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Fado


Édito Lausanne FM – Lundi 29.10.07 – 07.50h

Il y a d’abord la dame blonde, aux formes impériales, dans la soudaine pénombre de la taverne. Pour les tours de chant, on n’éteint pas exactement : on tamise. La dame blonde, deux guitaristes, ce chant surgi des entrailles, de profundis, « ni gai, ni triste », avait dit un jour le poète. Ce chant qui, comme chez Brel, Piaf ou Barbara, ou Fréhel, toujours raconte une histoire. La salle est basse, la voix ronde, puissante. Elle s’en va caresser les voûtes de pierre. Le fado, c’est un chant sorti d’une taverne.

Et comme la porte est laissée ouverte, on peut sans doute jauger la qualité des chanteuses, des chanteurs, au nombre de passants, dans la ruelle obscure, qui s’agglutinent, en auditeurs clandestins, juste devant l’entrée. Dame blonde, dame brune, histoire triste ou presque gaie, terrestre ou océane, coloniales effluves, haillons de solitude, ce goût salé de solitude ou d’abandon. Sans comprendre la langue, il y a quelque chose, oui, que l’on saisit d’un coup. D’instinct. Et qui vous emporte.

Il y a aussi le portier, le rabatteur, celui grâce, ou à cause de qui vous vous trouvez là. Lui, soudain, sur scène. Enfin, pas de scène, juste un coin pour se tenir debout, au milieu du public. Et le portier, d’une voix superbe, câline et violente, l’espace de trois chansons, vous emmène dans son univers.

Et puis soudain, la cuisinière, costume de soubrette à la Feydeau, la voix un peu moins puissante, mais le rythme, la scansion, l’histoire que l’on égrène, syllabe après syllabe, cette noblesse du dire et du bien-dire. Et aussi, des artistes de passage. On les imagine tournant, comme dans le Saint-Germain-des-Prés des années 50, d’une taverne l’autre. Comme Brel à ses débuts, ou Brassens, ou Devos.

Et puis, il y a la fille. Ne partez pas tout de suite, nous avait-on dit. Attendez juste de voir la jeune fille qui arrive. Seize, dix-sept, dix-huit ans, à tout casser. Robe noire. Et cette voix qui s’envole, à faire pleurer la salle. Nul pathos, pourtant : juste le bide qui chante. Une histoire lointaine, d’amour, de solitude, d’océan. Elle se tient immobile dans la taverne noire. Elle fixe le mur de vieilles pierres. Et le chant qui surgit, et cette voix sublime au milieu des passants. « Ni gai, ni triste », avait dit le poète. Mais quelque chose d’incroyablement fort, comme une histoire qu’on raconte, et qu’on raconte encore, comme une cicatrice de vie qu’on rouvrirait à chaque fois, comme une souffrance et comme une joie.

Maritime, coloniale, iodée comme le passé qui revient, et qui revient encore. Salée, comme la force de vivre, et parfois aussi – mais on ne sait pas – l’envie d’en finir.

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