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  • Oslo : les petits ayatollahs de la petite Suisse

     

    Sur le vif - Lundi 25.07.11 - 19.30h

     

    Je l'ai dit dans mon texte précédent, la Suisse est multiculturelle, c'est dans sa nature, son Histoire, je plaide pour qu'elle le demeure. Mais sur un point, il faut être parfaitement clair : demander de contrôler l'immigration, comme le fait aujourd'hui l'UDC avec sa nouvelle initiative, relève du débat démocratique. Je ne voterai certainement pas cette initiative, comme j'ai rejeté celle sur les minarets, mais il n'y a strictement rien à dire, faute à s'ériger en ayatollahs de la censure, à ce que ce thème émerge dans l'espace public. Si le texte obtient les signatures, nous aurons un grand débat national sur le sujet, il y aura des pour, il y aura des contre, et un beau dimanche, le peuple et les cantons trancheront. Cela s'appelle la démocratie.

     

    En République, il n'y a pas de dogme. Il y a des choix souverains des différentes communautés humaines, Etats, cantons, Länder, qui se donnent des règles, les modifient d'ailleurs au cours de l'Histoire. Je dis : « L'apport des étrangers a été, en tout cas depuis 1848, une chance historique pour la Suisse », ce que d'ailleurs n'importe quel observateur de notre Histoire économique, mais aussi intellectuelle, culturelle, peut constater. C'est mon opinion, mais ça n'est pas un dogme. Si, en votation populaire, une majorité légitime du corps électoral en juge autrement, il faudra bien l'accepter. Le multiculturalisme n'a pas à être asséné comme une obligation incontournable. Ses partisans doivent démontrer - et ils auront pour cela de réels arguments, et je les soutiendrai - en quoi l'apport migratoire a été un enrichissement.

     

    Cette volonté de s'inscrire dans un échange dialectique, le moins qu'on puisse dire est qu'on ne la perçoit guère, depuis l'attentat d'Oslo, de la part de véritables Fouquier Tinvile de gauche, n'ayant comme obsession que de créer le plus immédiat rapprochement possible entre l'acte du tueur norvégien et les thèses d'un parti suisse qui s'appelle l'UDC. Le discours de ce parti serait l'irrémédiable prémisse conduisant, tout au bout, à l'acte du tueur norvégien. Ben voyons ! Elle est pas simple, la vie ?

     

    A cela s'ajoute l'obsessionnelle posture du service dit « public » à thématiser ce rapprochement. Hier, 18h, on invite Oskar Freysinger dans la jouissive perspective de le confondre. Ce soir, même heure, on veut absolument faire admettre à Guy Parmelin que la concomitance entre le dépôt de l'initiative de son parti et la tragédie d'Oslo générerait un « malaise ». On multiplie les « experts », d'autant plus diserts qu'il n'ont pas grand chose, voire franchement rien, à dire. On a peur du vide. On remplit comme on peut.

     

    Hallucinante est, depuis quelques heures, l'intolérance de ces milieux d'une certaine gauche, à vrai dire fort radicale, les premiers à se poser en missionnaires de la Leçon. Ils ont tort. Le public est plus sage qu'on ne croit, sait très bien déceler des tentatives de récupération plus grosses que des câbles de téléphérique. L'immense majorité du peuple suisse est révulsée par l'acte d'Oslo, et aussi par le discours de haine de son auteur. Une majorité, aussi, saura se prémunir de ces ayatollahs, ces maîtres de la censure, ceux qui veulent faire taire, profiter de l'aubaine pour affaiblir un adversaire qu'ils ont toujours haï. Leur tentative de récupération est tellement visible, leur inaptitude au débat démocratique, tellement criante. Ils n'ont, ces gens-là, aucune leçon de démocratie à donner au peuple suisse.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Oslo-Nanterre: la vie contre la mort

     

    Lundi 25.07.11 - 11.54h

     

    La Norvège est en deuil, nous sommes tous en pensée avec elle. L'attentat d'Oslo est inqualifiable, les motivations de son auteur, aussi. À partir de là, que dire de plus, qui soit sensé, éclairant sur cette horreur, ne relève pas du remplissage, ni du traditionnel cortège « d'experts », l'un sur l'extrême droite en Europe, l'autre sur les néo-nazis en Scandinavie, un troisième sur le « fondamentalisme chrétien » ?

