Sur le vif - Lundi 29.04.19 - 12.12h
Avec mes quelque 500 jours d'armée, principalement entre 1977 et 1990, je ne pense pas pouvoir être soupçonné d'antimilitarisme. Mais je suis en accord total avec Benoît Genecand, lorsqu'il ose mettre en cause l'incroyable liberté de parole, assurément excessive, dont jouit depuis toujours, en Suisse, la Société suisse des officiers, dans le champ politique. Dans un pays comme la France, à forte tradition républicaine, une telle liberté serait inimaginable. Dans la quasi-totalité des autres pays, aussi.
La seule "société" dont un officier doit se sentir membre, c'est l'armée. Et l'armée est un corps de la nation, qui obéit au pouvoir politique, et à nul autre. L'armée n'est pas un corps autonome. Elle fait ce qu'on lui dit de faire. Ce que le chef du Département lui dit de faire. Ce que le Conseil fédéral lui dit de faire. Au final, elle est au service du peuple suisse. Hors de ce service, elle n'a aucune existence propre, n'a pas à en avoir. Ainsi fonctionne l'idée républicaine.
Ensuite, chaque officier, chaque sous-officier, chaque soldat, lorsqu'il a ôté son uniforme, vote strictement comme il veut, en tant que citoyen. Et prend les positions qu'il veut, dans l'espace public.
Mais tant qu'il se proclame "officier", "sous-officier", ou "soldat", en tant que tel, il n'a pas à exprimer ses préférences politiques. Il est là pour exécuter ce que le pouvoir civil lui dit de faire.
Le conseiller Benoît Genecand, dont on peut discuter par ailleurs (mais c'est une autre affaire) le côté imprévisible, atypique, a eu parfaitement raison de mettre le doigt sur une certaine arrogance de tonalité dans les prises de position de la Société suisse des officiers. On peut aller plus loin, si on est républicain et non corporatiste, et oser mettre en cause l'existence même de cette société, jusqu'à son nom. Ce libellé m'a toujours gêné : il laisse entendre une sorte d'Etat dans l'Etat, ou de corporation parallèle, toutes choses dont l'intransigeance d'une âme républicaine peut légitimement se méfier.
Ce que j'écris ici n'entame en rien mon attachement à l'armée suisse, pourvu qu'elle soit au service du peuple, pétrie de conscience de son obéissance au pouvoir civil. Une armée n'est pas un corps en soi. Son existence ou sa dilution, les modalités de son organisation et de son financement, ses missions surtout, tout cela doit être défini par le pouvoir civil. Chez nous, le corps démocratique de ses citoyennes et citoyens. Ce sont eux, au final, les vrais patrons de l'armée suisse.
Pascal Décaillet