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Liberté - Page 227

  • La générosité suspecte de quinze roitelets

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 01.06.22

     

    L’argent de l’Etat, c’est l’argent du peuple. Notre argent. Ceux d’entre nous, tout au moins, qui sont soumis à l’impôt : on sait que plus d’un tiers des résidents genevois n’en payent pas, étant sous le seuil pour y être astreints. Oui, c’est notre argent, à commencer par celui des classes moyennes, vous savez ces gens qui se lèvent le matin pour aller bosser, n’ont droit à aucune subvention, sont littéralement pompés par la machine fiscale, triment toute leur vie pour aboutir à une retraite souvent chétive. C’est cela, le lot de dizaines de milliers de personnes à Genève. Cela, dont la gauche ne parle jamais : à la précarité des nôtres, elle préfère le discours sur l’altérité, les modes sociétales, la consommation de viande, la fin du monde.

     

    Donc, nous payons l’impôt. Plus que partout ailleurs en Suisse. Pour nourrir un Etat cantonal dont la dépense publique est la plus haute du pays, par habitant. Cette dépense est régie par un document capital, voté chaque année en décembre (pour l’année suivante) par le Grand Conseil, qui s’appelle un Budget. Tout responsable familial, tout petit entrepreneur, même d’une micro-boîte, sait ce qu’est un budget : on détermine les postes de dépenses, en fonction de ce qu’on possède. A l’Etat, c’est autre chose. On n’a pas les fonds ? Pas de problème ! On en réclame, et on en réclame encore.

     

    En décembre de l’an dernier, le Grand Conseil a refusé de donner un Budget à Genève. La droite a délivré un signal d’économies et de rigueur. L’Etat doit fonctionner, en 2022, avec les « douzièmes provisoires », qui imposent une gestion prudente, respectueuse des deniers publics.

     

    Et c’est là qu’intervient le scandale des quinze roitelets. Qui sont-ils ? Les membres de la Commission des finances du Grand Conseil. Oh, individuellement, des gens très bien, respectables. Mais disposant d’un hallucinant pouvoir, peu connu du grand public : celui d’octroyer (eux, les quinze, sans passer par le plénum, encore moins par le peuple) les ineffables « crédits supplémentaires » que ne manquent pas de leur mendier, à longueur d’année, les sept Départements d’un exécutif d’une gourmandise financière inimaginable, le moindre de leurs appétits n’étant pas celui de la revanche, après le refus du Budget en décembre.

     

    La Commission des finances a un mérite : celui d’informer. Chaque acceptation de crédit supplémentaire fait l’objet d’un communiqué. C’est bien. Mais le fond est souvent écœurant, vu par un simple citoyen-contribuable : à quoi sert le refus du Budget, acte politique majeur, si c’est pour que l’Etat vienne incessamment se servir, par derrière, tout au long de l’année ? Et nos braves roitelets, les quinze, dans l’écrasante majorité des cas, les acceptent, ces crédits ! Le système de la barbichette : si tu refuses les sous pour le magistrat de mon parti, la prochaine fois je refuserai pour le tien. Et la grande hypocrisie perdure : la décision souveraine, en plénum, du refus du budget, est régulièrement court-circuitée, a posteriori, par un procédé opaque et consanguin. Cette pantalonnade ne peut plus durer. Le système soit être réformé. La démocratie, la transparence, doivent s’imposer.

     

    Pascal Décaillet

  • Le roi du zoom

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 01.06.22

     

    Vous organisez un Festival international de cinéma, à Cannes ? Vous présidez un colloque planétaire d’initiés, à Davos ? Pour votre cérémonie d’ouverture, un passage, incontournable : le Président ukrainien. En direct de Kiev, par zoom, dans sa tenue d’assaut version ville, toujours prêt à venir égayer vos hôtes. Qui l’écouteront, ravis, coupe de champagne en main, entre caviar (iranien, surtout pas russe !) et petits fours.

     

    Prenons Cannes. Il est de notoriété publique que l’homme de Kiev est une référence mondiale, en matière de cinéma. Et qu’il a toute autorité pour apparaître sur un écran (il adore les écrans) en introduction de la plus célèbre compétition de films sur la planète. Il connaît tout du traveling, il est le roi du zoom. Robes longues, smokings, décolletés vertigineux, gratin universel : tout s’éclipse lorsqu’apparaît, dans la grande tradition des rituels d’Orient, l’icône. La parole du Maître est oraculaire. On ne se souvient pas trop de ce qu’il a dit, mais foi de coureur de cocktails, il y a de la Pythie delphique dans cet homme-là.

     

    Les chairs dénudées en frissonnent d’extase : je l’ai vu, j’étais à deux doigts de l’écran, tout près de lui. A ce stade, Fatima et Lourdes peineront bientôt à régater : il est celui qui apparaît, délivre quelques mots irrévocables, s’éclipse, laissant l’assistance dans la béatitude. Nous arrivons à juin, c’est le mois du printemps. Vous organisez un mariage ? Vous avez besoin d’un major de table ? Le roi du zoom est disponible. Mais dépêchez-vous, le King est très pris. Il faut réserver, sans tarder.

     

    Pascal Décaillet

  • Un peu léger, Mme Fischer

     
    Sur le vif - Mardi 31.05.22 - 15.14h
     
     
    Il est des interviews ministérielles qui, plus que d'autres, laissent pantois. Ainsi, ce matin, sur la Première, la Conseillère d'Etat genevoise chargée de l’Économie. L'air était si léger, ce matin, entre 07.35h et 08.00h, on entendait siffler les premiers passereaux. On aurait peut-être dû en rester là. Couper le poste. Humer le printemps.
     
    Commençons par la fin. En pleine revue de presse, un confrère fait réagir Mme Fischer (en quoi il a parfaitement raison) à une nouvelle qui tombe à l'instant : la grande fusion impliquant un géant historique de la parfumerie à Genève, l'un des fleurons de notre Canton. Réponse, en substance : "Je n'étais pas au courant, vous me l'apprenez". C'est rafraîchissant, Mme Fischer, mais c'est un peu léger.
     
    Retour au début, au corps même de l'entretien. Mes confrères - et soeurs - tentent d'obtenir de la ministre des impulsions pour l’Économie genevoise. Quelque chose de moteur, qui fleure l'économie, l'invention, la compétition pour être les meilleurs. Las ! Ils ne récoltent pas un milligramme d'économie. Mais des tonnes d'écologie. Des mantras : transition, transition, transition. On se croirait dans une secte, au soir du Grand Transfert.
     
    En un mot, la magistrate prend une grille de lecture, une seule, celle du catéchisme de son parti pour les prochaines décennies. Elle applique cette grille de lecture-là. Et nulle autre. Elle pose un corset idéologique. Et c'est tout. C'est revigorant, Mme Fischer. Mais c'est un peu léger.
     
    Au final, quoi ? Rien, justement. Un parfum de néant. De la cosmétique. Des mots. Des recettes toutes faites. Un catalogue idéologique. Olfactivement, fenêtre ouverte sur le matin d'un monde, c'est enivrant. Mais c'est un peu léger, Mme Fischer.
     
     
    Pascal Décaillet