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  • Gilets jaunes : la carabistouille du "grand débat"

     

    Sur le vif - Samedi 30.03.19 - 16.14h

     

    J'avais dix ans en Mai 68, je me souviens de tout, j'avais suivi les événements avec passion, notamment via la radio. Le mouvement a duré plusieurs semaines, disons un peu plus d'un mois, si on veut considérer qu'après le 30 mai (contre-manifestation décisive des partisans de Charles de Gaulle), il y a eu encore quelques manifestations, moins connues mais bien réelles, en juin.

     

    Depuis, j'ai suivi toute l'actualité politique française, en un demi-siècle. Je me souviens des grandes manifs pour l’École privée, d'autres grands défilés, mais une chose est sûre : jamais aucun mouvement, ni en 1830, ni en 1848, ni en 1870-71, ni en 1936, ni à la Libération, n'a duré six mois !

     

    Le premier élément, déjà entré dans l'Histoire, de l'affaire des Gilets jaunes, c'est donc son exceptionnelle durée. Il y a des samedis violents, des samedis calmes, des samedis dans la fureur, des samedis dans la simple joie d'être ensemble, c'est selon. Mais tous les samedis, depuis un semestre, des Français descendent dans la rue, et cela c'est du jamais vu.

     

    Je n'ai, de ma vie, jamais participé à aucune manifestation. Cela n'est pas mon langage. Mais il se trouve que de gens manifestent, c'est ainsi. Il s'agit donc d'en décoder les motivations, d'en mesurer la pression réelle sur l'opinion et sur le pouvoir, d'analyser le terrain, avec le maximum de renseignements possibles. Ainsi considérée, la manifestation constitue, pour l'historien ou celui qui ambitionne un discours d'analyse politique, un matériau.

     

    Depuis six mois, émergent du discours des Gilets jaunes deux types, très clairs, et fort bien exprimés, de revendications : la justice sociale (et fiscale), et l'aspiration au RIC (référendum d'initiative citoyenne). Davantage de justice, et davantage de démocratie, c'est simple, audible par n'importe quel gamin, facile à retenir. Même les grèves du printemps 36, à l'époque de Léon Blum, étaient plus complexes, dans leurs catalogues de réformes exigées.

     

    Face à cela, le pouvoir avait le droit de dire oui, et celui de dire non. Mais il devait entrer en matière sur le sujet , et non enfumer toute la France avec sa carabistouille de "grand débat".

     

    Le grand débat, il a eu lieu depuis longtemps, en amont. Les sujets ont émergé, ils ont mûri, ils sont exprimés avec une parfaite clarté, il n'y avait strictement nulle nécessité de jeter sur la France le voile opaque d'un "débat" voulu par le Prince, autour du Prince, montrant le Prince en majesté, daignant se mêler à la plèbe, souvent pour lui faire la morale. Car le Prince est aussi Cardinal, il se sent à la fois le représentant de la Noblesse et du Clergé, allant parfois se mêler, si les caméras sont là, au Tiers État.

     

    Ce Prince est une catastrophe. Un orléaniste de la pire espèce, blanchi sous le harnais de la grande finance internationale, celle pour qui l'échelon des nations ne compte pas. Un européiste, qui veut imposer le libéralisme continental comme modèle unique dans les relations économiques et sociales. Un moraliste, qui prend ses compatriotes de haut, leur assène la leçon. C'est cet homme-là dont les Gilets jaunes veulent le départ. L'affaire est aussi simple que cela. Ils l'obtiendront avant terme (printemps 2022) ou non, je n'en sais rien. Mais l'enjeu est là : justice sociale, et invention d'une forme française de démocratie directe, qu'ils appellent le RIC.

     

    Tout cela est parfaitement clair, simple, limpide. Il n'y a nul besoin de "grand débat" pour en saisir les enjeux.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Climat : l'aubaine

     

    Commentaire publié dans GHI - 27.03.19

     

    La percée des Verts, ce dimanche 24 mars, aux élections cantonales zurichoises, donne des ailes à ce parti : porté par le thème de la lutte contre le réchauffement climatique, il se voit déjà pulvériser tous les records, aux élections fédérales du 20 octobre. Avec un groupe parlementaire sérieusement étoffé. Et, pourquoi pas, un conseiller fédéral.

