellay.
Car aujourd’hui, la démocratie chrétienne suisse ne se porte pas si mal. Bien sûr, elle a perdu des plumes dans les vingt années d’ascension de l’UDC que nous venons de vivre. Mais le PLR aussi en a perdues. Et au fond, à y regarder de près, dans les cantons, les communes, au Conseil des Etats, le PDC est là. Il faut lui reconnaître un art de la survie, sans doute d’inspiration italienne, style Andreotti, qui force l’admiration ! Regardez-le, le Divo Giulio : il est toujours là, alors que Berlusconi va connaître la prison.
Qu’on partage ou non les thèses du PDC, qu’on soit ou non exaspéré par sa souplesse, ou sa volatilité, ou son centrisme, dans certains cantons, lui permettant de toujours s’en sortir, il faut aujourd’hui considérer l’ampleur de l’apport de cette famille politique à la construction de notre pays. De très grands hommes, je pense bien sûr à Furgler, un engagement sans faille au niveau local, oui le PDC est bien là. Et sans doute, l’air de rien, pour pas mal de temps encore. Parce qu’il fait partie du paysage suisse. Bon Anniversaire !
Pascal Décaillet