Sur le vif - Jeudi 25.07.24 - 13.30h
13 juin 1940, veille de l'entrée des Allemands dans Paris, déclarée Ville ouverte, alors que le dernier gouvernement de la Troisième République s'en va officialiser la débâcle à Bordeaux. 25 août 1944, Libération de Paris. Quatre ans, deux mois et douze jours séparent ces deux dates. Cela s'appelle l'Occupation de Paris. C'est la période couverte par Philippe Collin, pour nous raconter le quotidien de Frank Meier, le barman du Ritz.
Unité de lieu : tout se déroule Place Vendôme, au bar du prestigieux palace. Toute la tragédie de la France pendant ces quatre ans, la plus grande défaite militaire de son Histoire, l'arrivée au pouvoir du Maréchal, l'Armistice, le premier été (1940) avec l'occupant, les lois antisémites de Vichy en octobre, la Collaboration, la rafle du Vel d'Hiv (16 juillet 1942), les échos de la déportation, la peur qui s'installe dans les âmes, la faim qui tenaille les corps.
La faim ? Partout, sauf au Ritz ! L'indécence de ce contraste, entre la France des tickets de rationnement et du marché noir, et la denrées les plus fines, les vins les plus rares, qui affluent dans cet empire créé par César Ritz, à qui a succédé sa veuve, Marie-Louise, "la douairière", l'un des personnages les mieux croqués du roman de Collin.
Dans ces 413 pages, un personnage principal, le barman. Autour de lui, quelques autres, pas trop, pas de roman russe, juste ce qu'il faut. L'écriture est simple et limpide, indépendantes, phrases courtes, présent historique, le ton d'un journal, ou mieux : l'écriture radiophonique. Parfois, insérés entre les chapitres, des extraits du "Journal de Frank Meier", brefs, lapidaires, comme des jets de poésie. Je ne connaissais pas Philippe Collin, mais voilà un homme qui sait écrire.
Je ne vous raconterai pas l'histoire, lisez le livre, je vous le recommande. Il est simple, accessible, il aime le lecteur, ne lui fait pas la leçon morale sur l'Occupation, ni la leçon historique. C'est une fiction, bien sûr, mais les personnages sont réels : Frank le barman, Georges son adjoint, Luciano son apprenti, la Veuve Ritz, rigoureuse et combative, Blanche la troublante, et quelques autres, surtout pas trop.
Côté allemand, les deux Stülpnagel, Otto puis son cousin Carl-Heinrich, qui seront l'un et l'autre impliqués dans l'attentat du 20 juillet 44 contre Hitler. Mais aussi le colonel Speidel, l'un des rares généraux de la Wehrmacht qui garderont leur grade, après-guerre, au plus haut niveau de l'Otan. Quelques brutes de la Gestapo. Quelques crapules de la Collaboration. Et, lumineux autant que fascinant, le Capitaine Ernst Jünger, l'un des écrivains les plus importants du vingtième siècle allemand, l'un des destins les plus fous.
Voilà. Je ne vous en dis pas plus. Philippe Collin est orfèvre dans l'art de nous raconter la grande Histoire par la petite lucarne d'un barman de génie, qui fait son job au Ritz du premier au dernier jour de l'Occupation, doit dissimuler ses origines ainsi que celles de plusieurs êtres, dans le palace, qui lui sont chers, se demande comment la Libération lui fera payer ses accointances avec l'occupant. Tout cela est passionnant, bien écrit. Tout cela se lit. Tous cela se délecte. Comme un cocktail rare du barman Frank Meier. Excellente lecture à vous !
Pascal Décaillet
Commentaires
On en parle beaucoup ces temps-ci, et plutôt en bien. Je l'ai noté dans un coin de ma mémoire; merci de votre partage d'impressions de lecture.
Ce "roman vrai" m'a coûté deux nuits blanches... que je ne regrette pas. LE livre de l'été pour les passionnés d'histoire de l'Occupation, cette tragique traversée des apparences quand jeu du "qui est qui" pouvait mener au chantage, à la torture et à la mort.