Sur le vif - Samedi 05.06.10 - 15.27h
Il y a, dans l’affaire Hainard, quelque chose qui ne va pas.
Encore une fois, je ne connais pas le détail de cette affaire, ni M. Hainard personnellement, et suis bien éloigné, ces temps, de la vie politique neuchâteloise. Mais il y a, depuis le début, quelque chose qui ne va pas. Qui sent mauvais. Et qui ressemble à une exécution.
Il y a quelques semaines encore, personne, à part à Neuchâtel, ne connaissait le nom de Frédéric Hainard. Pas plus que les Neuchâtelois n’ont entendu parler d’Isabel Rochat ou de Michèle Künzler. C’est ainsi. Les verticalités juxtaposées de nos existences cantonales.
Et puis, d’un jour à l’autre, patatrac ! La Suisse romande entière, par papier orangé ou ondes publiques, découvre que sévit, du côté de Neuchâtel, un ignoble individu, incarnation du péché. Le sale type, à l’état pur. Immédiatement, sans la moindre forme de procès, on l’appelle « Le Sheriff », on l’affuble systématiquement de ce nom, « Hainard le Sheriff », comme « Achille aux pieds légers » ou « Ulysse aux milles ruses ». L’étiquette est collée, exit Frédéric, va pour le Sheriff. On le déleste de son identité, on en fait une figure. D’ailleurs, très vite, exit Hainard, on se contente de dire « Le Sheriff ».
Et puis, on le montre. On balance sa photo. Tous les matins. Wanted ! Le Sheriff mis à prix, c’est classique dans les plus grands westerns, où il est si excitant que les fonctions de bien et de mal s’inversent. Comme ressort narratif, c’est génial : les gens adorent ça. Comme il faut bien un peu de biscuit, on accumule les témoignages. On fouille sa vie publique. On passe au crible sa vie privée. Il y a un film de 1938, un chef-d’œuvre de Michael Curtiz, « Angels with dirty faces », où l’éblouissant James Cagney incarne le mal absolu. Frédéric Hainard est jeté en pâture, jour après jour, comme un homme à la face sale. Il est le Cagney de l’histoire, le sale type.
Paradoxalement, plus on crée et peaufine cette figure du mal, moins le public n’est informé de la nature exacte des griefs qu’on adresse à cet abominable personnage. L’image du sale type s’impose, avec une telle puissance de dévastation qu’elle éclipse toute analyse dialectique sur le fond du dossier. Il aura, par exemple, fallu attendre aujourd’hui, samedi 5 juin 2010, 12.35h, pour apprendre que de nombreux fonctionnaires anonymes du Département Hainard défendaient leur chef, le « sale type », parce qu’il avait eu le courage de s’en prendre à des dysfonctionnements internes, au reste bien antérieurs à son entrée en fonction. Le moins qu’on puisse dire est que cette « révélation » aurait pu arriver plus tôt.
Reste à savoir à qui profite l’affaire Hainard. Qui instrumentalise qui. Qui, dans ce canton, n’en peut plus de ne pas digérer le récent succès d’un monde libéral-radical qu’on aurait préféré expédier ad patres, au rayon Histoire. Il sera intéressant, un jour, de s’interroger sur l’équilibre avec lequel on a récolté les « témoignages » contre Hainard. Ce jour-là, l’intéressé sera-t-il encore dans la vie politique. Ou aura-t-il craqué ?
Pascal Décaillet