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  • Moritz, Sa Majesté des Mouches

    J’ai toujours pensé qu’au-delà de l’au-delà, plus loin que l’Apocalypse, là où s’évapore l’ultime éther de l’univers, il y avait Moritz Leuenberger. D’ellipses en éclipses, ce Pierrot lunaire en errance semi-consciente sur le chemin terrestre se maintient en son règne, au demeurant interminable, par la seule grâce de bons mots qu’il décoche avec une célérité inversement proportionnelle à l’énergie qu’il investit en politique.

    De cet esprit en perpétuelles fiançailles avec l’irréel, nous savions déjà qu’il aimait l’art contemporain, les galeries zurichoises, les aphorismes de Lichtenberg, les sushis pour bobos, la poésie concrète. Mais nous ignorions encore les mouches.

    Oui, les mouches.

    Interrogé par l’Hebdo de cette semaine sur l’avenir du papier, en concurrence avec la toile, le Prince de l’Esquive a cette belle phrase : « Tant qu’on pourra écraser une mouche avec son journal, la presse imprimée existera. Avec l’internet, on n’a encore jamais réussi à supprimer une mouche ».

    Voilà qui nous rassure. A maints égards. D’abord, nous savons enfin à quoi le ministre occupe ses journées dans son bureau. Ensuite, nous découvrons avec bonheur que la presse peut avoir, à ses yeux, une forme d’utilité.

    Sous la clarté lunaire, juste l’ombre d’un doute : en connaissant toute l’étendue des ultimes outrages que les humains peuvent imaginer d’infliger à une mouche, une question, raide comme une pénétrante, nous traverse : se contente-t-il, au moins, de les tuer ?

    Si oui, plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Maurice-Ruben Hayoun : l’honneur de l’Université à Genève

     

    Sur le vif - Et dans la noire chaleur de la colère - Vendredi 20.03.09 - 09.50h

     

    Barrès, dans la « Colline inspirée », parle des lieux où souffle l’esprit. On pourrait en dire autant de certains hommes, certaines femmes : les approcher nous transforme, les fréquenter nous élève. Rend plus salé, plus piquant, dans l’improbable brouillon de nos entrailles, le sentiment déjà si pointu de vivre et d’exister. C’est exactement ce qui m’advient chaque fois que je rencontre Maurice-Ruben Hayoun. Par la clairvoyante cécité des ondes, dans la lumière d’un plateau TV, ou encore plus en dévorant ses ouvrages exceptionnels sur la philosophie juive.

    Sans lui, sans cet homme-là, moi, pourtant germaniste, je n’aurais, par exemple, jamais entendu parler de Moïse Mendelssohn, ce génie des Lumières allemandes au XVIIIème siècle. Ni de Theodor Lessing. Ni de Léo Baeck. Ni de tant d’autres. Maurice-Ruben Hayoun m’envoie ses livres, je les lis. Il m’appelle, je l’appelle, nous échangeons, et chacune de ses interventions audiovisuelles jaillit comme un faisceau d’étincelles dans la pénombre de nos ignorances. Homme de liens, de ponts : l’étincelante toile de son univers, de Berlin à Cordoue, de la Kabbale au Talmud, c’est celle de l’araignée, infatigable dans le tissage des réseaux. Si fragile et si tendu, le fil, reflets du soleil où sublime solitude d’une goutte d’eau, sensualité des connaissances, c’est tout cela, Maurice-Ruben Hayoun.

    Cet homme, aussi germaniste qu’il est hébraïsant, se trouve correspondre régulièrement, dans la langue de Hölderlin et de Paul Celan, avec un certain Ratzinger, brillant intellectuel aujourd’hui un peu égaré dans la papauté. Cet homme, Hayoun, connaît mieux, et au scalpel, les contours de l’identité catholique que bien des théologiens professionnels de cette religion. Moi catholique, le penseur juif Maurice-Ruben Hayoun m’aide à mieux me connaître, dans la crépusculaire complexité de mon chemin.

    Cet homme-là, j’apprends par ma consœur du Temps Cynthia Gani, ce matin, et par un beau papier du professeur Gasteyger, qu’on envisage de lui retirer sa chaire. Pour l’heure, je contiens encore les mots qui pourraient être miens si une telle absurdité se confirmait. Autant être clair : nous serions là, asphyxiés par manque d’oxygène, sur l’ultime promontoire d’une sorte d’Everest de la bêtise. Dans un monde décidément perdu, au-delà de l’Eden, où rouleraient à terre toutes les têtes qui, peu ou prou, dépassent. Et dont le sang viendrait nourrir le terroir des tranquilles et des médiocres, des jaloux et des revanchards, des aveuglés sur ceux qui tentent, juste un peu, d’accéder à la lumière.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Le noir, la mémoire

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 19.03.09

     

    Faut-il tirer la comparaison, comme l’a fait Alberto Velasco, jusqu’à la rafle du Vel d’Hiv, à Paris, les 16 et 17 juillet 1942 ? Non, bien sûr, c’est excessif. Mais tout de même : la dernière motion du MCG trempe sa plume dans l’encre la plus noire. Celle d’une Histoire qu’on espérait abolie.

    De quoi s’agit-il ? Parquer les SDF étrangers en situation irrégulière, la nuit, à la Caserne des Vernets, sous la surveillance de l’armée. Les SDF suisses ? A eux, logements adaptés et services sociaux. Bref, d’un SDF l’autre, on crée un apartheid. Du bon ange à l’âme damnée, voici les cieux déchirés. A l’élu, la préférence nationale. A l’apatride, le mirador.

    Soit. Voilà qui est au moins clair. Et qui donne une tonalité : celle de la campagne que s’apprête à mener Eric Stauffer pour les élections de cet automne. L’enjeu, c’est la victoire au sein de la droite de la droite. Avec un adversaire à abattre : l’UDC. Alors on mise, on surenchère. Et l’automne est encore loin.

    L’eau vive de cette motion, c’est l’eau de Vichy. A quoi se mêle un doux parfum de Vigilance, élégant comme un épouvantail, quelque part dans la grande plaine. Celle où passent les trains dont on connaît la gare de départ, mais pas toujours celle d’arrivée. Et dont les passagers n’ont que très rarement l’occasion de faire valoir leur billet retour.

     

    Pascal Décaillet