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  • Vivant, au milieu des vivants

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 12.10.12

     

    Je suis un être plutôt solitaire, ne fréquente aucune amicale ni société, consacre mon temps libre à ma famille, la marche et la lecture. Je ne suis d’aucune faction, d’aucun parti, d’aucune obédience. Pourtant, dans la sauvagerie librement choisie de cette indépendance, il existe une grande communauté invisible, seule et unique, dont je me reconnais puissamment comme membre : l’Eglise catholique. Je pourrais tout autant dire le christianisme, les protestants étant mes frères, et sans doute les orthodoxes aussi. Mais enfin, il se trouve que mon éducation est catholique, les maîtres qui m’ont formé (dont certains admirables, au-delà de tout) le furent. Mes lectures, aussi, innombrables, grâce à des Editions comme Saint-Augustin, je pense par exemple aux œuvres du Cardinal Martini, qui nous a quittés le 31 août dernier, et qui était un intellectuel de premier ordre.

     

    Je dis communauté invisible. Je ne parle pas de la foi, n’en étant tout simplement pas capable. Vous me direz, à juste titre, que je viens ici me réclamer d’une appartenance – puissante, tellurique, tenace, nourricière – en refusant d’en dire plus long sur l’essentiel, ce qui fonde et justifie l’ensemble. Je reconnais le paradoxe. Il n’est pas mince. Mais enfin, osons la question : et si l’immense majorité des baptisés de 2012, en nos contrées, n’étaient pas, au fond, dans une situation similaire ? Chrétiens, oui, habités d’une petite lumière qui n’extorque pas tous les jours, ni dans toutes les vies, l’aveu de feu du martyre, ce témoin des premiers temps qui risque sa tête pour l’équation d’une identité : « Je suis chrétien ». Serions-nous tous, ici, les ultimes reliquats d’une ancestrale Théogonie, le temps des dieux, comme chez Hésiode, celui des héros, admirable certes mais lointain, à la lisière de l’oubli ?

     

    Je suis un mauvais chrétien. Je pressens l’incandescence du lien. Mais n’entreprend pas grand-chose de très concret, dans ma vie, pour mettre en œuvre, en énergie, en actes, ce qui pourrait être un engagement. A la vérité, comme pour la politique, je me retiens. Des milliers d’heures à observer, intérioriser, décortiquer, décrypter, tenter de comprendre, expliquer aux autres, prendre des positions éditoriales, oui, marquées. Mais au moment suprême qui serait celui de l’engagement, sous une flamme ou sous une bannière, la rétention de l’acte. Je préciserai simplement à ma décharge qu’une vie de chroniqueur et d’éditorialiste peut être conçue, assurément, comme une grande aventure en soi, avec du risque, un ou deux amis et des armées d’ennemis, c’est la vie. Elle est paradoxale. Car un mauvais chrétien est avant tout un chrétien. Il rumine en son for sur sa tiédeur, mais il est de la famille. Il en est de tout son sang, de tous son corps, de toute son âme. Déraciné ? Qui ne l’est pas ? Vivant, c’est sûr. Au milieu des vivants. C’est peu. Mais ça n’est pas rien.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le champagne, les huîtres, le peuple

     

    Sur le vif - Samedi 06.10.12 - 09.22h

     

    Non, non et non. La « bourde » de la chancellerie genevoise ne peut se ramener, avec le sourire, à une Genferei de plus. C’est un acte grave : il a peut-être, sans doute même, empêché le peuple suisse de se prononcer sur les accords fiscaux, notamment celui, si crucial et si disputé, avec l’Allemagne. Un communiqué de la chancellerie, non signé (qui en est le véritable auteur ?), envoyé hier après-midi aux rédactions, ne peut en aucun cas tenir lieu d’épilogue. Ni le mot « bourde », conclure l’affaire, qui serait ainsi versée au menu des Revues de fin d’année, histoire de faire bien rire le bourgeois, en attendant le champagne et les huîtres.

     

    Si vraiment, avec les signatures genevoises, le nombre de signatures valables atteint ou dépasse les 50'000 nécessaires à un référendum, alors le peuple doit voter sur ces accords. Qu’il les accepte, qu’il les refuse, qu’il fasse ce qu’il veut, mais qu’il se prononce. Dans le cas contraire, l’ombre du doute s’installera pour longtemps. La « bourde » genevoise en est-elle vraiment une ? Négligence, ou intention ? On va actionner des fusibles, désigner des lampistes ? Le communiqué d’hier, qui en est l’auteur ? La chancellerie, qui la dirige ?

     

    Je n’accepte pas, pour ma part, que l’on cantonne cette affaire dans le registre du vaudeville. Elle vient s’ajouter à d’autres, ici les funérailles d’un évêque, là le candidat Christophe Lüscher, sans compter les enveloppes de vote qui arrivent de plus en plus tard. Il y a un moment où le politique doit répondre : trop facile de sanctionner un fonctionnaire intermédiaire pour négligence, ou distraction. Car enfin, dans le cas d’espèce, et quoi que pense chacun de nous des accords avec l’Allemagne, c’est le peuple suisse tout entier qu’on prive de parole. Sous d’autres cieux, moins protégés, on rend son tablier pour moins que ça.

     

    Mais ici, les cieux sont protégés. L’ordre règne. Et le silence est d’or.

     

    Pascal Décaillet