     

    Cette volonté de remplir, tout de suite étiqueter, révèle notre ignorance. En quoi les métastases fantasmatiques d'un Norvégien isolé doivent-elles nous interroger sur autre chose que sa propre folie ? Le malheur fait partie de l'Histoire humaine, le tragique aussi. Jamais nous ne pourrons les éradiquer.

     

    Je me suis trouvé, le soir même de la tuerie de Nanterre (27 mars 2002), dans la chambre mortuaire. Il y avait là des conseillers municipaux, des élus du peuple, assassinés, en pleine séance, par un forcené. Le peuple de Nanterre, en masse, était venu leur rendre hommage, bouleversé, mais fier d'appartenir à cette commune, plus décidé que jamais (comme les Norvégiens, aujourd'hui), à continuer de vivre son destin commun. La folie des assassins est terrible, mais en aucun cas nous ne devons sous-estimer la puissante volonté des survivants de ne pas se laisser impressionner.

     

    La Suisse, comme la Norvège, est multiculturelle. Elle a choisi de l'être, en tout cas depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Elle a, assurément, fait le bon choix : les strates d'étrangers, au fil des décennies, ont construit ce pays avec nous, elles se sont intégrées. La Suisse, en aucun cas, ne saurait se référer à une race pure, un noyau dur qui aurait résisté aux métissages. Sa pluralité est dans sa nature. Cela est valable pour les langues, pour les religions, pour la liberté de culte, le respect de ceux qui croient, ou d'ailleurs ne croient pas.

     

    Il y a très longtemps, avec ma famille, je suis allé en Norvège, jusqu'au Cap Nord. Voyage féerique, soleil de minuit, nous nous disions que ce pays modeste et tranquille ressemblait au nôtre. Cette similitude, aujourd'hui, me semble dépasser très largement celle des paysages : il s'agit d'une démocratie meurtrie dans sa chair. Elle n'a pas, sous prétexte de la folie d'un homme, à rougir de ce qu'elle est, ni surtout de s'être ouvert aux autres peuples du monde. Pas plus que les survivants de Nanterre, arpentant la chambre mortuaire au soir du 27 septembre 2002, à deux pas du Théâtre des Amandiers, où Chéreau mille fois réinventa la vie, n'avaient à rougir d'être ce qu'ils étaient : une communauté humaine désireuse, simplement, de vivre ensemble.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Mitterrand, sur le vif, par Michèle Cotta

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    Notes de lecture - Dimanche 24.07.11 - 16.51h

     

    De mes hauteurs valaisannes, d'où j'écris ces lignes, j'ai le privilège d'avoir depuis tant d'années, authentiquement surgies du grenier, une collection de magazines « L'Express » des années soixante, celui de la grande époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud. Quinze mille fois, je l'ai les décortiqués, dégustés. Toujours avec le même bonheur : celui de savourer des analyses politiques n'ayant, avec le recul d'un demi-siècle, pas pris une ride. Les plumes en sont magistrales. Beaucoup d'entre elles sont féminines : Giroud, bien sûr, avec ses éclairs, mais aussi Irène Allier, Catherine Nay (dès 1968) et Michèle Cotta. Nous sommes là dans une aristocratie du journalisme politique français dont le moins qu'on puisse dire est qu'on peine à déceler l'équivalent aujourd'hui.

