Chronique publiée dans le Nouvelliste - Jeudi 20.10.10
Tous ceux qui me connaissent vous le confirmeront : j’ai passionnément aimé la France. Son Histoire, ses passions, ses déchirures. La lumière de son passé chrétien, mais aussi le legs de la Révolution, c’est parfaitement compatible, en tout cas depuis l’appel au Ralliement de Léon XIII. Quand j’étais enfant, le président de la République française s’appelait Charles de Gaulle. Plus tard, il s’est appelé François Mitterrand. Figures supérieures, inoubliables.
Je me demande souvent si cette grande nation n’est pas morte en mai-juin 1940. Libérée non « par elle-même » (de Gaulle, Paris, août 44), mais bel et bien par les Alliés, de facto sous tutelle du parapluie occidental, la France a continué de se croire aux premières loges de l’Histoire. Elle n’y était plus. Elle a décolonisé dans la douleur, s’est certes donné, de 1958 à 1969, un homme d’exception pour la guider, mais cet éblouissant mystique de la politique lui brandissait le cadavre d’une nation perdue, lui faisant croire qu’elle vivait encore.
Aujourd’hui, il ne reste plus rien. Un président petit bourgeois, suintant l’orléanisme sans même avoir la hauteur giscardienne du chasseur. Une gauche incapable de sortir du mythe du Grand Soir. Une droite sans la moindre classe. Une extrême droite qui monte. Une population majoritairement désertée par l’ardeur d’entreprendre, écrasée par la bureaucratie, attendant tout de l’Etat, soit pour s’en nourrir, soit pour le vilipender. Ce grand pays est sans doute l’un de ceux d’Europe où la notion de responsabilité individuelle est réduite à sa portion la plus congrue. On subit. Et, quand on en a marre de subir, on descend dans la rue. Et on casse tout.
En chaque Français, il y a un héros de barricades qui sommeille. On se joue à n’en plus finir les grandes scènes de 1830, 1848, 1944, 1968. Le gouvernement cède un peu, ou beaucoup, c’est selon. On inscrit ses exploits au fronton de la légende. Et puis, la vie continue, si verticale dans les rapports de pouvoir, sans que la base ne puisse – pacifiquement – influer par des initiatives (au sens suisse) sur le destin national. Cette logique est arrivée au-delà de son terme. Une révolution est possible, qui pourrait bien être ultraconservatrice. Le dernier exemple date de 1940. Le modèle républicain qui nous a tant fait rêver est en péril.
Pascal Décaillet