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La SDN a cent ans - Et alors ?

 

Sur le vif - Samedi 27.04.19 - 16.57h

 

Demain, 28 avril, la SDN aurait eu cent ans. Autant le dire tout net : il n'y a rien à fêter. La Société des Nations, dont l'installation à Genève fut décidée le 28 avril 1919, n'a légué à l'Histoire que l'immensité de son échec. La tentative multilatérale, sur les décombres épouvantables de la Grande Guerre, n'aura dupé les esprits que pendant quelques-unes des années vingt, autour du Français Aristide Briand et de l'Allemand Gustav Stresemann.

 

Mais le ver était dans le fruit : la SDN est fille du Traité de Versailles, et Versailles, avec ses conditions totalement inacceptables pour le peuple allemand, fut mère de toutes les errances. Mère de l'immense révolte allemande dont le nazisme naissant fit son fonds de commerce. Mère de toutes les illusions, dont la plus fatale fut la vision multilatérale elle-même, figurant dans les âmes l'émergence d'une organisation planétaire, alors que justement renaissaient les nations. En Italie, en Allemagne, notamment. A Genève, on a rêvé d'un système céleste, quand toute réalité surgissait de la terre.

 

Il faut reprendre l'année 1919 depuis le début, je m'y emploie depuis quatre décennies. Le début, c'est le 9 novembre 1918, avant-veille de l’Armistice. C'est la Révolution allemande, qui dépose le Kaiser, et entame les pourparlers pour mettre fin à la guerre. Le sol allemand n'est pas touché, la contre-offensive alliée, notamment française et américaine, est certes très sérieuse, mais pas fatale pour l'armée allemande. La guerre, militairement, aurait encore pu durer. Demander l'armistice était une décision politique, celle qui sera qualifiée - et pas seulement par les nazis - de Dolchstoss, le coup de poignard, entendez dans le dos.

 

Les conditions de paix imposées à l'Allemagne seront tout simplement dantesques. Clemenceau y est pour beaucoup : les inconditionnels du Tigre devraient un peu s'y attarder. Ces conditions imposeront des réparations de guerre, totalement disproportionnées, qui étoufferont le peuple allemand. Il s'agit, dès Versailles, plus dans l'esprit de Clemenceau que dans celui de Wilson, de saigner la bête. La France, le jour venu, entre le 10 mai et le 22 juin 1940, le paiera très cher, lorsque la renaissance de l'armée allemande, alliée au génie du Plan Manstein (lancer une Blitzkrieg à travers les Ardennes), entraînera le pays de Turenne et de Bonaparte, en six semaines, dans la plus grande défaite de son Histoire. Elle ne s'en est jamais remise. Alors que l'Allemagne de 2019 s'est parfaitement remise du 8 mai 1945, défaite d'étape.

 

La réalité de l'Après-Grande-Guerre, c'est cela. Prise de pouvoir par Mussolini en octobre 1922, par Hitler le 30 janvier 1933, Seconde Guerre mondiale, 50 à 60 millions de morts, une génération seulement après la dévastation de 14-18.

 

La réalité, c'est cela, et cela seulement. La réalité, c'est cette impossibilité totale, pour la vision multilatérale proclamée dès 1919 par la SDN, à contrecarrer l'immuable permanence du tragique. A Genève, il y avait des centaines d'Adrien Deume, le personnage du Belle du Seigneur, qui ont taillé des milliers de crayons. A Genève, il y a eu des conférences internationales, des résolutions, des mots, toute l'infinité du bavardage. Tout cela, devant l'Histoire, n'aura strictement servi à rien. La SDN fut inutile, prétentieuse, vide de sens, elle n'a rien vu venir, elle a fait semblant.

 

Demain, la SDN aurait eu cent ans. Il n'y a rien à fêter. Rien à commémorer. Il y a juste à relire Ernst von Salomon, Die Geächeteten, les Réprouvés. Ou Alfred Döblin, November 1918. Ou les poèmes de Gabriele D'Annunzio. Il y a juste à se plonger dans des centaines d'Histoires de la Révolution allemande de 1918/19, de la genèse du fascisme italien, des Ligues en France, du rôle des Anciens Combattants, notamment les Corps-Francs dans l'Allemagne de 1918 à 1923. Il y a juste à se renseigner, infiniment, insatiablement, lire tous les témoignages, ceux des gentils comme ceux des méchants, ceux des bourreaux comme ceux des victimes, ceux des vaincus comme ceux des vainqueurs, ceux des maudits comme ceux des héros.

 

Il y a juste à lire, lire et lire encore. Construire sa pensée historique sur la confrontation - parfois paradoxale - des témoignages. Mais "fêter" les cent ans de la SDN, qui fit tant de mal par sa candeur et son inexistence, "fêter" juste sous prétexte que cette imposture s'est déroulée à Genève, contribuant à son lustre international, non merci.

 

Pascal Décaillet

 

 

 

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