Sur le vif - Vendredi 24.08.18 - 14.39h
Ne nous y trompons pas : les deux votations agricoles du 23 septembre ne concernent pas seulement le rapport du peuple suisse à sa paysannerie, même si cet enjeu est évidemment essentiel, et premier.
Non, il faut pousser plus loin l'analyse politique. Dans la lettre et l'esprit de ces textes, il y a toute la clarté d'un signal : celui d'une RUPTURE avec une vision libérale, et surtout libre-échangiste, dont le peuple suisse, peut-être (nous le saurons de 23 septembre), ne veut plus.
Le peuple suisse n'est pas partisan d'une économie dirigée. Ni même, en matière agricole, d'un retour au Plan Wahlen, qui poussa à fond la souveraineté alimentaire (que pouvait-il faire d'autre, toutes frontières fermées ?) lors de la dernière guerre.
Mais le peuple suisse, par son Histoire, son esprit de solidarité nationale, son attention constante à la subsidiarité, la mutualité, au respect des minorités et des plus faibles, n'a rien non plus d'un dragon ultra-libéral, à l'anglo-saxonne ou à l'asiatique. Nous avons une autre Histoire, une autre tradition !
Le peuple suisse aime et respecte ses paysans. Il ne s'agit pas de les idéaliser, ni d'en faire une caste à part, mais simplement de leur témoigner de la reconnaissance pour le travail capital qu'ils fournissent au pays. Les paysans travaillent la terre, c'est dur et ingrat. Ils nous nourrissent. Ils mettent l'accent sur la qualité. Ils entretiennent le terroir, vivent avec les animaux, configurent nos paysages.
Je suis personnellement fasciné par les paysages, ceux qui suivent mes activités photographiques en sont témoins. Mais savez-vous que ces véritables tableaux, d'harmonie et de beauté, en plaine comme jusqu'au plus profond de nos vallées, doivent au moins autant, sinon plus, au travail des hommes et des femmes, qu'à la beauté intrinsèque de la nature ? Comme l'ont montré de passionnants chercheurs sur notre pays au19ème siècle, début 20ème, le création d'un paysage suisse a été l'une des composantes majeures de notre identité nationale. Il y a 150 ans, la Vallée du Rhône, entre Sierre et Martigny, aujourd'hui si sublime par ses étagements de vignes, avait, en bien des endroits, les allures d'un marécage.
Le dimanche 23 septembre pourrait bien être une date importante dans notre Histoire suisse. Si le peuple et les cantons acceptent ces deux initiatives, ils feront un pas en direction du monde agricole. En direction, aussi, d'un modèle économique plus national, plus solidaire, plus souverain, et tout simplement plus humain. A quelques milliers de lieues marines des mirages libre-échangistes, qui n'enrichissent qu'une minorité, et où l'agriculture suisse, notre cohésion nationale aussi, ont tout à perdre.
Pascal Décaillet