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  • Le prêt-à-s’indigner

     

    Sur le vif - Dimanche 05.06.11 - 08.39h


    Il y a eu le rock et le twist, les yéyés, les zazous, il y a eu Zizou et les Bigarrés, voici aujourd’hui les indignés. Le dernier truc à la mode, coco : t’as rien lu, ni Marx ni Jésus, ta tête est vide comme une pastèque, tu n’as ni mémoire ni nostalgie, tu n’as encore livré aucun combat, jamais prouvé ta solitude. Mais sur un mot, au sifflet, au cordeau, tu t’alignes : l’indignation.

     

    Que Stéphane Hessel, ce grand Monsieur au grand cœur, s’indigne, avec derrière lui neuf décennies d’une vie exemplaire, rien à dire. Respect. Chez lui, le mot sonne juste, il est au diapason. Mais je ne suis pas sûr que cette admirable conscience, avec son bouquin, ait vraiment rendu service à la jeunesse. Parce qu’avec le miracle d’un titre, la puissance de cet impératif, ce qui devrait être transgression se dilue en mode : le prêt-à-s’indigner.

     

    Alors, pour faire Hessel, on s’indigne. On s’indigne dans les salons. On s’indigne pour la posture. Ce qui n’a de sens que comme maturation individuelle, explosion, transgression, on le banalise en passe-partout. L’indignation devient griffe, tissu estampillé : à quand l’indignation Gautier, ou Lagerfeld ? Tu fais quoi, ce week-end, Kevin : « Ben, après les courses, entre 15 et 16h, j’irai m’indigner un moment, au centre-ville ».

     

    La révolte comme posture. Copiée, collée, répétée, multipliée. Plus les âmes sont faibles, plus elles s’y prêteront. L’uniforme est si facile à porter. En attendant qu’un jour, un grand couturier milanais le sacralise. Et le jette au musée.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Glières oui, Fouquet’s non merci !

     

    Sur le vif - Vendredi 03.06.11 - 09.43h

     

    En se rendant aux Glières, il y a quelques jours, Nicolas Sarkozy a accompli un geste fort et simple. Il était là où doit se rendre le président de la République, là où on l’attend, sur ces « Lieux de mémoire » dont parle si génialement, en trois volumes inoubliables, l’historien Pierre Nora. Aux Glières, en février et mars 1944, des hommes, souvent très jeunes, sont morts pour la France. Ils n’avaient aucune chance d’en réchapper, tout le pays était encore occupé, ils se sont battus quand même. Honneur à eux.

     

    J’aurais voulu être aux Glières le 2 septembre 1973, lorsque Malraux y a prononcé son discours, je me suis contenté, dans les décennies qui ont suivi, d’écouter quelques milliers de fois le sillon du vinyle. Étrange fin d’été, Malraux en Haute-Savoie, et, quelques jours après, la démocratie, au Chili, qu’on assassine. J’avais quinze ans, je lisais Rimbaud, j’étais ébloui, semaine après semaine, par le « Nouvel Observateur », auquel mes parents avaient eu l’intelligence de m’abonner.

     

    Peu importe que Nicolas Sarkozy soit petit ou grand, crédible ou pas, ni même, au sein de la droite, qu’il incarne une tendance évoquant davantage l’obédience pour les forces de l’Argent que l’austérité de marbre de la mémoire républicaine. Peu importe ! Ce voyage des Glières, il l’a fait. Dans la neige, il s’est incliné. Il était dans son rôle, dans ce que les Français attendent, du fond de l’Histoire, du premier d’entre eux. Les Glières, oui, le Fouquet’s non merci ! Rien de grave, rien de scélérat. Juste une question de goût.

     

    Pascal Décaillet

     

     


  • D’elle-même, la presse se meurt

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Mercredi 01.06.11

     

    La presse, dans l’arc lémanique, étouffe. De quoi ? D’elle-même ! De son conformisme. Son obédience. Son côté bien éduqué, bien comme il faut, équilibré : thèse, antithèse, synthèse, jamais un mot de trop, jamais une parole plus forte que l’autre. Jamais ni bruit, ni fureur, même pas le tintamarre. Tout juste, le buzz, repris en boucle, copié, collé, l’écho de rien, circulaire, inutile.

     

    On nous dit que tous les journalistes sont de gauche, c’est faux : si seulement existait encore une bonne vieille presse de gauche, comme le courageux Courrier, militante et marquée, malodorante, suintant l’effort du travail ! Mais tu parles, la vraie gauche se terre, est-elle encore vivante ? Ce qui domine aujourd’hui, c’est la sourde jouissance de l’eunuque, la grisâtre extase de ne rien ressentir et surtout n’en rien dire. Taire le cri ! Gommer l’aspérité. Normaliser l’instinct. Réduire la puissance du verbe, au mieux, à une sage dissertation démonstratrice.

     

    Non, ça n’est pas la gauche qui domine. Fini, le bon temps ! Aujourd’hui, ce serait plutôt le centre droit. Gentil, humaniste, un peu d’économie de marché mais pas trop, un peu d’Europe, sans excès, surtout plus de nucléaire, à cinq mois des élections, surtout ne pas déranger. Se couler dans le moule. Ressembler à la masse informe du pays, dans la tiédeur de sa sieste. Surtout pas de grande gueule, pas de Blocher, pas de Ziegler, pas de Franz Weber. Non ! Juste la petite musique du conformisme petit-bourgeois, une bonne dose de réchauffement, quelques zestes d’énergies renouvelables, surtout pas de prophète, pas d’imprécateur. Museler l’emmerdeur. Ne laisser survivre que le moule.

     

    La pire censure, c’est celle qui vient de soi-même. Tu crèves d’envie de hurler un truc, mais tu succombes à une autre pression, juste un peu plus forte, celle de te la coincer, pour éviter d’avoir sur le dos tes pairs, tes copains, toute la cléricature de ta coterie. Alors, tu bastes. Tu remplaces ta pulsion première par une bonne analyse sur Obama, la même que sept milliards de nos frères humains, en 180 langues, peuvent découvrir sur dix mille autres quotidiens de la planète. Tu ne prends strictement aucun risque, ça n’est évidemment pas la Maison Blanche qui va lire ta prose, on te prendra pour quelqu’un d’honorable de porter ta vue aussi loin. On te respectera. On t’appellera « Monsieur ».

     

    Mais toi, dans la proximité qui est tienne, l’horizon de tes montagnes, tu l’auras fait, ton boulot ? Ton pays à toi, tu auras tenu un discours sur lui ? Les vrais puissants de ton entourage, tu les auras dérangés ? Les conformismes de chez toi, tu les auras chatouillés ? Les groupes de presse, et leur humour de mammouth, tu les auras titillés ? Ta plume, tu l’auras trempée ? Ta voix, tu l’auras libérée ? Et ta vie, dans sa part de risque, de sel et d’aventure, tu l’auras vécue ?

     

    Pascal Décaillet