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Liberté - Page 1311

  • La corde, l’éclusier

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 28.03.11

     

    Entre les Bulletins de la Grande Armée, où Bonaparte, d’Italie, faisait savoir à quel point il était génial, et l’inventaire du matériel remis à l’arsenal le dernier vendredi d’un cours de répétition de l’armée suisse, il y un océan qui s’appelle le style. Ou le souffle. D’un côté, la puissance d’une idée. De l’autre, la désespérance de l’énumération, quelque chose comme les notes testamentaires d’un éclusier, sur le point de se pendre. Pour d’étranges raisons, c’est ce dernier mode que le Conseil d’Etat genevois choisit, de plus en plus, pour la rédaction de ses communiqués hebdomadaires.

     

    Qu’il pleuve ou qu’il vente, que Tripoli s’embrase, que le Japon disparaisse de la carte, le Conseil d’Etat communique le jeudi. Un monceau de nouvelles sèches, sans mise en perspective, juste alignées, sans la moindre hiérarchie, la première annonce étant souvent la plus insignifiante.

     

    Morne catalogue, d’où n’émerge nulle vision, nulle ambition, nulle priorité. Juste la juxtaposition des actes administratifs de sept Départements. Gouverner, ça n’est pas cela. Communiquer, ça n’est pas cela. On a juste l’impression que chaque ministre vivote dans son coin, a passé avec les six autres le pacte de ne pas trop s’emmerder mutuellement. Le règne, souverain, de la barbichette. Je te tiens, tu me tiens. Et le souffle de l’Histoire, ce sera pour une autre vie.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • A Anières, le 22 ne répond plus

     

    Sur le vif - Et sans plomb - Vendredi 25.03.11 - 16.42h

     

    Chez les braqueurs, l’existence précède l’essence. On se pointe dans une station-service, on brandit une arme de poing, on file au turbo avec la caisse. Scénario huilé, vidangé, répétitif comme dans Bonnie and Clyde, la magie des visages de Faye Dunaway et Warren Beatty en moins. Hier, nous révèle la Tribune de Genève, c’était Anières. Dix-huitième brigandage de l’année sur Genève. En général, les commerces attaqués se trouvent à proximité de la frontière.

     

    A ce rythme, le job de pompiste confine à l’apostolat. Et l’augmentation des effectifs des gardes-frontière, une impérieuse nécessité. Bien sûr, nulle douane ne sera jamais étanche. Bien sûr, il y aura toujours des braquages. L’urgence, c’est qu’il y en ait sensiblement moins. Tant que cet objectif n’aura pas été atteint, les documents Power Point des conférences annuelles sur les chiffres de la criminalité, les mots savants soufflés par des experts, tout cela restera lettre morte. Et le crédit de l’autorité politique élue, dévasté.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Dame de fer et verbe d’or

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    Sur le vif - Jeudi 24.03.11 - 15.47h

     

    Elle parle français mieux que nous. Juste et clair. Syllabe sonore, chromée, mots liés comme dans une partition, la petite musique de sa phrase aiguise les sens, ravit l’oreille. Voilà une dizaine d’années que je connais Karin Keller-Sutter, depuis qu’elle est ministre de la Justice et de la Police à Saint-Gall. J’ai souvent eu l’occasion de l’interviewer – encore ce matin – et chaque fois, la précision de ce verbe qui fuse m’estourbit.

     

    Et, au fur et à mesure que s’envolent ses mots, je me dis, désespérément, la même chose : « Mais pourquoi diable ne l’ont-ils pas élue au Conseil fédéral ? ». La Suisse tenait là une femme politique d’exception, à la fois de poigne, de rigueur, d’intelligence et d’élégance, le Parlement a préféré choisir un homme dont j’ai oublié le nom et dont j’ignore d’ailleurs s’il vit encore, et à quoi il passe ses journées. Entre lui et le grisâtre successeur de Pascal Couchepin, le grand parti qui a fait la Suisse a réussi à disparaître de toute prétention à l’existence. Le parti de Jean-Pascal Delamuraz !

     

    Il fut un temps, hélas lointain, où les radicaux produisaient de formidables tronches. Nuques raides de vignerons vaudois, minoritaires valaisans rompus au combat frontal, colonels surgis tout droit de la chanson de Gilles. On les aimait ou non, mais ils portaient haut le verbe, brandissaient l’oriflamme, fiers et drus comme dans les festivals de fanfare. Aujourd’hui, au mieux, ils administrent.

     

    Et là, avec KKS, soudain, l’envol du verbe. La qualité d’une rhétorique au service de l’action. Hier, Karin Keller-Sutter annonçait sa candidature au Conseil des Etats. Les deux sièges saint-gallois y seront très chers : l’excellent PDC Eugen David brigue sa propre succession, le socialiste Paul Rechsteiner, président central de l’USS, est dans la course. Et le président national de l’UDC, Toni Brunner, s’y lancera sans aucun doute. Si la Dame de fer réussit son entrée à Berne, nul doute qu’elle y tiendra, dans les années qui viennent, un rôle de premier plan. Comme il sied – oui comme il devrait seoir – aux meilleurs.

     

    Pascal Décaillet