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Liberté - Page 1313

  • Les Philippulus de Carême

     

    Sur le vif - Et le pied droit sur la braise de l'Enfer - Mardi 22.03.11 - 11.57h

     

    Putain, quatre semaines ! On est parti, à Genève, pour une lune d’érection. Celle des index vers le ciel, style Schtroumpf à lunettes, dans la plus pure position, record du missionnaire pulvérisé, du donneur de morale. Et c’est le 30 janvier 1933, et c’est la marche sur Rome, et c’est l’abandon de la grande bourgeoisie allemande dans les bras d’Hitler, et c’est le Méphisto de Klaus Mann, et ce sont les pleins pouvoirs au Maréchal, et c’est le 10 juillet 1940, chemises brunes par ci, chemises noires par là. Tout cela, pourquoi ? Parce que Florence Kraft-Babel, en plus de la liste Entente, figurera sur la liste UDC. On a les Apocalypses qu’on peut. Allons vite rechercher Paul Aymon. Que fait la police ? Que fait le Prophète ?

     

    Il faut toujours se méfier, en politique, de celui qui vient vous faire la morale. Une fois sur cinq, c’est un pur, tant mieux pour lui, mais je ne suis pas sûr que l’essence éminemment ductile de la politique soit pour les purs. Les quatre autres fois, c’est un adversaire qui dissimule ses desseins sous le paravent de la morale. Cela s’appelle un Tartuffe, ou une truffe grise, ou un groin de pénitence, diaphane comme le miasme dans l’eau bénite, comme un Saxon à la bataille de Leipzig, plus impur que puce de chien, moins élégant – encore – que l’épicène dans la clarté de feu des syllabes.

     

    La gauche unie – consciente de certaines symétries dans l’ordre de l’Enfer – demeure dans la modération, celle de ceux qui se frottent déjà les mains en apercevant la victoire. Mais les autres ! Radicaux tout heureux de « pouvoir encore se contempler dans le miroir », PDC redécouvrant les vertus du Centre après avoir mené une campagne ultra-libérale sur le monothème obsessionnel du « blocage ». Ils sont crédibles ?

     

    Les purs ? Qu’ils filent faire silence sous l’ombre cistercienne d’un chapiteau. Puissent leurs lèvres immaculées murmurer quelques intercessions pour le salut de nos âmes. Les Tartuffes ? Ils vont donner de la voix, c’est sûr. Votons pour qui nous voulons, biffons, gommons, traçons, sanctionnons, effaçons, éradiquons, jouissons de cet infinitésimal pouvoir. C’est le jeu. Mais, de grâce, méfions-nous de ces Philippulus de Carême qui, du haut de leur mât, nous promettent l’imminence du Châtiment.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Vernier pour les nuls

     

    Le génial poète Henri Michaux (1899-1984) avait prévu la situation politique de fin mars 2011 en ville de Vernier. Voici ce texte prophétique, que nous dédions tout particulièrement à MM Cerutti, Apothéloz, Rochat, Ronget, Magnin, Dulex, etc... Ainsi qu'aux grandes pharmas qui fabriquent l'aspirine! - Bonne lecture - PaD

     

    Les Ouménés de Bonada ont pour désagréables voisins les Nippos de Pommédé. Les Nibbonis de Bonnaris s'entendent soit avec les Nippos de Pommédé, soit avec les Rijabons de Carabule pour amorcer une menace contre les Ouménés de Bonnada après naturellement s'être alliés avec les Bitules de Rotrarque ou après avoir momentanément, par engagements secrets, neutralisé les Rijobettes de Billiguettes qui sont situés sur le flanc des Kolvites de Beulet qui couvrent le pays des Ouménés de Bonnada et la partie nord-ouest du turitaire des Nippos de Pommédé au-delà des Prochus d'Osteboule.


    La situation naturellement ne se présente pas toujours d'une façon aussi simple: car les Ouménés de Bonnada sont traversés eux-même par quatre courants, ceux des Dohommédés de Bonnada, des Odobommédés de Bonnada, des Orodommédés de Bonnada et enfin des Dovoboddémonédés de Bonnada.


    Ces courants d'opinion ne sont pas en fait des bases et se contrecarrent et se subdivisent comme on pense bien, suivant les circonstances, si bien que l'opinion des Dovoboddémonédés de Bonnada n'est qu'une opinion moyenne et l'on ne trouverait sûrement pas dix Dovoboddémonédés qui la partagent, et peut-être pas trois, quoiqu'ils acceptent de s'y tenir pour quelques instants pour la facilité, non certes du gouvernement, mais du recensement des opinions qui se fait trois fois par jour, quoique selon certains ce soit trop peu même pour une simple indication, tandis que, selon d'autres, peut-être utopistes, le recensement de l'opinion du matin et de celle du soir serait pratiquement suffisant.


    Il y a aussi des opinions franchement d'opposition, en dehors des Odobommédés. Ce sont celles des Rodobodébommédés, avec lesquels aucun accord n'a jamais pu se faire, sauf naturellement sur le droit à la discussion, dont ils usent plus abondamment que n'importe quelle autre fraction des Ouménés de Bonnada, dont ils usent intarissablement.

    Henri Michaux

    Extrait de
    "Face aux verroux"
    Poésie/Gallimard

     

  • Le risque de déplaire

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 21.03.11

     

    Pour se la couler douce, sans trop d’emmerdes, dans le monde éditorial genevois, il faut quoi ? Etre avec le pouvoir. Si votre ligne épouse, cahin-caha, celle du centre-droit gouvernemental, ou alors celle des Verts, bref la transversalité triomphante qui régit Genève, vous n’aurez jamais aucun problème. Il faut être, au fond, puissamment centriste, plutôt gauche ou plutôt droite, mais le dogme du Centre comme pivot ne doit pas être transgressé. C’est une forme de dictature du raisonnable. A l’Equerre et au Compas.

     

    Si, au contraire, la représentation du monde qui est la vôtre, un quart de siècle de journalisme politique, l’univers de vos lectures, et près de quarante ans de passion pour l’Histoire, vous amènent, pour ce qui vous apparaît comme l’intérêt supérieur du pays, à déplacer un peu le curseur vers l’un des pôles, alors la bien pensance vous tombera dessus. Tel conseiller d’Etat, par spadassins interposés, vous attaquera. Tel patricien fatigué, doué pour la plume comme moi pour l’acrobatie de cirque, vous vomira ses aigreurs. Le microcosme sécrète ses vengeances. Petitement.

     

    Prendre la plume, c’est pendre un risque. Celui de déplaire. Avoir des ennemis. Le chroniqueur, l’éditorialiste qui, par peur du conflit, ou pour ménager quelque sirupeuse amitié de cocktail, se dérobera à cette nécessité du risque, a rendez-vous avec l’inexistence. C’est son choix. Pas le mien.

     

    Pascal Décaillet