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Liberté - Page 644

  • Franz Weber (1927-2019) : émotion et reconnaissance

     

    Sur le vif - Jeudi 04.04.19 - 15.25h

     

    Je ne vais pas y aller par quatre chemins : Franz Weber était l’un de mes compatriotes que j’admirais le plus. En radio, puis en télévision, j’ai eu maintes fois l’honneur de l’interviewer, c’étaient toujours des moments de feu, de lumière. J’aimais son phrasé, j’aimais son débit, j’aimais sa passion, j’aimais cette succession d’indépendantes, affectives, fulminantes, les mots sortaient, jaillissaient, le cœur parlait.

    En apprenant son décès, tout à l’heure, toute une vie d’images se sont pressées dans ma mémoire. Son engueulade homérique avec Rodolphe Tissières, à la Croix-de-Cœur, dans les années 70, au sujet d’un altiport. Les vignes de Lavaux, miraculeuses entre ciel et lac, par lui préservées. Le site de Delphes, où je me suis rendu pour la première fois en 1966. L’Engadine. Les Baux-de-Provence, où je vais trois ou quatre fois par an. Le martyre des phoques, sur la banquise canadienne. Telle source, tel glacier, telle forêt, tel étang, tout ce polythéisme antique où le divin est omniprésent, là où on l’attend le moins, là où surgit la vie.

    En quarante ans, j’ai suivi tous ses combats. Je les ai tous partagés, parce qu’ils ne relevaient pas d’une idéologie géométrique, mais de la chaleur d’un humanisme. Du Danube au Togo, cet homme d’exception s’est toujours battu pour un rapport mystique avec la nature, un sentiment d’unité entre la matière et l’esprit, une fierté d’être, parmi les autres espèces, quelque part dans le cœur vibrant du monde.

    Mardi, ce bouleversant contemporain est passé sur une autre rive. Laquelle ? Pour nous faire accéder à ce mystère auquel je n’ai nulle réponse, ou tout au moins nous en rapprocher, je vous invite à écouter, par exemple, Georg-Friedrich Haendel, dans son « Ombra mai fu ». On y entend, notamment dans l’interprétation de Philippe Jaroussky, une musique dont chaque note semble nous placer sur le chemin de crête entre la vie et la mort, la terre et le ciel, la rancune et le pardon, le silence et la parole.

    A sa fille remarquable, Vera Weber, à sa famille, à ses proches, j’adresse toute ma sympathie. A Franz Weber, j’adresse mon infinie reconnaissance. Il m’a ouvert les yeux, avec quelques autres, mais en première ligne d’entre eux, sur l’éblouissant mystère de la nature.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Un Conseil d'Etat béatement pro-UE

     

    Sur le vif - Mercredi 03.04.19 - 14.10h

     

    Composé de trois magistrats de gauche, de trois magistrats bien libéraux (y compris, hélas, le PDC), et d'un magistrat clignotant, mais censé être profilé sur les questions sociales, le Conseil d'Etat genevois réussit l'exploit de se prononcer en faveur de l'Accord-cadre institutionnel avec l'Union européenne !

     Outre que l'avis d'un gouvernement cantonal n'a guère d'importance sur une question à ce point fédérale - et qui devra absolument, le jour venu, être tranchée par le suffrage universel - on retrouve dans ce vote l'éternelle obédience du Conseil d'Etat genevois, même délesté de son Président 2013-2018, pour une Union européenne qui, dans ce dossier, met le pistolet sur la tempe des Suisses.

     La Suisse n'est pas membre de l'Union européenne. Elle détermine avec cette dernière les relations qu'elle veut, et n'a pas à se les laisser dicter par son partenaire de négociations.

     Depuis près de deux décennies, la libre circulation a laissé se creuser en Suisse un fossé social volontairement sous-estimé par les autorités, sous pression d'un certain patronat ne guettant que l'aubaine d'un profit facile.

     Les mesures d'accompagnement, promises à la gauche au début des années 2000, n'ont été qu'un monumental attrape-nigauds ; les syndicats commencent seulement à s'en rendre compte. Dans ces conditions, auxquelles s'ajoute l'abyssal déficit démocratique de l'Union européenne, comment la gauche suisse peut-elle encore se montrer ouverte, par un incroyable blanc-seing, aux partenaires de négociations, dans cette affaire "d'Accord-cadre institutionnel" ?

