Liberté - Page 123
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Ravel, l'Ouïe, l'enfant ravi
Sur le vif - Mardi 04.07.23 - 13.55hDans Ma Mère l'Oye (1908-1912), de Maurice Ravel, tout va incroyablement vite, et pourtant chaque note s'entend, encore plus sur les aigus.C'est le paradoxe, le miracle, de ce petit bijou étymologiquement inouï : ce qui jamais n'avait encore été entendu. Le rêve de toute musique, ne ressembler à nulle antérieure, ne rien répliquer, juste inventer.Une composition inouïe. Et voici justement le second paradoxe : Ma Mère l'Oye nous renvoie, par le jeu de l'oreille, à Ma Mère l'Ouïe. Tout musicien, tout mélomane, ne sont-ils pas par essence des enfants du son, celui qui se structure, mais là surtout celui qui, dans la plénitude, se donne à entendre ? Note après note, chacune ciselée, dans un enchaînement pourtant d'une fulgurante rapidité. Dans l'écrin de Ravel, le tempo ne nuit pas à l'acoustique, il ne noie pas la note, comme parfois la musique romantique, au contraire il l'exalte, il la sublime. Il la délivre, jouissive d'exactitude.Toute ma vie, j'ai écouté Ma Mère l'Oye, comme j'ai écouté Debussy, Schönberg ou Bartók : avec le ravissement de celui qui se dit "Je vais écouter la musique", mais que très vite, la musique emporte. Comme le Roi des Aulnes, Erlkönig, dans le poème de Goethe, se saisit de l'enfant. Et le ravit, vers d'autres mondes.Pascal Décaillet -
LJS : décision sage et mesurée
Sur le vif - Mercredi 28.06.23 - 15.00hLe mouvement Libertés et Justice sociale (LJS) ne présentera pas de liste aux élections fédérales. Il le fait savoir à l'instant.Décision intelligente, et assez rare pour être soulignée. Ce mouvement a fait un tabac un entrant au Grand Conseil, le 2 avril. Il a placé un Conseiller d'Etat. La tentation aurait été énorme de voir tout de suite trop loin, courir tous les lièvres à la fois, et finalement s'éparpiller. D'autres partis ont commis, ou s'apprêtent à commettre, cette erreur. En politique, il faut avoir la victoire intelligente, mesurée, retenue.Le Conseiller d'Etat soutenu par ce parti aura à gérer, dans les cinq ans, deux politiques publiques absolument essentielles : la Santé, mais aussi la Mobilité. Ce parti mise sur la politique cantonale, et le soutien à son magistrat dans ces domaines extraordinairement exposés. Il fait un choix. Gouverner, c'est choisir, dixit Pierre Mendès France, le seul homme d'Etat de la Quatrième République.A la Mobilité, par exemple, il n'y a que des coups à prendre. Plusieurs prédécesseur de l'actuel titulaire en ont su quelque chose. Quant à la Santé, l'excellente idée (à mes yeux ) de Caisse publique cantonale (que les autres partis s'apprêtent déjà à dépecer) méritera la mise en place d'immenses énergies politiques, pour devenir crédible, être prise au sérieux, emporter une éventuelle majorité.Demeurer dans la politique cantonale, pour laquelle on vient de recevoir un double mandat du peuple, parlementaire et exécutif. Savoir mesurer ses appétits. La décision de LJS est une preuve de maturité. Elle doit être saluée.Pascal Décaillet -
L'homme qui gagne
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 28.06.23
Il ne fait ni bruit ni ramdam, ne prétend pas refaire le monde, il agit. Thierry Apothéloz, en ce début de législature, la deuxième pour lui au Conseil d’Etat, est l’homme qui marque des points dans le collège gouvernemental. Devant le Parlement, il gagne, tout dernièrement encore avec la loi sur l’aide sociale et la précarité. Toute de lenteur et de patience, la méthode de ce vieux routier de l’exécutif impressionne par la qualité du maillage, le temps accordé à la constitution du réseau, la discrétion dans l’action politique. L’efficacité, plutôt que le clinquant.
Apothéloz, vingt ans d’exécutif. Quinze ans à l’exécutif de Vernier, deuxième ville du canton, longtemps la quatrième de Suisse romande. Et puis, cinq au gouvernement genevois. Une connaissance rare, en profondeur, des Communes et des institutions genevoises. L’homme est discret, toujours aimable. Il est socialiste, et d’un ancrage viscéral, mais ne passe pas son temps à moraliser. En silence, il se fixe des objectifs, et prend le temps de les atteindre. Beaucoup de temps. Trop, disent ses adversaires, y compris à l’interne, qui auraient voulu un peu plus de mouvement dans la première législature. Lui patiente, et laisse mûrir.
Ainsi, dans ce gouvernement de droite, face à un Parlement de droite, voici un ministre de gauche, fort bien réélu, qui fait son boulot, ne se laisse pas démonter, n’élève pas la voix. Et réussit à avancer. On partage ou non ses convictions. Mais la méthode est redoutable. Et pourrait servir d’exemple.
Pascal Décaillet