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  • Le sourire de Clyde

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    Dimanche 19.02.12 - 10.58h

     

    Le sourire d'un homme à un autre homme. En quelques secondes, l'éternité d'une séduction. Armie Hammer (Clyde Tolson) face à Leonardo DiCaprio (John Edgar Hoover, le patron du FBI de 1924 à 1972, sous huit présidents).

     

    C'est dans le film de Clint Eastwood, « J. Edgar », à voir absolument. Je m'y suis précipité hier soir, ayant lu avec  passion, il y a quelques années, la remarquable « Malédiction d'Edgar » de Marc Dugain (Folio, 2007).

     

    L'histoire du film est celle de ce sourire initial. Entretien d'embauche. Tolson veut entrer au FBI. Edgar, face à lui, commence son demi-siècle de règne absolu. Clyde lui sort-il le grand jeu, ou est-il lui-même pris ? Epris. Les deux destins se nouent. Jamais ne se sépareront.

     

    De ces deux hommes, lequel est saisi ? Foudre et cendre, ils ne sont plus qu'un, y compris dans « l'empoignade virile » (je sens que le mot va faire école !) d'une scène de jalousie, sur des tessons de verre. « J. Edgar » est sans doute un film sur la noirceur de l'Amérique. Mais c'est, avant tout, une éblouissante histoire d'amour. Une affaire de destin. Contre laquelle on ne peut rien.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ouvrez votre blog ! Ecrivez ! Publiez !

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Samedi 18.02.12



    J'ai commencé le journalisme par de premières piges, au Journal de Genève, à l'automne 1976. Dans ce même journal, quelques années plus tard, j'ai accompli mon stage pour devenir professionnel, en rubrique nationale. Par tournus, jusqu'à une heure du matin, voire plus tard, j'ai assumé la responsabilité d'édition : nous restions au journal jusqu'à ce que nous puissions toucher, humer, les exemplaires qui sortaient tout chauds d'une rotative se trouvant au rez-de-chaussée de notre propre rédaction, rue du Général-Dufour ! Et puis, avec les typographes, nous allions boire une bière à l'Inter, le seul bistrot encore ouvert.

    Ça n'était juste plus le plomb (que j'ai connu au début), mais enfin c'était quelque chose d'incroyablement fort, familial, artisanal. Cela sentait l'encre, le papier, nous communiquions nos textes à la mise ou à la saisie par pneumatiques ! Et tous, journalistes, typographes, opérateurs de saisie, rotativistes, employés d'expédition, je crois que nous étions heureux. Nous tirions à la même corde, avec en point de mire un seul produit : le journal. J'aimais aussi les dimanches après-midi, lorsque nous n'étions que trois ou quatre en rédaction. Et nous sortions un journal ! C'est dire mon émotion lorsque, le 28 février 1998 (j'étais entre-temps passé à la RSR), je suis retourné rue du Général-Dufour, dans ce bureau qui avait été celui de René Payot, pour une émission spéciale, en direct avec toute l'équipe chargée de fabriquer le dernier numéro d'une immense aventure, qui avait commencé avec James Fazy en 1826.

    Trente ans après, face à mon blog, je me retrouve à exercer seul tous les métiers à la fois de cette époque-là : je rédige mes commentaires, je les titre, je les illustre, je détermine la graisse et le corps du caractère, je publie, et j'assure même le courrier des lecteurs, puisque je viens de publier, à l'instant, mon neuf-millième commentaire depuis octobre 2007 ! Et ce rôle d'homme-orchestre, nous tous pouvons le tenir, c'est très facile, il suffit d'avoir des choses à dire, aimer écrire, mettre en page, réagir à vif à l'actualité. Oui, publier est aujourd'hui à la portée de tous. Pourquoi s'en plaindre ? Sur le principe, je trouve cela plutôt extraordinaire, démocratique, de nature à revaloriser le goût de l'écriture, de la chronique, du journal intime. Sans papier, certes. Mais le papier est-il un but en soi ?

