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La Suisse et le désert du silence

 

Sur le vif - Mercredi 31.07.13 - 12.41h
 

 

11 mars 1998, huit heures du matin. L’Assemblée fédérale va devoir élire le successeur de Jean-Pascal Delamuraz, démissionnaire pour cause de « grave maladie », dont il avait d’ailleurs lui-même prononcé le nom, et qui l’emportera quelques mois plus tard. Le successeur sera Pascal Couchepin, nous serons les premiers à l’avoir au micro et l’appeler « Monsieur le Conseiller fédéral ». Mais pour l’heure, la tradition exige un discours d’adieu du partant. Delamuraz monte à la tribune. Silence de plomb.

 

Et là, pour l’ultime fois publiquement, les vibrations d’une très grande voix. Je me souviens avoir dit à mon voisin : « Delamuraz, c’est une voix ». Il avait parlé de la Suisse et de son avenir, de l’ouverture, de la jeunesse. Il y avait là les inflexions tragiques du dimanche noir, six ans plus tôt, mêlées à l’acceptation d’un destin personnel, la passion de l’Histoire, celle du pays. J’avais déjà été pris de fierté lorsque Furgler, en novembre 1985, avait accueilli Reagan et Gorbatchev. Mais là, c’était autre chose, la puissance d’une voix, la fragilité d’un homme, la dignité de sa posture. Il nous avait saisis, pour certains jusqu’aux larmes.

 

Petit pays, aux équilibres précaires, à la prospérité beaucoup plus récente qu’on ne l’imagine, fragile, sans matières premières, la Suisse a besoin de quelques grandes voix. Il m’est, pour ma part, parfaitement égal qu’elles soient de gauche ou de droite, il y en eut des deux bords, de Tschudi aux deux personnes citées plus haut. Mais il faut que cette voix nous parle. Il faut qu’elle nous touche. Qu’elle nous donne envie de croire au pays.

 

Qu’est-ce qu’une voix ? Il existe de magnifiques tessitures, parfaitement posées, mais ça n’est pas encore la voix. Il y faut autre chose. Le souffle. Le rythme. L’élan, les pauses, la communion avec le public. La colère, ou parfois l’accent d’une nostalgie. Dans ce registre, qui s’en va chercher dans les jeux perdus de l’orgue, la simple démonstration rationnelle, où l’argument serait livré nu dans la bataille, ne suffit pas. Michel Rocard, qui s’écoute démontrer, ça n’est pas une voix. Mitterrand, à Epinay ou à la fin des Congrès de Toulouse, et peut-être encore aux funérailles de Bérégovoy à Nevers, c’est une voix. Charles de Gaulle, d’un bout à l’autre de son destin, fut avant tout une immense, une incomparable voix.

 

Elle était pourtant mal posée, la voix du Général, parfois beaucoup trop haute, offerte en pâture à la caricature. Mais il avait quelque chose à nous dire, d’incroyablement sincère et puissant. L’immensité de sa voix, c’était le courage des voies choisies. La résistance. La solitude. Le destin. La voix, la voie. L’homonymie est-elle si gratuite que cela ? Si votre discours ne nous emporte pas dans l’espérance d’un chemin, parviendra-t-il à capter ?

 

Retour à la Suisse de 2013. Où sont-elles, ces grandes voix ? Avez-vous en tête le moindre souvenir, même fragmentaire, même trois ou quatre mots, d’un quelconque discours de Didier Burkhalter ? Il serait pourtant, dit-on, notre ministre des Affaires étrangères. Notre pays traverse une crise majeure, attaquée par ses puissants voisins. Le peuple suisse apprécierait d’entendre une voix. Il ne perçoit hélas que le désert d’un silence.

 

Eh bien moi, des grandes voix suisses, vivantes, présentes, j'en connais. Je vais vous en citer une ou deux, quitte à fâcher quelques amis de droite. On aime ou non Jean Ziegler, mais c’est une grande voix. Chaleureuse, éruptive, volcanique, tendre aussi lorsqu’il évoque son enfance dans l’Oberland ou laisse perler ses inflexions spirituelles. On aime ou non Franz Weber (oh, j’ai voté contre, rassurez-vous, amis valaisans), mais quelle puissance de rhétorique, lorsqu’il nous parle du pays physique, des sources et des étangs, et de notre responsabilité face à leur survie. On aime ou non Pierre-Yves Maillard, mais lorsqu’il s’exprime, c’est l’Etat qui parle, et cela n’est pas si fréquent.

 

J’ai cité ici des êtres qui me touchent. Je suis pourtant loin de partager toutes leurs options. Mais la rhétorique, la vraie, peut s’avérer furtive et surprenante. J’ai besoin de celle qui me ramène à l’essentiel : notre condition humaine, notre citoyenneté partagée, notre construction collective de l’avenir. À partir de là, gauche ou droite, basse ou alto, qu’importe. Une voix, dans le discours politique, ne se ramène ni à une tessiture, ni à la perfection d’un phrasé. Elle se jauge à la puissance révolutionnaire d’un verbe et d’une conviction. Non pour défaire une société, mais pour nous proposer les repères d’une aventure commune. Je n’ai pas parlé ici du discours amoureux. Je n’ai pas, non plus, pour vocation de l’exclure a priori.

 

 

Pascal Décaillet

 

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