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  • Lettre ouverte à Eva Joly

     

    Sur le vif - Samedi 16.07.11 - 17.05h

     

    Chère Madame,

     

    En aucun cas, si j'étais Français, je ne vous attaquerais sur vos origines. Vous êtes certes née Norvégienne, comme d'autres sont nés Malgaches ou Maghrébins, Berbères ou Sénégalais : les cimetières militaires, de Verdun à Monte Cassino, sont surpeuplés des cadavres de ces autres, ces étrangers (« et nos frères pourtant ») qui, en son plus grand péril, par leur sang versé, donnèrent à la France son visage d'aujourd'hui. Moi-même, je ne suis pas Français, mais Suisse, mais l'Histoire de votre pays, depuis des décennies, encombre les bibliothèques de mon appartement, grimpe comme du lierre jusques aux plafonds, je ne sais plus où mettre ces bouquins, me fais engueuler pour leur surabondance,  ils accompagnent ma vie, j'ai besoin de leur présence. Un homme, c'est une mémoire. Celle de ses lectures, notamment.

     

    Je ne suis pas d'accord, non plus, qu'on mette en cause votre statut de Française. Une fois qu'on a obtenu la nationalité, on l'a. Il n'y a pas, sauf à créer des précédents de type vichyste, à aller déterrer ce qu'on était avant. Il n'y a pas des Français d'origine norvégienne, ni des Français d'origine polonaise : il y a des Français tout court, comme il y a des Suisses tout court. La nationalité, comme la République, ne se divise pas. Pas plus qu'une fois octroyée, elle ne se retire.

     

    Reste la question du défilé. On aime ou non. Que la citoyenne Eva Joly ne soit pas trop sensible à cette pompe, ne pose aucun problème. Mais la candidate à la présidence de la République, c'est autre chose. En France, le chef de l'Etat est chef des Armées, cela depuis toujours, et bien avant la République. Le domaine militaire fait même partie, avec les Affaires étrangères, du pré-carré régalien de ses cabinets personnels, au grand dam de la rue Saint-Dominique et du Quai d'Orsay, les ministères de la Défense et des Affaires étrangères ayant, de toute éternité, dans ce pays, vocation à se faire régulièrement griller, et court-circuiter, par les entourages personnels du chef de l'Etat. La Cinquième République, en renforçant à juste titre le pouvoir présidentiel en 1958, puis 1962, a augmenté ces prérogatives régaliennes. Bref, en France, le président de la République - poste auquel vous aspirez - ne peut en aucun cas se désintéresser de la chose militaire, il lui est consubstantiellement lié.

     

    Bien sûr, par votre déclaration, vous n'avez pas demandé l'abolition de l'armée française. Mais enfin, au moment même où cinq enfants de ce pays, porteurs de l'uniforme qui fut celui de Valmy et de Jemmapes, de la Marne et de Verdun, mais aussi de l'admirable armée d'Italie du futur maréchal Juin, constituée d'Algériens et de Pieds Noirs, de tirailleurs lointains, bien plus loin que la Norvège, au moment où cinq de ces soldats français se faisaient tuer en Afghanistan, il n'était peut-être pas extraordinairement opportun, de votre part, de refuser à l'armée française le droit de défiler, une fois par an, sur les Champs.

     

    Car enfin, qu'évoquent-ils, les Champs ? Le défilé de 1919, bien sûr, avec les nouveaux maréchaux (dont Pétain) sur leurs chevaux blancs. Mais aussi, celui de la Libération, « Ah, c'est la mer ! », 26 août 1944, marée humaine, et les Allemands, sur quelque toit, qui tirent encore, et les larmes de joie sur les millions de joue, et le Magnificat, bientôt, à Notre-Dame. Je m'abstiendrai, bien que j'eusse aimé en être, de mentionner la contre-manifestation « fin de récréation » du 30 mai 1968, afin de ne pas entraver mon verbe d'alluvions par trop Versaillaises. Je dirai simplement que cette admirable avenue est celle du peuple français tout entier, mais aussi des peuples du monde : les héritiers de ceux qui, pendant vingt siècles, ont versé, sur tous les champs de bataille d'Europe, leur sang pour ce pays, me semblent avoir droit, une fois par an, d'y défiler.

     

    Je crois, Chère Madame, que vous avez commis une erreur. On reproche déjà beaucoup aux Verts d'être un parti sans Histoire, sans mémoire. Ce défilé, ça n'est pas seulement un hommage à l'armée française d'aujourd'hui, mais à l'ensemble du sang versé, pendant  des siècles, pour que ce pays aimé ait aujourd'hui le visage qui est le sien. Soldats de l'An II, guerres de la Révolution, puis de l'Empire, million et demi de morts entre 1914 et 1918, monuments de marbre dans le plus reculé des villages de France, combats de mai-juin 1940, puis de la Libération. Ça n'est pas être exagérément militariste que se souvenir de ce sang et de ces morts. C'est, simplement, reconnaître le tragique de l'Histoire. Et donner au sacrifice des plus humbles, à travers le temps, un minimum de gratitude.

     

    Je vous souhaite, Chère Madame, une excellente suite de campagne.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Anne Bisang : les vrais enjeux d'un parachute

     

    Sur le vif - Samedi 16.07.11 - 10.48h

     

    À Genève, il est très clair que l'affaire du « parachute » de 200'000 francs prévu pour la reconversion d'Anne Bisang, à charge de l'Etat et de la Ville, ne passera pas comme cela. La violence des réactions, depuis la révélation de cette affaire, hier, par la Tribune de Genève, obligera ceux qui ont ourdi cet octroi à une démarche de transparence et d'explications autrement plus sérieuse que les gentilles réponses - aux gentilles questions - de Joëlle Comé, directrice du Service cantonal de la Culture, dans le Temps de ce matin.

