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  • Apocryphe ou non, l'Évangile selon Saint Mark mérite le détour

     

    Sur le vif - Vendredi 29.04.11 - 18.47h (Année du Sonderbund)

     

    Sous l’horrible titre « Oui à un développement équilibré et au profit de tous les Genevois » (contenant un hiatus prouvant que le secrétaire de rédaction n’a pas relu les mots à voix haute), le président du Conseil d’Etat genevois, Mark Muller, nous livre, dans le Temps de ce matin, une analyse aux accents nouveaux. Un texte qui, sans remettre en question le dogme de la libre circulation, en propose toutefois des atténuations au profit de la population du canton. Très exactement, en mots plus polis, en méthodes moins matamores, en tonalité plus bourgeoise, ce que préconise un parti montant et monothématique qui s’appelle le MCG. Amusant, non ?

     

    Après une introduction un peu longue où il s’emploie à défendre le principe de croissance (le moins qu’on puisse attendre d’un libéral), Mark Muller écrit qu’il est essentiel, pour que la population continue de soutenir la libre circulation Suisse-UE, que tout le monde y trouve son compte. Exactement ce qu’a toujours dit la gauche (les « mesures compensatoires »), ou la galaxie Grobet, ou encore le parti ascendant et obsessionnellement monothématique. Exactement ce que, de leurs salons, ont omis de dire les libéraux, les radicaux, à Genève, depuis une décennie. Que vient corriger, l’air de rien, dans le Temps de ce vendredi, ce nouvel Evangile (apocryphe ?) selon Saint Mark ? L’incurie de qui ? L’arrogance de qui, parmi ses pairs ?

     

    Lisez plutôt : « Le Conseil d’Etat invite les entreprises genevoises à engager des Genevois et des chômeurs genevois. Il y va du maintien de la libre circulation, que certains remettent en question, et de la survie de notre modèle économique ». Sic. Et c’est signé Mark Muller ! Et, pour ma part, j’applaudis, car il y a enfin la reconnaissance des limites du libre échangisme pur, et l’affirmation – sans casser le jouet – de la nécessité d’une préférence locale. Il ne s’agit ni de fermer les frontières, ni de stigmatiser nos amis français, simplement de remettre les pendules à l’heure. Là aussi, c’est plus une question de déplacement du curseur que de révolution. Il y aura toujours des frontaliers, ils seront toujours les bienvenus, ils font vivre des secteurs entiers de notre économie, mais les résidents genevois, ça compte aussi.

     

    Sans l’incroyable pression, depuis des années, du parti monothématique montant, jamais un président libéral du gouvernement genevois n’aurait tenu du tels propos. L’intelligence des partis « traditionnels » (j’utilise ce terme faute de mieux), c’est d’intégrer ce que le monothème brutal a de juste et de bon. C’est ainsi, depuis 1848, que s’est construite la Suisse. En absorbant. Et non en rejetant dans la Marge, créatrice de gueux et de Tiers-Etat, ceux qui ne se contentent pas de la tiède et chétive rhétorique des salons.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Une Suisse ingouvernable ? – Pourquoi donc, M. Besson ?

     

    Sur le vif - Jeudi 28.04.11 - 16.23h

     

    Singulier raisonnement, dans l’éditorial du Temps de ce matin, de mon confrère Sylvain Besson : parce que les partis « traditionnels » s’effondrent, et que l’UDC tutoie les 30% (sondage SSR/gfs publié hier), nous serions, si tout cela se confirmait cet automne, devant « le spectre d’une Suisse ingouvernable ».

     

    Ingouvernable, pourquoi ? Ingouvernable, en quel honneur ? Ingouvernable, par rapport à quel âge d’or ? Vous la trouvez très gouvernable, vous, la Suisse d’aujourd’hui, celle de la législature 2007-2011, cette Suisse qui n’a pas vu venir la guerre du secret bancaire, est incapable d’arrêter une position claire en matière européenne, ne parlons pas de politique de sécurité, et dont les conseillers fédéraux se napalmisent mutuellement par presse dominicale interposée ?

