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  • Les gueux de hasard

     

    Chronique Nouvelliste + Edito Radio Cité - Vendredi 09.10.09

     

    « Au suivant ! ». En approche seulement triviale, cela pourrait faire penser à la chanson de Brel. De fin août à ce jeudi 8 octobre, j’ai eu le privilège de voir défiler sous mes yeux, tous les matins dans mon émission radio « Le 7-8 », sur Radio Cité, près de 200 des 390 candidats au Grand Conseil genevois ! Hommes, femmes, jeunes, vieux, éloquents, bègues, gauche, droite, sincères, margoulins, candides ou briscards. De beaux échantillons d’humanité, dans l’aube d’un arrière-été d’exception, quelque part dans la zone industrielle de Carouge.

     

    De l’extrême gauche à la droite dure, l’immense majorité de ces gens m’ont touché. Parce qu’ils sont venus là avec la tenace et puissante solitude de leurs rêves. Leurs projections, entre naïveté et réalisme, pour l’avenir d’une communauté humaine. Il y a la candeur des débutants, la parole qui parfois se dérobe dans l’émotion d’un premier passage au micro, il y a les rires, les mots sous les mots, l’imprévu des glissements, le bonheur de défier la pesanteur sur une peau de banane. C’est cela, le direct, un accouchement à deux où nul, parfois, ne sait plus très bien qui tient la main de l’autre. Souvent, j’ai pensé à Mounier, son personnalisme, la Revue Esprit, toute la grande réhabilitation, en ces années-là qui étaient de noirceur, de l’humain dans l’anfractuosité que voulait bien lui laisser la raideur des idéologies.

     

    Et puis quoi, ce sont des gens ! Des sourires. Des sales tronches, parfois, mes préférés. Parce qu’il faut aller chercher, gratter. Chatouiller l’orgueil. Tenter le lien, le contact. Ils nous parlent de la chose commune, et en même temps nous parlent d’eux. Et c’est cela qui est passionnant : la jonction d’une intimité, celle d’un parcours personnel, avec un projet de société. En cela, plus les partis viennent de la marge, ces bas-côtés que l’officialité de la politique genevoise laisse gésir comme des gueux de hasard, plus le récit personnel est troublant. Chômeurs. Paumés. Révoltés. Ecorchés. Et ils sont là, comme des revanches du silence, avec leurs mots à eux, pour tenter, quand même, de dessiner un avenir. C’est aussi cela, la politique, ce mélange de rêves et de réalité fracassée, de dents brisées sur le bitume et d’envols dans l’éther. A ces 200 rencontres du matin, je dis merci. Elles m’ont infiniment apporté.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Censure : surtout pas !

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 08.10.09

     

    Une initiative nulle, une affiche infâme : j’ai dit ici, lundi, ce que m’inspirait le combat de certains de mes compatriotes contre les minarets. Faut-il, pour autant, l’interdire, l’affiche ? Evidemment non ! Le Ville de Lausanne est tombée dans le piège, celle de Genève heureusement pas.

    Une affiche est un révélateur. Elle arrache des masques, dévoile des vérités, donne à humer ce que suintent les entrailles d’un parti. Eh bien, que cela se sache ! Que cela se voie ! Que cela se contemple sur les murs de nos villes ! Décoder, décrypter, c’est le rôle du journaliste. Et c’est, aussi, celui du citoyen. Qui est adulte.

    Une affiche, c’est un graphisme. Sept minarets noirs (diable, il est lourd, ce chiffre-là) en érection sur le drapeau suisse. Juste à côté, tout aussi noire, une femme en burka. Domination. Occupation. Que cela se commente, et pourquoi pas dans les écoles ! Que cela se déchiffre. Le pari sur l’intelligence, la raison, en l’espèce, est le seul qui vaille.

    Quelles affiches doit-on censurer ? Celles qui, tout simplement, sont illégales. La loi doit être le seul critère. La loi, pas la morale. La loi, pas le consensus de la pensée dominante. Si l’affiche est légale, même infâme, qu’elle se voie. Qu’on en décortique les signes, en public. Mais, désolé, l’interdire, c’est entrer totalement dans le jeu de ses auteurs. Ils sont déjà assez malins comme cela, sans qu’on leur fasse cette fleur.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Degré zéro

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 05.10.09


    Je dédie cette chronique aux Musulmans de Suisse, et principalement à ceux d’entre eux qui, ayant pris la nationalité, sont maintenant des compatriotes. Des Suisses comme moi, Suisses musulmans, comme il y a des Suisses juifs, des Suisses athées, comme je suis un Suisse catholique. Nous sommes citoyens, c’est ce qui nous rassemble. Le reste, c’est du privé.

    Depuis un demi-siècle, j’arpente ce pays, j’en connais tous les cantons, j’y ai accompli 500 jours d’armée, je connais toutes les vallées du Valais, j’ai vécu à Berne. Eh bien croyez-moi, je n’ai absolument pas le souvenir d’y avoir jamais vu le moindre minaret. Des églises, des temples, quelques rares synagogues. Mais minarets, zéro. Enfin deux ou trois, paraît-il, mais hors de mon champ de vision.

    C’est dire l’extraordinaire urgence, l’impérieuse nécessité de l’initiative sur laquelle nous voterons le 29 novembre. C’est un peu comme si Sancho Pança diligentait, quelque part dans la solitude de la Mancha, une initiative contre les moulins.

    Tout cela pourrait, à la limite, apporter son grain à une surréaliste anthologie du dérisoire, s’il n’y avait l’affiche. Vous la verrez bientôt, comme de lépreuses floraisons (j’emprunte au poète), sur nos murs. Légale, sans doute. Efficace, à coup sûr. Mais au-delà de la nausée. Une chronique, c’est pour donner son avis, non ? Eh bien voilà : le mien, maintenant, vous le connaissez.

     

    Pascal Décaillet