     

    Déjà, dans ces années soixante, le style Cotta : factuel, dans le sens le plus noble du terme. Jeune journaliste, elle avait décroché la toute première grande interview de François Mitterrand après l'affaire de l'Observatoire (1959), dont il était sorti laminé. Pendant 37 ans, 23 d'opposition, puis 14 d'Elysée, le destin de la journaliste (qui accèdera aux plus hautes fonctions de l'audiovisuel) ne cessera de croiser celui de l'homme politique le plus énigmatique et le plus séduisant de l'après-guerre en France. Publiées en mars, avec une préface inédite, les 868 pages de ses « Carnets de route » avec Mitterrand constituent une lecture passionnante, piquante, rafraîchissante comme l'eau vive puisée directement à la source : celle de ces notes, prises sur le vif, devant servir de canevas à ses papiers de l'époque.

     

    On y découvre quoi ? Un exceptionnel combattant politique. L'homme qui ne renonce jamais. L'homme seul, le plus insulté de France, abandonné de tous au lendemain de l'Observatoire ou de Mai 68. L'homme pulvérisé, qui patiemment se reconstruit. L'homme qui connaît par cœur chacune des circonscriptions de la carte électorale française. L'homme qui, très lentement, face aux caciques de la SFIO, face à la deuxième gauche de Rocard, à force d'un acharnement sans pareil, s'impose au sein d'une famille socialiste qui, au départ, n'est absolument pas la sienne. L'homme qui, non seulement, renverse le rapport de forces entre socialistes et communistes, mais finit par reléguer ces derniers, premier parti de France à la Libération, dans un rang mineur.

     

    On y découvre aussi qu'en politique, rien n'est jamais gagné, ni d'ailleurs perdu, qu'il n'y a aucun ami, que tout proche est un traître potentiel, que le danger est partout. Il n'y a ni monarque, ni « Dieu », ni « Tonton », il y a l'aspérité du combat d'un homme seul, à la constante merci du piège, de la chute, de la disparition. Il y a aussi, dans ces carnets, la très grande violence de la vie politique, éliminer l'autre, et avant tout le proche. « 1967 : comme je lui demande comment il compte s'y prendre pour déjouer les assauts de Guy Mollet, alors secrétaire général de la SFIO, qui ne veut pas lui laisser le champ libre à gauche, il me répond : « C'est simple, Guy Mollet pense à m'abattre 23 heures sur 24. Il me suffit, à moi, de penser 24 heures sur 24 à être plus fort que lui » (Page 852, réflexion de Michèle Cotta le 8 janvier 1996, jour de la mort de François Mitterrand).

     

    Au fil de toutes ces notes, Michèle Cotta ne cherche pas à faire du style, ni à prétendre, comme d'autres, tramer une oeuvre littéraire autour du destin, déjà par nature si romanesque, du héros. Et c'est précisément la sobriété de ces carnets qui révèle les lignes de force d'une vie, d'un combat, d'un caractère. Autour du personnage principal, certaines figures, comme Mauroy, sortent grandies. D'autres, comme Rocard, étrillées. On ne peut pas dire, concernant ce dernier, que la narratrice le défende avec acharnement, tout au plus un sobre « bravo » au moment des Accords de Matignon, juin 1988, sur la Nouvelle-Calédonie (page 648).

     

    Quant à la somme phénoménale des intrigues, embrouilles, chausse-trappes, au sein même de la famille socialiste, elle dépasse l'entendement. On mesure, en lisant Michèle Cotta, à quel point la discorde interne est ontologiquement ancrée dans ce parti-là. Qu'il faut pourtant, et impérativement, d'abord contrôler si on aspire ensuite à l'Elysée. Le seul qui soit, jusqu'à nouvel ordre, parvenu, à ce jour, à maîtriser successivement le parti, puis le pays, s'appelle François Mitterrand. On conseillera donc avec beaucoup de diligence cette lecture d'été à Martine Aubry, Ségolène Royal et François Hollande. Et, plus largement, à tous ceux que passionne la politique française, et la figure magistrale du personnage principal de ces carnets.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "Mitterrand, carnets de route", par Michèle Cotta, Editions Pluriel, 868 pages, mars 2011.