Sur le vif – Dimanche 27.07.08 – 19.20h
Comme je l’ai noté dans mes deux derniers billets, la saga d’été « Roland Nef » n’est rien d’autre qu’une pure affaire politique, une juteuse aubaine, de bien des côtés, pour s’engouffrer dans la succession de Samuel Schmid. C’est cela, et rien d’autre : la vie privée du chef de l’armée suisse n’étant (à part pour les naïfs ou les moralistes) que d’une bien faible importance dans l’histoire. Point n’est besoin d’avoir lu Machiavel, ni l’œuvre complète de Guizot, pour savoir que morale et politique sont deux domaines, disons, pour le moins disjoints.
J’ai relevé ici, très récemment, l’opportunisme avide du président des Verts, Ueli Leuenberger, dont tout le monde sait qu’il aimerait caser l’un des siens (allons bon, lui-même) au Conseil fédéral avant la fin de la législature. Il m’a paru bon, aussi, de rappeler le résultat pour le moins modeste de ce parti, aux dernières élections fédérales, malgré l’incroyable battage qui avait précédé, nous annonçant, tout l’automne, l’émergence d’une nouvelle Suisse, où l’angoisse du réchauffement viendrait ébouillanter les consciences. Tout cela, au final, pour moins de 10% devant le corps électoral.
Que Samuel Schmid soit sur le départ, qu’il ne finisse sans doute pas la législature, on peut en convenir. Que les partis songent à sa succession, ma foi, n’a en soi rien de choquant : en politique, mieux vaut avoir quelques longueurs d’avance. À cet égard, un homme, ce dimanche, dans la presse alémanique, s’est singularisé avec talent et, une fois de plus, sens de la manoeuvre: Christophe Darbellay. Il reconnaît que la place que Schmid pourrait, un jour, laisser vacante, appartient à l’UDC (et non à son provisoire Ersatz bourgeois), et tend même la main à ce parti sur des sujets ponctuels : finances, coût de la vie, fiscalité, politique familiale.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le signal du président du PDC est important. D’abord, quand Fulvio Pelli dort, ou simule l’hibernation, Darbellay, lui, existe. Surtout, en ouvrant le jeu (enfin !) sur sa droite, le Valaisan confirme, à ceux qui auraient pu l’oublier, l’essence fondamentalement bourgeoise de son parti. Sociale, certes, familiale, nourrie de mille sources, dont Léon XIII et le corporatisme, mais profondément enracinée, depuis au moins la fin de la Première Guerre mondiale, dans la grande famille de droite. Vouloir l’ignorer, c’est bafouer l’Histoire, et s’aveugler face au réel.
Ce signal d’aujourd’hui était nécessaire. Parce que Christophe Darbellay avait, pour de pures raisons tactiques, ourdi le coup du 12 décembre avec deux compères de gauche, MM Levrat et Ueli Leuenberger, certains grands naïfs nous avaient annoncé l’émergence d’un nouvel axe du monde, un Centre illuminé par le Rayon vert. Bien entendu, il n’en est rien : les Verts, dans les grands moments, votent TOUJOURS avec la gauche. Et la démocratie chrétienne n’est pas un parti de gauche.
Cette main tendue du président du PDC confirme sa volonté (entamée dans un important virage, il y a plusieurs semaines ; à vrai dire au lendemain de son échec valaisan) de se battre désormais pour la cause de la droite unie en Suisse. Tisser des liens entre les différentes sensibilités bourgeoises de ce pays, au demeurant largement majoritaires (face à une gauche bien faible) devant les électeurs.
Eh oui, la Suisse est un pays plutôt conservateur, attaché à la famille, à la liberté du commerce et à celle des idées, se méfiant des grandes idéologies collectives, comprenant que, pour distribuer les richesses, il faut d’abord beaucoup travailler pour les produire. Ces valeurs-là sont radicales, libérales, démocrates-chrétiennes, et sans doute aussi UDC. Charge aux trois premiers de rappeler au quatrième que l’étranger n’est pas un ennemi, que l’immigration a beaucoup apporté à notre pays, que rien ne sert de fermer les frontières. C’est cette dialectique-là, exactement, que Darbellay veut initier avec le parti arrivé en tête des dernières élections. Leur parler, plutôt que les diaboliser.
On me dira que l’UDC ne voudra rien entendre d’un homme qui, le 12 décembre, a trahi la droite suisse. Je rétorquerai qu’elle aurait tort. En politique, rien ne sert de s’enferrer dans des rancunes trop tenaces. Il faut, en toutes choses, considérer la finalité suprême. Donner au camp bourgeois, nettement majoritaire dans le pays, encore plus lors du dernier test électoral (21 octobre 2007), davantage de cohérence et de solidité, me semble constituer l’un de ces objectifs à long terme devant lesquels les petits tiraillements personnels devraient pouvoir, raisonnablement, s’effacer.
Pascal Décaillet