    Dans mon métier de journaliste indépendant, j'ai la chance de travailler pour tous les supports : presse écrite, radio, télévision, internet. Mais ce moment d'intimité du blog, cette solitude éditoriale, trouver des dizaines de milliers de « visiteurs » au rendez-vous, m'apportent un rare bonheur. Si vous êtes hésitant, vous qui me lisez, franchissez le pas : créez votre blog. Ecrivez. Publiez. Conquise de haute lutte par les combats de nos ancêtres, la liberté d'expression est garantie en Suisse. Et elle ne s'use, c'est bien connu, que lorsque les citoyens ne s'en servent pas.



    Pascal Décaillet

     

  • Cingria : « Un exercice humain et savant de la vie »

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    Vendredi 17.02.12 - 15.31h

     

    Les deux bébés sont sous mes yeux : vivants ! Ces deux livres tant attendus, depuis tant d'années : la partie « Récits » des Œuvres complètes de Charles-Albert Cingria, aux Editions L'Âge d'Homme. En tout, plus de deux mille pages. Et ce ne sont que les « Récits ». Restent les « Essais » et les « Propos ». J'y reviendrai largement, dans les mois qui viennent, charge à moi de m'y plonger, ce que je compte faire au plus tard cet été, sur une colline d'Italie.

     

    Mais je voulais juste, là, signaler le bonheur d'avoir enfin ces ouvrages au bout des doigts. Surtout, notre reconnaissance de lecteurs aux bourreaux de travail qui ont permis que ce fût un jour possible : Alain Corbellari, Maryke de Courten, Pierre-Marie Joris, Marie-Thérèse Lathion, Daniel Maggetti, et beaucoup d'autres.

     

    A feuilleter cette somme, on retrouve, enfin réunis (dans une autre logique que l'édition en douze volumes de Pierre-Olivier Walzer, déjà chez  L'Âge d'Homme, de 1967 à 1981), tous ces textes disparates qu'on a chez soi, de « Bois sec Bois vert » aux « Florides helvètes », en passant par « Le Bey de Pergame », « Brumaire savoisien », « Le Parcours du Haut Rhône ». Mais avant tout, quantité d'inédits et « d'Ateliers » : « Feuillets épars, notes, textes incomplets, souvent très travaillés et laissés là en attendant un moment plus propice ; certains, lacunaires, paraissent être rescapés d'un naufrage, d'une catastrophe ou d'un accident » (Doris Jakubec). L'appareil critique est somptueux.

     

    Grâce à mon ami Pierre-Marie Joris, médiéviste et maître de conférences à l'Université de Poitiers, qui s'est immergé comme peu d'humains dans la troublante immensité de cette œuvre, j'ai pu éprouver, par la passion de ses témoignages, dans la dernière décennie, la part d'aventure et de défi de ce travail éditorial. Toute sa vie (1883-1954), Cingria n'a cessé de jeter sur le papier textes, notes de musique, dessins, chroniques, remarques éparses. Tout cela, il a fallu lui donner un sens. En refusant  l'ordre chronologique de Pierre-Olivier Walzer au profit d'autre chose. De quoi ? Eh bien, pour le seul ordre des « Récits », l'équipe éditoriale a créé deux séries : « Itinéraires et lieux dits », et « Histoires et scènes », avec des déclinaisons  en fonction (Jakubec) « des modalités de rythmes, d'actions, d'impressions, de jeux ». Bref, on a classé en fonction de la petite musique des textes, et ce parti pris, plutôt nouveau, est extraordinairement intéressant : ni l'alphabet, ni le temps qui passe, juste les crus en fonction des saveurs. Il fallait pour cela, chez chacun des éditeurs, une connaissance de l'œuvre - on dirait presque « par cépages » - d'une étonnante intimité. Un classement à partir de l'œuvre elle-même, la structure de ses goûts, terroir par terroir.

     

    Reste l'essentiel. Lire Cingria. Exercice d'apnée. Mer Rouge. Ce double volume, oui, avec la richesse de son apparat critique, la variété des inédits, le nouveau regard éditorial jeté sur l'un de nos plus grands écrivains romands, génial chroniqueur, sera ouvreur de portes, aiguiseur d'envies, jalonneur de connaissances. Deux livres, en ce début d'année 2012, qui constituent une étape majeure dans l'Histoire des lettres romandes.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Charles-Albert Cingria, Œuvres complètes, Récits, Editions L'Âge d'Homme, Collection Caryatides, deux volumes, 2011.