     

    Ingouvernable, simplement parce que la coalition, le socle de partis qui ont cimenté la Suisse de l’après-guerre laisseraient doucement la place, par la volonté du peuple et comme dans n’importe quelle démocratie du monde, à une autre coalition, un autre socle, une autre cimentation ? Dont le pivot – hypothèse – ne serait plus le centre, mais clairement la droite (ou l’ensemble des droites) de ce pays. Jusqu’au jour, parfaitement envisageable, où ce serait la gauche (ou l’ensemble des gauches) en Suisse. Cela n’a rien d’effrayant, cela existe partout, cela s’appelle l’alternance. Un jour ou l’autre, nous y viendrons.

     

    Revenons aux partis « traditionnels », mon confrère entendant par là ceux qui ont fait la Suisse, les radicaux (au Conseil fédéral depuis 1848, le PDC depuis 1891, les socialistes depuis 1943). Intéressant, d’ailleurs, que l’UDC, héritière d’un PAB n’ayant guère moins d’épaisseur historique que les deux derniers cités, ne soit pas considérée comme « parti traditionnel » par le Temps, qui laisse poindre d’intéressantes préférences et jugements de valeur. Il était essentiel à leur survie, il y a cinq ans, six ans, que PDC et radicaux enterrent la hache de guerre du Sonderbund et unissent leurs forces. Ils n’en ont rien fait, le jeu des égos, le maintien des prés-carrés, les querelles d’Achille et d’Agamemnon entre Darbellay et Pelli, tout cela a ruiné cette grande ambition. Et maintenant, c’est trop tard.

     

    Trop tard, parce même additionnés, ils n’arrivent pas au poids de la seule UDC. Trop tard, parce qu’ils ont accumulé erreurs et bévues, ont eu (surtout côté PLR) une communication digne d’un contremaître d’usine à gaz, ont été incapables, dans cette dernière législature, d’offrir au pays un discours clair, recevable par tous, ont commis de mortifères erreurs de casting dans le choix des hommes (Burkhalter, Schneider-Amman), ne sont plus capables d’offrir au pays de grands hommes, des Furgler, des Delamuraz, ou même des Couchepin. Essoufflés, amoindris. Ils ne font plus rêver la Suisse. Au mieux, ils la gèrent. Comme des intendants.

     

    « Ingouvernable », au nom de quoi ? Parce que le vieux socle ne ferait plus le poids ? Comme si ces partis « traditionnels » étaient par essence des partis de gouvernement. Comme s’il existait, de droit divin (que la volonté du peuple ne saurait infléchir) des partis pour gouverner, et d’autres pour demeurer en marge. Ce que nous prône le Temps, en filigrane de cet éditorial, une fois grattée l’apparence de sagesse et de pondération du texte, c’est la conservation de vieux acquis, d’antiques prébendes, surtout ne changeons rien, la Suisse « gouvernable » c’est celle des puissants d’hier, et la Suisse serait ontologiquement « ingouvernable » en cas de glissement du curseur vers la droite. C’est, bien sûr, le droit le plus strict du Temps de le penser, mais alors il dévoile sacrément une préférence, et pourrait avoir le courage d’inscrire, en têtière de une, « Feuille d’Avis de la droite libérale-radicale suisse ».

     

    Imprévisible et instable, et pourtant puissamment instinctif, un homme a compris cela : Fulvio Pelli. Le Tessinois, c’est sûr, commence à en avoir sérieusement assez des gesticulations de son cher allié historique du centre, qui multiplie les tentatives de gonflette en allant seriner de roucoulantes liturgies aux partis émergents, ceux de la mode Fukushima. Au même journal – Le Temps – il l’a dit de façon sèche et cinglante, juste avant Pâques. Il sait, Pelli, que sur 90% des thèmes fédéraux, ceux qui impliquent les mouvements lourds de la société, PLR et UDC sont sur la même longueur d’ondes. Il sait que cet espace politique-là, nettement majoritaire dans le pays, ne s’appelle pas le « centre-droit », ce qui ne veut pas dire grand-chose. Mais la droite.

