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Liberté - Page 1040

  • Conseil d'Etat : déjà fatigué !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 10.09.14


     
    Le programme de législature refusé par le Parlement, des majorités de soutien de plus en plus difficiles à trouver, un collège sans cohérence et sans stratégie claire, des caisses de l’Etat vides, voilà à quoi ressemble le gouvernement genevois, moins d’un an après son élection. Sans compter les désaveux en votations populaires. Chaque magistrat, certes, fait ce qu’il peut pour le bien public. Mais on peine, pour l’heure, à entrevoir la moindre dynamique d’ensemble. Bref, le Conseil d’Etat 2013-2018, premier issu de la nouvelle Constitution, apparaît tout aussi fatigué que les collèges précédents. Pire : ces derniers montraient des signes d’usure en fin de législature, alors que celui-ci les affiche au début déjà de son mandat.
     


    Dix mois seulement après les élections, il faut déchanter : cette fameuse nouvelle équipe qu’on nous avait promise tout l’automne 2013, à coup de grands discours et de promesses, ce vent nouveau, cette cohérence, rien de cela n’est au rendez-vous. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause le travail individuel de tel ou tel magistrat, dans son ministère. Mais de juger les signaux donnés par l’ensemble. Car enfin, si on élit sept conseillers d’Etat, on élit avant tout un gouvernement, qui doit briller par son énergie, son courage, son inventivité, sa résistance aux modes et aux pressions, et surtout sa vision stratégique. Ils ont beau se mettre au vert, se réunir extra muros, prendre du recul en des lieux ombragés, rien n’y fait : la lisibilité de l’action n’apparaît pas.


     
    Les causes sont multiples. Elles tiennent beaucoup au système électoral, fruit d’une nouvelle Constitution qui n’a pas poussé la logique réformatrice jusqu’au bout. Sans aller jusqu’à tisser des tapisseries de Bayeux, pour faire référence à l’éblouissant discours tenu en cette ville par Charles de Gaulle en 1946, qui jetait, avec douze ans d’avance, les bases d’une République nouvelle, il faut bien admettre qu’à Genève, les constituants se sont contentés, en termes de réforme gouvernementale, de cosmétique. On ne révolutionne pas un exécutif en ajoutant un an à la législature, ni en déléguant une seule personne à l’inauguration des chrysanthèmes. Résultat : le vrai visage politique du canton, tel que sorti des urnes dans l’élection législative, n’apparaît pas au gouvernement, où l’Entente (quatre magistrats sur sept, alors qu’elle ne représente qu’un gros tiers de l’électorat) est surreprésentée.


     
    Ces quatre Messieurs de l’Entente (deux PLR et deux PDC) vont donc passer la législature à encaisser des désaveux au Grand Conseil, et de plus en plus souvent devant le peuple. Ils y sont comme d’avance condamnés, victimes expiatoires d’un mauvais système. Ils s’en consoleront en multipliant les présences entre eux, dans les cocktails et les congratulations mutuelles de l’horizontalité genevoise du pouvoir. Cela leur fera peut-être du bien dans leur sentiment d’éternité au pouvoir, mais ne fera pas avancer le canton d’un millimètre. Triste début, en vérité, pour ce qui devait être la première équipe d’une nouvelle ère, rafraîchie et réinventée, et qui donne déjà l’impression de courir derrière son ombre. Sans jamais la rattraper.
     


    Pascal Décaillet

     

  • Bicentenaire : l'Histoire mise à l'écart

     

    Sur le vif - Mercredi 10.09.14 - 14.46h

     

    1814-1815 : un tournant majeur pour Genève, qui entre dans la Confédération, mais aussi pour la Suisse, qui s’enrichit, avec le Valais et Neuchâtel, de trois nouveaux cantons. Une mutation de la Suisse qui, comme toujours et loin du mythe d’un « peuple heureux » (Rougemont), s’est opérée sous pression extérieure. Et quelle pression ! La chute de Napoléon. 33 ans plus tard, c’est également en symbiose et en synergie parfaites avec les grandes Révolutions de notre continent (France, Allemagne, Autriche, Italie) que la Suisse créera son Etat fédéral. De même, en 1918, c’est exactement pendant les premiers jours de la Révolution allemande, si bien racontée par le romancier Alfred Döblin (November 1918), que notre pays vit cette fameuse Grève générale, qui traumatisa tant l’ordre bourgeois, marqua les mémoires au fer rouge, il suffit pour cela de lire la presse et la littérature des années vingt, trente et quarante. Non, notre pays n’a jamais été isolé (si ce n’est entre 1939 et 1945), il est un pays d’Europe comme un autre, ni meilleur ni pire, tout aussi sensible aux vibrations de l’ensemble du continent.