     Au Conseil d'Etat genevois, comment les magistrats de gauche peuvent-ils dire oui ? Comment le magistrat MCG peut-il dire oui ? Quant aux trois autres, trois libéraux (y compris le PDC), OK, c'est dans leur ADN de ne jamais contrarier les consignes du patronat.

     Mme Emery-Torracinta, quelle est votre position ? M. Apothéloz, quelle est votre position ? M. Hodgers, quelle est votre position ? M. Poggia, quelle est votre position ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'Entente menacée de surdité

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 03.04.19

     

    Lorsque la politique est laissée aux partis, le citoyen se trouve spectateur des petits jeux d’alliances ou de mésalliances entre les uns et les autres. Apparentements, ruptures, réconciliations font le bonheur des chroniqueurs, et on parle de tout sauf de l’essentiel : santé, primes maladie, logement, mobilité, emploi, retraites, bref les thèmes, ceux qui concernent vraiment la vie des gens. Dans cette page, depuis des années, j’ai choisi de privilégier les thèmes, sans trop m’attarder sur la petite cuisine des politiciens entre eux, certes beaucoup plus aisée à raconter, mais finalement tellement vaine, car éloignée des soucis des gens. D’autant que mon credo, vous le connaissez : la politique des partis, avec des candidats à des élections, tout ce petit jeu de la démocratie « représentative », va laisser la place, d’ici un siècle ou deux, à une forme de démocratie totale, à inventer au fil des générations, dont la pierre angulaire sera le citoyen ou la citoyenne, et non plus l’homme ou la femme politique. Mais c’est de la musique d’avenir.

     

    En attendant ce jour, considérons tout de même le péril dans lequel se trouve l’Entente, cette alliance genevoise octogénaire (années trente) entre les libéraux, les radicaux et la démocratie chrétienne. Elle est en danger, parce que le PDC, note le Matin dimanche du 31 mars, menace de partir aux élections fédérales du 20 octobre sans s’apparenter avec le PLR. Et ce ne serait que la première étape d’une émancipation menant le PDC vers une nouvelle coalition, bien au centre, par exemple avec le PCD (Parti Citoyen Démocratique, nom genevois du PBD) et les Verts libéraux. Bref, le PDC, parti de la famille, pourrait divorcer du PLR, et se remarier – ou tout au moins fricoter - avec d’autres.

     

    Le PDC genevois a évidemment le droit de faire ce qu’il veut. Mais un examen de la situation révèle tout de même bien des contradictions dans ses appétits stratégiques. Prendre sa liberté, mais pas vraiment pour l’élection au Conseil des Etats***, qui affiche un duo PLR-PDC (Hugues Hiltpold, Béatrice Hirsch). Se payer une aventure avec de nouveaux alliés, vêtus de probité candide et de lin climatique, jeunes et urbains, branchés, étincelants de mode et de thèmes en vogue. Mais, sur le fond, l’économie par exemple, les relations avec le patronat, demeurer tout de même dans le giron nourricier de l’Entente. Le beurre, l’argent du beurre, la crémière, et de surcroît le grand frisson climatique. Que du bonheur, non ?

     

    A la vérité, le comportement du PDC genevois, tout à la jouissance de son vertige centriste, rappelle celui des Saxons, lors de la Bataille de Leipzig, cette fameuse « Bataille des Nations », du 16 au 19 octobre 1813, qui constitue, plus encore que Waterloo, la plus grande défaite de Napoléon. Le 18 octobre, sur le coup de 17h, les Saxons se sont retournés contre l’Empereur. Ce fut décisif, dans le sort du combat. Pendant des années, ils avaient partagé sa gloire, et les avantages de l’alliance. Et puis, d’un coup, ils ont regardé ailleurs. Chaque fois que je passe à Leipzig, je pense à eux. Avec un enthousiasme relativement mesuré. Excellente semaine !

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Sur ce point, le président du PLR, Bertrand Reich, a clarifié les choses, sans la moindre ambiguïté, lundi soir sur le plateau de GAC.