     

    Il sait qu’en Suisse, il y a une gauche, et il y a une droite. L’une et l’autre, fort respectables. L’une et l’autre ayant donné, de Tschudi à Furgler, de grands hommes au pays. L’une et l’autre ayant à apporter de leurs génies respectifs à l’édification de notre avenir. Par la dialectique de l’antagonisme. L'honneur - sémantique et rhétorique - de la "disputatio". Et non plus, comme cela fut trop longtemps le cas, par le flou centriste, introuvable, de la perpétuelle compromission.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Genève à gauche, pour dix mille ans !

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Mercredi 20.04.11

     

    Putain, encore quatre ans ! Après vingt années de règne, sans partage, de la gauche à la Mairie de Genève, c’est reparti pour une nouvelle législature. De 1991 à 2015, pendant un quart de siècle – une génération – les autorités de la deuxième ville de Suisse auront été tenues par des socialistes, des Verts, et la gauche de la gauche. Peut-être, au-delà de 2015, cela durera-t-il encore douze ans, vingt ans… Dix mille ans? La question, tous les quatre ans, revient : mais pourquoi donc une ville aussi prospère, lieu de marchés, d’échanges, de création d’entreprises, qui pourrait être, au fond, un symbole du libéralisme, confie-t-elle ses destinées à des équipes étatistes ?

     

    Les réponses sont nombreuses. D’abord, Genève n’est pas une exception, ni en Suisse ni en Europe : de plus en plus, la gauche obtient du succès dans les agglomérations urbaines. Elle n’y fait d’ailleurs de loin pas du mauvais travail, gère plutôt bien le social et la culture. En matière de logement, de mobilité et de sécurité, les résultats sont nettement moins au rendez-vous. La droite ferait-elle mieux ? A vrai dire, on n’en sait trop rien : voilà des millénaires, dans l’esprit des gens, qu’elle a disparu des affaires. Nul, dans la jeune génération, à Genève, ne pourrait vous citer les noms des magistrats de droite, en Ville, lorsqu’ils étaient encore majoritaires !

     

    A cela s’ajoute – mais c’est une cuisine interne avec laquelle je ne veux pas trop ennuyer mes amis valaisans, lecteurs de ce journal – que la gauche municipale genevoise a eu le singulier honneur, en ce printemps 2011, d’avoir face à elle la droite la plus bête du monde. Alors que socialistes et Verts n’ont jamais eu le moindre état d’âme à s’allier avec une galaxie « gauche de la gauche » comprenant, entre autres, les héritiers du Parti du Travail, l’Entente, quant à elle (PDC, radicaux, libéraux) s’est offert un psychodrame en cinq actes, au reste non résolu, sur la question de son alliance avec une UDC locale plus proche du petit poujadisme de province que des chemises noires. Résultat : un seul élu, le radical Pierre Maudet, face à quatre de gauche, pour les quatre ans qui viennent.

     

    La dernière explication est le syndrome du cocon. La gauche, depuis vingt ans, y tient un discours très maternant, le « vivre ensemble », les « écoquartiers », les « espaces verts », la « mobilité douce ». Une rhétorique, au fond, très conservatrice : profitons, sans rien changer, du bonheur de vivre dans cette ville, soyons reconnaissants aux édiles de gauche qui la mènent, surtout ne touchons rien, respirons le même air, heureux, que nous soyons Suisses ou « migrants » (le mot « étrangers » semble avoir disparu du vocabulaire), profitons des logements sociaux, graissons notre vélo, dégraissons nos aliments. Et puis, dans quatre ans, dans le bistrot bobo le plus proche, on déjeune, et on en reparle.

     

    Pascal Décaillet