J’ai toujours pensé qu’au-delà de l’au-delà, plus loin que l’Apocalypse, là où s’évapore l’ultime éther de l’univers, il y avait Moritz Leuenberger. D’ellipses en éclipses, ce Pierrot lunaire en errance semi-consciente sur le chemin terrestre se maintient en son règne, au demeurant interminable, par la seule grâce de bons mots qu’il décoche avec une célérité inversement proportionnelle à l’énergie qu’il investit en politique.
De cet esprit en perpétuelles fiançailles avec l’irréel, nous savions déjà qu’il aimait l’art contemporain, les galeries zurichoises, les aphorismes de Lichtenberg, les sushis pour bobos, la poésie concrète. Mais nous ignorions encore les mouches.
Oui, les mouches.
Interrogé par l’Hebdo de cette semaine sur l’avenir du papier, en concurrence avec la toile, le Prince de l’Esquive a cette belle phrase : « Tant qu’on pourra écraser une mouche avec son journal, la presse imprimée existera. Avec l’internet, on n’a encore jamais réussi à supprimer une mouche ».
Voilà qui nous rassure. A maints égards. D’abord, nous savons enfin à quoi le ministre occupe ses journées dans son bureau. Ensuite, nous découvrons avec bonheur que la presse peut avoir, à ses yeux, une forme d’utilité.
Sous la clarté lunaire, juste l’ombre d’un doute : en connaissant toute l’étendue des ultimes outrages que les humains peuvent imaginer d’infliger à une mouche, une question, raide comme une pénétrante, nous traverse : se contente-t-il, au moins, de les tuer ?
Si oui, plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes.
Pascal Décaillet