Mon commentaire sur l'évolution de la démocratie chrétienne suisse - Giornale del Popolo - Samedi 03.11.07
D’abord, il y a ce tailleur noir. Superbe. Le noir de Ruth Metzler, devant les parlementaires qui la trahissaient, le 10 décembre 2003. Le noir de l’adieu, le noir du deuil, celui des temps difficiles et des déserts à traverser. Ce jour-là, la démocratie chrétienne suisse était poignardée par ceux-là même qui avaient, pendant plusieurs décennies, fait un magnifique bout de route avec elle, dans l’Histoire suisse : les radicaux. Ce jour-là, le PDC touchait le fond. Oui, le fond glacé du torrent, où erre la mort.
A partir de ce moment-là, il n’avait plus qu’à organiser sa renaissance. Car après la mort, pour un démocrate chrétien, c’est bien connu, il y a la vie, non ? Et aujourd’hui, quatre ans après la journée noire, la reconquête, doucement mais sûrement, est en marche. Cela, très clairement, grâce à deux personnes : Doris Leuthard et Christophe Darbellay. Enfin, quelqu’un ! Enfin, des chefs. Enfin, des responsables, une ligne, une stratégie, un plan de bataille, le don de la communication. Finies, les années grises, finis les passants sans relief, trop sages, trop technocrates, les Deiss et les Koller.
Car la politique, avant tout, loin de n’être que des idées, ce sont des hommes, des femmes. Des tempéraments, des ambitions (et pourquoi pas personnelles ?), un passé, des cicatrices, des combats. Pouvoir personnel ? Et alors ? Mieux vaut cela que l’impuissance impersonnelle, les fantômes raseurs de murs que ce parti, beaucoup trop, a mis en avant depuis le départ, en 1986, d’un certain Kurt Furgler. Oui, le PDC, cruellement, pendant une vingtaine d’années, a été comme une pièce de théâtre sans personnages, sans scénario, sans jeu de lumières. Et sans doute, aussi, sans spectateurs.
Pendant ce temps, et à cause de cette inexistence de la « droite traditionnelle », l’UDC n’a fait que progresser. Un chef charismatique (Blocher), du courage contre la grisaille et le politiquement correct. Une dionysiaque fureur de conquête, dont la dernière proie, ces huit dernières années, et aujourd’hui avalée, aura été la Suisse romande. Dieu sait si je ne partage pas les thèses de l’UDC, notamment sur l’immigration et l’image de l’Autre, mais comment ne pas admirer la puissance créatrice, stratégique et communicative de ce parti ?
Le drame de la démocratie chrétienne suisse, pendant toutes ces années, c’est d’avoir érigé le Centre comme but en soi. On arrive, on se pose, on prend des grands airs de sacristie, et on dit : « Je suis au Centre ». Cela n’a aucun sens, cela est lâche, cela discrédite la politique. Le Centre, oui, pourquoi pas, mais comme résultante de forces antagonistes (et même d’une dialectique, au sens où l’entendent Aristote ou Hegel), pas comme finalité ! Cet extrémisme du Centre a fini par accréditer l’image d’un parti de slalomeurs, un coup à gauche, un coup à droite : la trahison permanente. Pour parler clair, le Centre n’existe pas. En politique, il y a la droite, il y a la gauche. Et c’est tout.
Pour continuer sa progression, encore timide, vers l’horizon 2009, le PDC doit clairement restaurer sa crédibilité au sein de la droite. Social, certes, ouvert, égalitaire, européen, tout cela est excellent, mais dans une famille de pensée, clairement, d’inspiration libérale. A cet égard, les récents rêves de « tripolarité », où un PDC confortablement installé au Centre voterait une loi avec les Verts, et une autre avec les radicaux, est une pure illusion, la ruine de tout crédit, de tout honneur. Ce serait une erreur fondamentale.
L’avenir de la démocratie chrétienne suisse, c’est se remettre à travailler avec son partenaire de toujours (au plan fédéral) : les radicaux. Aujourd’hui, à part le souvenir, bien éclipsé, du Sonderbund, à part la loi des clans, dans les cantons, presque plus rien ne sépare ces deux grandes familles de pensée. La prochaine grande aventure de la droite traditionnelle, en Suisse, c’est de réinventer les valeurs qui la rassemblent. Il serait bon que l’actuel président du PDC suisse, Christophe Darbellay, se montre un peu moins timide dans ce grand dessein. Il serait bon, aussi, que les grandes figures du PDC assument un peu mieux la troisième lettre de leur parti, ce « C », qui est sa fierté, son honneur, son ancrage dans l’Histoire, face aux facilités des modes et à l’esprit du temps.
Pascal Décaillet