     

    Y parviendront-ils ? Nous verrons. Ce qui est sûr, c’est que l’actuelle focalisation des esprits sur tout ce qui touche au climat va dans le sens des Verts. Quand on voudra bien élaguer un peu, dans la forêt d’arguments sur les gaz à effet de serre, la part de pesanteur morale, plus étouffante encore que le thème lui-même, on sera bien obligé, en vieux routier de l’observation politique, de reconnaître une chose : la grande affaire climatique constitue, pour les Verts, en Suisse comme ailleurs, une formidable aubaine électorale. Comme, en 2011, Fukushima.

     

    Comme citoyen, je veux bien que les Verts profitent de l’aubaine : on prend le vent là où on peut, là où il vient. Je veux bien qu’ils marquent des points sous la Coupole, cet automne. Je veux bien qu’ils entrent au Conseil fédéral. Mais de grâce, qu’ils nous épargnent le coup de la morale. Comme si eux n’étaient pas, à l’image de tous les politiques, mus par l’instinct de l’opportunité, le goût du pouvoir, la récupération des vents. Il est vrai qu’en termes de récupération, les Verts sont rois. Et, paraît-il, exemplaires.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Notes de frais : l'arrogance du Conseil d'Etat

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.03.19

     

    Orgueil, superbe et arrogance : les trois visages affichés, ce mercredi 20 mars, par le gouvernement de la République et Canton de Genève. Un sommet, dans l’ordre du comportement princier, qui fera date. On pensait que les attitudes hautaines avaient été l’apanage du Président du Conseil d’Etat dans la législature précédente, on s’est peut-être trompé : l’équipe actuelle ne fait pas mieux. Ce 20 mars donc, notre collège gouvernemental, qui fait l’objet des attentions de la Commission de contrôle de gestion du Parlement pour faire la lumière sur ses notes de frais, a cru habile de contre-attaquer en venant faire la leçon juridique à la République entière. Oubliant - ou plutôt omettant – un détail : dans toute cette affaire, c’est lui, le Conseil d’Etat, et nul autre, qui est audité. Lui qui est ausculté. Lui qui doit produire les pièces nécessaires à la vérité. Il n’est pas là comme juge, ni comme ministre, mais comme partie sous enquête.

     

    Dans ce dossier, il y a trois forces en présence. Le Conseil d’Etat, autorité exécutive du Canton ; le Parlement, premier pouvoir, autorité législative, via sa Commission de contrôle de gestion ; la Cour des Comptes, organe voulu par le peuple souverain, pour mettre son nez là où ça fait mal, dans la gestion des affaires publiques. Inutile de dire que peu de magistrats, ou de hauts fonctionnaires, se montrent particulièrement réjouis lorsque François Paychère, Président de la Cour des Comptes, ou ses collègues viennent renifler dans leurs affaires.

     

    Là où les choses se compliquent (mais rassurez-vous, ça demeure parfaitement compréhensible !), c’est que dans l’affaire des notes de frais des conseillers d’Etat, la Commission de contrôle de gestion du Parlement a mandaté la Cour des Comptes, la jugeant plus professionnelle que de simples députés pour une investigation dans des colonnes de chiffres, ce dont tout le monde conviendra. Et c’est cela que le Conseil d’Etat ne peut pas supporter, ce qui nous a valu le 20 mars ses grandes leçons juridiques, tout juste bonnes à montrer à quel point il était sur la défensive. Aurait-il des choses à cacher ?

     

    A cette arrogance du Prince, il convient de résister. D’abord, saluer l’opiniâtreté de la Commission du Parlement, présidée par le PLR Yvan Zweifel : on espère que la volonté de lumière y est unanime, tous partis confondus, et que nul député ne se déroberait à son devoir de contrôle pour protéger un ministre de son camp. Un tel comportement serait indigne du pouvoir parlementaire. Saluer, aussi, le professionnalisme de la Cour des Comptes, qui depuis des années rend service à la transparence républicaine. Enfin, rappeler au Conseil d’Etat que le mépris ne saurait tenir lieu de méthode gouvernementale, pas plus que prendre les gens pour des naïfs. Nous avons connu, entre 2013 et 2018, de pénibles moments d’arrogance exécutive. Nous espérions un changement. Puissions-nous ne pas nous être trompés.

     

    Pascal Décaillet