     

    1814-1815 : à Genève, les autorités multiplient les festivités du Bicentenaire. Et c’est là, hélas, le problème : non pas le Bicentenaire, mais l’omniprésence du pouvoir en place. On ne voit et n’entend que lui. Sous prétexte de commémoration, il passe son temps à se mettre en scène lui-même. Non dans l’exercice de la réflexion historique, mais dans celui de la mondanité répétée : Longchamp reçoit Burkhalter, François accueille Didier, les huit épingles qui tirent les deux hommes embarquent dans le même bateau, entre soi on se sourit, on se congratule. De loin, de la côte, avec des jumelles de chasse, faute de grive, on tente d’apercevoir les ministres, ils boivent un verre entre eux, sur le pont. Tant mieux pour eux. Mais c’est un peu juste.

     

    J’ai pas mal étudié les commémorations, et cite souvent ici les époustouflants « Lieux de mémoire », publiés chez NRF par l’historien Pierre Nora. Et je me dis que pour commémorer, il faut avant toute chose avoir de quoi se souvenir. Lorsqu’un pays – la France – a perdu un million et demi d’hommes au combat en quatre ans (du 2 août 1914 au 11 novembre 1918), soit une moyenne d’environ mille par jour, on peut aisément comprendre que les survivants, face à l’immensité du vide, l’omniprésence d’un deuil touchant chaque famille, le silence hébété de l’absurde (dont nous parlera Céline dès le Voyage), s’embarquent, à force de marbre et de bronze, dans l’aventure des monuments aux morts. Qui serions-nous, les Suisses, demeurés neutres pendant cette boucherie, pour oser leur articuler le moindre grief, même si le goût artistique des stèles et des Poilus de village n’est pas toujours à la hauteur de Rodin ?

     

    Mais Genève et 1814-1815, c’est autre chose. Nous commémorons assurément un événement important, mais enfin il n’est nullement porté par le tragique de l’Histoire, le rapprochement entre Genève et la Confédération s’étant opéré en douceur, progressivement, avec plusieurs dates-clefs échelonnées sur deux ans, comme l’ont très bien montré nos historiens. L’objet commémoré n’aura donc pas sur le public d’aujourd’hui la puissance d’émotion qui vous monte à la gorge lorsque vous vous rendez sur le mémorial d’un camp de la mort où dans un cimetière militaire du côté de Verdun. Le rapport du public ne passera pas par l’immédiateté d’un instinct : il faut, en profondeur, lui EXPLIQUER ce que nous commémorons, et pourquoi l’événement passé nous lie à notre présent. C’est ce que nous avions tenté de faire, infatigablement, un ou deux collègues et moi, à la RSR en 1998, lorsque nous avions monté nos innombrables émissions spéciales (décentralisées dans tous les cantons) autour du 150ème de l’Etat fédéral et du 200ème de la République helvétique.

     

    Cette tâche explicative, cette mission d’exégèse, ont-elles été accomplies à Genève pour ce Bicentenaire ? La réponse, sans faillir, est non. Nos autorités, toutes empressées à se mettre elles-mêmes en scène comme agents de commémoration, on largement négligé l’essentiel : l’Histoire elle-même, cette prodigieuse discipline qui constamment exige prise de distance, remise en question, retour aux sources et aux archives. Du coup, on célèbre, on concélèbre, on trinque, on se congratule, toujours les mêmes réseaux, toujours François avec ses quatre épingles, mais le plus important, la réinvention de l’éclairage historique, on le laisse de côté. Tout au plus quelques costumes, gentillets, juste dépoussiérés du cortège de 1964 (dont l’auteur de ces lignes, six ans à l’époque, garde un souvenir certes diffus, mais joyeux et coloré). Tout au plus, quelque camions de pompiers, à travers les âges. Mais sur l’encouragement au chemin intellectuel de la découverte historique, peu de choses. Tout aussi peu, hélas, sur la seule chose, au fond, qui vaille, dans un chemin de commémoration : l’actualisation brechtienne avec ce que nous sommes aujourd’hui. Car enfin, ce sont les hommes et les femmes de 2014-2015 qui commémorent, c’est à eux qu’on parle, à leurs consciences qu’on s’adresse, à leurs capacités de mémoire, d’imagination, de projection qu’on esquisse une mise en scène. Oui, j’aurais voulu un Brecht, ou un Heiner Müller, pour assumer avec élévation l’évocation de ces années-là. Hélas, nous n’eûmes que l’éternité épinglée de François, accueillant Didier, ou même (dans un numéro récent du Temps) face à son miroir. De ce Bicentenaire, nous retiendrons la ronde des commémorants, malheureusement alliée à la mise à l’écart de l’appel à l’Histoire.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Caisse publique : les raisons de mon oui

     

    Sur le vif - Mardi 09.09.14 - 12.57h

     

    Le 28 septembre, je dirai oui à la Caisse publique d’assurance-maladie, tout comme j’avais déjà, le 11 mars 2007, dit oui à la « Caisse maladie unique et sociale », nettement rejetée par le peuple et les cantons, principalement pour la question de son financement. Je dirai oui, et j’explique ici pourquoi, en précisant que de bons arguments existent des deux côtés. Disons-le tout net : j’ignore si la Caisse publique nous permettra de payer des primes moins exorbitantes qu’aujourd’hui, ce qui est assurément le souci majeur de la population, et je place le débat sur le seul plan qui m’intéresse dans les affaires politiques, celui de la vision citoyenne. La conception, en l’espèce, que je me fais du rôle de la santé publique dans une société humaine organisée, qu’on appelle « Etat ».

