Sur le vif - Jeudi 04.04.19 - 15.25h
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : Franz Weber était l’un de mes compatriotes que j’admirais le plus. En radio, puis en télévision, j’ai eu maintes fois l’honneur de l’interviewer, c’étaient toujours des moments de feu, de lumière. J’aimais son phrasé, j’aimais son débit, j’aimais sa passion, j’aimais cette succession d’indépendantes, affectives, fulminantes, les mots sortaient, jaillissaient, le cœur parlait.
En apprenant son décès, tout à l’heure, toute une vie d’images se sont pressées dans ma mémoire. Son engueulade homérique avec Rodolphe Tissières, à la Croix-de-Cœur, dans les années 70, au sujet d’un altiport. Les vignes de Lavaux, miraculeuses entre ciel et lac, par lui préservées. Le site de Delphes, où je me suis rendu pour la première fois en 1966. L’Engadine. Les Baux-de-Provence, où je vais trois ou quatre fois par an. Le martyre des phoques, sur la banquise canadienne. Telle source, tel glacier, telle forêt, tel étang, tout ce polythéisme antique où le divin est omniprésent, là où on l’attend le moins, là où surgit la vie.
En quarante ans, j’ai suivi tous ses combats. Je les ai tous partagés, parce qu’ils ne relevaient pas d’une idéologie géométrique, mais de la chaleur d’un humanisme. Du Danube au Togo, cet homme d’exception s’est toujours battu pour un rapport mystique avec la nature, un sentiment d’unité entre la matière et l’esprit, une fierté d’être, parmi les autres espèces, quelque part dans le cœur vibrant du monde.
Mardi, ce bouleversant contemporain est passé sur une autre rive. Laquelle ? Pour nous faire accéder à ce mystère auquel je n’ai nulle réponse, ou tout au moins nous en rapprocher, je vous invite à écouter, par exemple, Georg-Friedrich Haendel, dans son « Ombra mai fu ». On y entend, notamment dans l’interprétation de Philippe Jaroussky, une musique dont chaque note semble nous placer sur le chemin de crête entre la vie et la mort, la terre et le ciel, la rancune et le pardon, le silence et la parole.
A sa fille remarquable, Vera Weber, à sa famille, à ses proches, j’adresse toute ma sympathie. A Franz Weber, j’adresse mon infinie reconnaissance. Il m’a ouvert les yeux, avec quelques autres, mais en première ligne d’entre eux, sur l’éblouissant mystère de la nature.
Pascal Décaillet