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  • L’ATE déraille

     

    J’ai le plus grand respect pour Elisabeth Chatelain, vice-présidente de l’ATE genevoise (Association Transports et Environnement), également co-présidente du comité CEVA. Mais sa lettre du 27 octobre à Patrice Plojoux, président des TPG, dont elle m’adresse copie, laisse pantois et attire au sol, d’un coup newtonien, les chaussettes les mieux fixées. Elle s’y plaint que les anti-CEVA aient le droit de faire leur pub sur les trams genevois, dans la perspective de la votation du 29 novembre.

    « Nous avons été stupéfaits d’apprendre que le principal prestataire genevois de transports publics allait mettre à disposition ses véhicules comme supports pour une propagande qui va clairement contre le développement d’un réseau de transports publics régionaux ». Sic. En d’autres termes, si c’est pour la propagande du oui, donc la théologie du Bien, vivent les trams ! Si c’est pour se faire les vecteurs du Malin, l’ignoble, la rétrograde idéologie des opposants, pas question. Belle conception de la démocratie.

    Au-delà de cet épisode, il est à regretter que le CEVA, objet de votation républicaine, donc de discussions, de remises en cause, avec des partisans et des opposants, soit en train d’acquérir le statut d’Arche sainte, inattaquable. Le dogme. C’est parce qu’il était atteint de la noire folie de s’y opposer que l’avocat Mauro Poggia, qui aurait bien aimé être député PDC, s’est vu décliner son offre par ce parti, pour le plus grand bonheur du MCG, qui l’a récupéré.

    Elle signifie quoi, l’union sacrée pour le CEVA, au-delà d’elle-même ? Réponse : les partis gouvernementaux qui se tiennent, en période électorale, par la barbichette, dans un petit jeu de coquins et de copains, où s’abriter derrière une bonne cause, bien rassembleuse, ne peut jamais faire de mal.

    Cela dit, je suis pour le CEVA. Mais il est d’autres transports, aussi, qui attirent mon adhésion : la libre circulation des idées, le droit de les remettre en cause sans se faire jeter des sorts. Ni finir sur un bûcher.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L’ange de la mort

    Tribune de Genève - Jeudi 29.10.09

     

    Un type en cavale, tueur en série, assassin de son père et bientôt de sa propre mère : Roberto Zucco. Rencontre avec une « gamine », qui tombe amoureuse de lui. Le sang, le cache-cache avec la mort, et au final, le grand plongeon, du toit de la prison. Dit comme ça, sordide, au carré. Transfiguré par la plume de Koltès, sublime.

    Mort du sida il y a juste vingt ans, si jeune, Bernard-Marie Koltès laisse une œuvre de feu, « une écriture qui vous prend dans le sang », un rythme incroyablement haletant, un sens inégalé de la virgule, celle qui marque et qui saccade, celle qui scande et donne le pouls du texte. Monologues, dialogues, l’écriture tragique à nu, à vif. Un style. Incomparable.

    « Roberto Zucco », depuis hier soir, c’est une pièce, mise en scène par Christophe Perton, à la Comédie. On brûle de s’y engouffrer, de découvrir Olivier Werner, dans le rôle-titre, Christiane Cohendy dans celui de la mère. Et tous les autres.

    La mère, le fils, le père. Une ancestralité moirée de comptes à régler. Le nœud tragique, celui qui vous étouffe et vous amène au meurtre. Au milieu de tout cela, de toute cette saloperie, l’incantation, comme chez Eschyle, d’une langue. Où chaque syllabe, chaque ponctuation s’immole de l’urgence d’avoir sa place. Le rôle du comédien, c’est de la lui donner. Quelque part, entre la vie et la mort. A la Comédie, Zucco nous attend.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • La « Lettre à tous les Français » de Charles Beer

     

    23 pages, un corps de caractère suffisamment gros pour ne pas faire fuir le putatif électeur du troisième âge, ni le faux aveugle. Quelques intertitres clairs, aussi. Voici, épicé par une forte dose d’épicène, version tous ménages, le credo de Charles Beer en quête de réélection. Il a bien voulu, hier soir, m’en offrir un exemplaire, je l’ai lu avec intérêt.

    « Lettre à tous les Français », c’était François Mitterrand, 1988, d’un septennat l’autre, la campagne où il n’en finit plus de jouir du patient assassinat de son propre Premier ministre, Jacques Chirac. « Vous avez parfaitement raison, Monsieur le Premier ministre », lui lance-il dans un débat de légende. « J’ai choisi de vous écrire », c’est le texte de Charles Beer, judoka ailé, politique avisé, l’homme accompli, à cela près que, contrairement à Mitterrand, il est lui, un authentique socialiste. Nul n’est parfait.

    D’abord, hommage. Très bien d’avoir choisi l’écriture, ces quinze ou vingt minutes d’attention que le candidat à réélection réclame de son (é) lecteur. Le texte est clair, le public visé est le plus large possible, les parts du chemin personnel (référence à des grands-parents artistes, page 19, histoire de préparer les esprits à son futur grand Département Formation et Culture) et du projet collectif, bien balancées. Thèse, antithèse, synthèse, on gomme un peu le moi pour laisser poindre l’être syndical, altruiste, coopératif, parce que la vie est belle, et l’air, dépollué par les cousins Verts, si pur.

    Sans ambition de plume, juste de clarté, le candidat Beer, bon élève socialiste (n’a-t-il pas, lui aussi, hier soir, au risque de perdre des tonnes de voix, rendu hommage à l’œuvre policière de Laurent Moutinot, ce qui apparaît comme la forme ultime, disons esthétisée, du suicide électoral) n’oublie ni Jaurès (Dépêche de Toulouse, page 8), ni Blum (Congrès de 1919, page 13), ni Mitterrand (la Lettre à tous les Français, justement, page 21). Il fait tout juste, Beer. Un peu scolaire (à lui, on le pardonnera), un rien prévisible. Transparent. Mais juste.

    Pour le reste, une condamnation du gain spéculé (page 5) au profit de l’économie réelle qui relève, par les temps qui courent, d’une extraordinaire prise de risque intellectuelle, 97,69% des gens la partageant. Un éloge (page 9) des Réseaux d’enseignement prioritaires qui passionnera les foules, un rappel (page 13) de la nécessité de « la notion de genre dans la formation initiale des enseignantes et enseignants », qui sonne un peu comme une apologie de la parthénogénèse, devant une rangée, attentive, d’escargots.

    Mais qu’importent ces broutilles, et je me hais moi-même, dans toute la noire imperfection de mon être, de les relever. L’homme a osé. Il a écrit. Le Goncourt ? Peut-être pas. Mais une intention louable. Un marchepied vers la réélection. En attendant d’autres cieux, juste dans la verticalité de l’être. Sous le soleil, exactement.

     

    Pascal Décaillet