     

    La LAMAL (loi sur l’assurance-maladie), je la connais par cœur, ayant assisté à Berne, il y a vingt ans, à l’intégralité des débats parlementaires sur la genèse de cette loi. J’ai vu tous les conseillers fédéraux s’y casser les dents, Flavio Cotti, Ruth Dreifuss, Pascal Couchepin, Didier Burkhalter, Alain Berset. Je ne recenserai pas ici les multiples raisons qui ont conduit à l’explosion des primes dans notre pays, nous les connaissons tous, et l’une d’entre elles, majeures, est évidemment la surconsommation médicale.

     

    Mais surtout, ce qui a le plus lamentablement échoué, et qu’on nous brandissait pourtant, au milieu des années 1990, dans une idéologie libérale que n’allait pas arranger le courant blairien (contaminant jusqu’à  notre gauche en Suisse), c’est la mise en concurrence des Caisses. J’encourage tout historien en instance de mémoire ou de thèse à aller rechercher, dans les archives audiovisuelles et celles des journaux, les argumentaires d’il y a vingt ans, ces promesses de magie libérale, où le dogme du marché, d’inspiration anglo-saxonne, remplaçait celui d’une économie en effet passablement dirigiste, héritée de la guerre et des années d’après-guerre. Oui, j’espère que les historiens vont nous ressortir ces argumentaires avec leurs mirages de libéralisme post-moderne, où ce tout qui ressemble à une solidarité sociale, une mutualité au sein d’une communauté humaine, devait s’évaporer au profit des vertus de la concurrence-reine. Vingt ans après, le résultat est là. C’est un échec. J’ignore si un système d’Etat eût fait mieux, je ne me risquerais pas à l’affirmer. Mais la mise en concurrence est une cruelle défaite. Il faut aujourd’hui en prendre acte, en saisir la mesure.

     

    A mon tour, je ne prétends pas que la prise en charge de l’assurance de base par une caisse-maladie nationale de droit public, avec agences cantonales ou intercantonales, serait une quelconque panacée. Mais comme citoyen, je veux y croire : non à la panacée, mais à quelque chose de plus solide, de plus juste, de plus solidaire, de plus conforme à l’idée que je me fais de la prise en charge de la santé au sein d’une nation moderne. Depuis toujours, je plaide pour que la santé (tout au moins dans l’assurance de base) échappe aux mécanismes de concurrence du privé. Pourquoi ? Mais parce qu’elle est d’intérêt éminemment public ! Parce qu’elle est notre bien le plus précieux, la condition de notre vie. Parce que chacun d’entre nous doit pouvoir accéder aux soins de base. Aussi, parce qu’économiquement, le libéralisme n’a jamais été ma vision des choses. Et qu’il existe pour moi d’autres valeurs que celles du profit. Par exemple, l’Etat. Par exemple, la République. Par exemple, la solidarité. Au nom de ces principes, dont vous voyez bien qu’ils sont politiques et non techniques, j’estime que la Suisse doit au moins essayer le modèle de Caisse publique que nous proposent les initiants.

     

    Ensuite, quoi ? Eh bien ensuite, hélas, le 28 septembre, ce modèle sera refusé, sans doute par la puissance majoritaire du vote alémanique, où la conception du rôle de l’Etat n’est pas la même que dans les cantons latins. Je serai donc, le 28, dans le camp des perdants. Mais au moins, j’aurai plaidé. Reste que la Suisse, cette belle et vivante démocratie qui, à commencer par l’AVS en 1947-1948, a inventé après la guerre un réseau enviable d’assurances sociales, n’a pas réussi ce pari dans l’ordre de l’assurance-maladie. Partisan d’un Etat fort, je rêve d’une Révolution comparable à celle de l’instauration, à la Libération, de la Sécurité sociale par le général de Gaulle. Quelque chose, pour l’assurance de base, de puissamment collectif. Une réforme qui ressemble à une urgence d’Etat, inspirée par un mouvement de solidarité et de justice. Cela ne sera pas, je le vois bien, pour le 28 septembre 2014. Mais cela, en Suisse, devra bien advenir un jour. Car notre petit pays peut être très grand, lorsqu’il parvient, comme avec l’AVS juste après la guerre, à se doter d’instruments à la hauteur de son ambition pour le bien général, et non pour le seul profit de quelques-uns.

     

    Pascal Décaillet