     

    Bizarrement publiée dans les pages culturelles (alors que l'affaire, impliquant l'argent du contribuable, et des nœuds de copinage partisans, est éminemment politique), cette interview ne brille pas franchement pas par son sens critique, encore moins par sa polyphonie (une seule voix, pas du tout contrariée). Elle n'est accompagnée d'aucune mise en perspective. Bref, pour un journal qui se veut celui de l'analyse et de l'intelligence, c'est un peu juste.

     

    Dans cette affaire, ça n'est pas tellement Anne Bisang qu'il faut incriminer. Mais un certain réseau de proximités socialistes de plus en plus puissant et consanguin, au niveau cantonal, dans la gestion des affaires culturelles. Sans compter que, désormais, la Culture municipale, plus de 200 millions de budget annuel, est passée aussi en mains socialistes. Il ne s'agit pas d'instruire un procès d'intention à Sami Kanaan, manifestement homme de valeur et d'honnêteté. Mais de constater - nous l'avons déjà fait ici, ce printemps - que l'ensemble des décisions publiques culturelles à Genève, pour deux ans en tout cas (le terme du mandat de Charles Beer), sera dans le pouvoir d'un seul parti. En République, ça n'est jamais très bon.

     

    Le risque d'abus, de République des copains (et des copines), de petits services entre soi rendus, est énorme. C'est à cela, dans les mois qui viennent, qu'il va falloir veiller. Ce sera, notamment, le rôle des commissions de contrôle parlementaires. Un Parlement, qu'il soit municipal, cantonal ou fédéral, n'est jamais aussi grand que lorsqu'il sourcille, s'étonne, demande des explications, vérifie, dénonce. C'est cela, son rôle historique, et non élire l'exécutif.

     

    Oui, cette affaire est politique, elle n'a rien de culturel. La principale intéressée n'a-t-elle pas, constamment, pendant ses douze ans à la tête de la Comédie, prôné la politisation de toute chose ? Avec Brecht et Aristote, nous lui donnons raison. Mais, dans le cas d'espèce qui nous intéresse, elle devra aussi, même à son corps défendant, accepter ce primat.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Les larmes de Massimo

     

    Sur le vif - Vendredi 15.07.11 - 19.32h

     

    J'ai beaucoup de respect et d'amitié pour Massimo Lorenzi, le chef des sports à la RTS, mais ses larmes, à l'instant dans Forum, n'y pourront rien changer. L'achat, pour 30 millions, des droits de retransmission des matches de Super League par Swisscom TV, relève de la pure loi du marché, n'a strictement rien de scélérat, fait partie de la vie. Il ne porte strictement nulle atteinte au domaine régalien du service public, pour peu que ce champ fantasmatique de virginité doive d'ailleurs exister. Il n'y a pas, d'un côté, un service public qui ferait éthiquement son boulot en matière de sports, et de l'autre les ignobles privés qui ne penseraient qu'à l'argent. Il s'agit de montrer des matches de foot, pas de sauver, que je sache, le cœur mystique de notre nation. À cet égard, Massimo a eu des mots beaucoup trop durs, arrogants même, face aux commentateurs de Swisscom TV : je connais, parmi ces derniers, certains des meilleurs journalistes sportifs du pays.

     

    C'est sûr, pour Swisscom TV, c'est un coup de maître. De loin, l'attaque la plus dévastatrice du privé contre la SSR de Roger de Weck, parce qu'elle porte sur des sommes considérables, va aiguiser chez d'autres des pulsions de concurrence. Je pense, particulièrement, aux chaînes régionales privées, qui doivent maintenant se réveiller, ne plus se considérer comme de timides petites sœurs, porter l'attaque, même avec cent fois moins de moyens. Le récent papier de Christophe Rasch, directeur de la Télé, dans le Temps, relayé par son homologue Antoni Mayer, de Léman Bleu, avait les délicieux accents salés d'une déclaration de guerre. Cette guerre, mille fois justifiée par une loi sur la radio et la télévision (LRTV) taillée sur mesure pour le Mammouth, les privés doivent maintenant la mener.

     

    Regarder un match de foot gratuitement ne fait pas partie des droits imprescriptibles de la personne humaine. Sur Swisscom TV, on paiera Fr. 2.50 par match, c'est plus que raisonnable ! Et c'est une forme de redevance intelligente, puisqu'elle est ciblée sur le produit consommé, et non versée à l'aveugle, comme les 463 francs annuels versés par chacun d'entre nous à la SSR.

     

    La concurrence ne doit évidemment pas se cantonner aux droits de retransmissions sportives. Dans les émissions politiques, les débats citoyens, la culture, l'économie, les antennes privées doivent se battre, montrer, sur leurs terrains respectifs, qu'elles existent. Même avec des moyens dérisoires : l'argent ne viendra, de la part des milieux économiques locaux, que si les investisseurs sentent dans ces chaînes une volonté de faire la guerre. Sinon, elles disparaîtront. Ainsi fonctionne la concurrence : dure, cruelle, mais tellement stimulante pour qui aime entreprendre.

     

    Pascal Décaillet