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Sur le vif - Page 714

  • Emissions religieuses : le flambeau est à prendre

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    Sur le vif - Jeudi 19.11.15 - 16.28h

     

    Il ne s’agit pas ici de défendre un pré carré. De plaider pour les catholiques. Ou pour les protestants. Ou pour les juifs. Ou pour qui vous voudrez. Il s’agit de savoir si le géant de l’audiovisuel suisse, financé par la redevance, disposant d’un budget qui demeure incroyablement confortable, avec un nombre exorbitant de chaînes radio et TV dans toute la Suisse, entend encore assumer cette fameuse mission de service public, par lui-même rabâchée comme blason.

     

    Les émissions dites « religieuses » à la RTS ont considérablement évolué ces dernières décennies. Quand j’étais enfant – nous les écoutions assidument – elles étaient vraiment la voix des différentes paroisses, principalement catholiques ou protestantes. Chacun y plaidait pro domo, c’était d’ailleurs présenté comme tel, on les écoutait comme on va à la messe, ou au culte. Et puis d’autres, bien sûr, ne les écoutaient pas : chacun fait ce qu’il veut du bouton de son transistor ou de son poste TV.

     

    Mais depuis, quel changement ! Pendant toutes mes années à la RSR, j’ai vu ces émissions évoluer. Ce qu’elles ont perdu en vocation missionnaire, en parfum d’encens, elles l’ont infiniment compensé en curiosité, en ouverture, en pluralité, en rigueur d’information. Bref, de « porte-parole » des différentes communautés religieuses, elles sont progressivement devenues de remarquables émissions d’information, ouvertes, pointues, renseignées, sur les différents courants spirituels, philosophiques, de la planète. Ainsi, par exemple « Hautes Fréquences », le dimanche soir, en radio. En clair, en quelques décennies, ces émissions sont passées du stade du catéchisme à celui de l’information sur le « fait religieux », dont on parle tant pour les écoles. Qui s’en plaindra ?

     

    Pressée par des besoins financiers, la RTS s’apprête à les supprimer. Elle a tort. Sur le fond, comme sur le signal. La mission de la SSR est de refléter la Suisse dans toute sa pluralité, ses composantes, sa savoureuse et magnifique complexité. Les différentes facettes de l’engagement spirituel en font partie. Au même titre que la vie politique, sociale, culturelle, économique, sportive, etc. Vous connaissez ma passion pour l’Histoire suisse, à laquelle j’ai consacré, à la RSR justement, tant de séries : je souhaite bonne chance à toute personne entendant empoigner l’Histoire de notre pays en prétendant faire l’impasse sur la Réforme, les Guerres de Religion, les grands conflits confessionnels du dix-neuvième, l’invention du radicalisme et du Freisinn, celle (en réaction) de la démocratie chrétienne, le Sonderbund, le Kulturkampf, etc. etc. etc. Et je ne parle ici que de questions internes au christianisme. Nous avons, dans notre pays, d’importantes communautés juives, musulmanes, et autres : elles constituent une part inaltérable de notre construction commune.

     

    Et puis, nous avons des athées, des agnostiques. Nous avons des philosophes, des historiens des religions (dont une école remarquable, depuis des décennies, à Genève, celle des Rudhardt et des Borgeaud), qui constituent un pôle d’excellence dans la réflexion sur ces questions. Nous avons, à Genève, Lausanne et Neuchâtel, la grande tradition des penseurs issus de la Réforme. Nous avons, à Fribourg, une école dominicaine de pointe, nous avons les Revue Choisir, Nova & Vetera (fondée par le futur Cardinal Journet). Nous avons des pôles d’étude sur l’islam, le judaïsme, les religions antiques. Sur tout ce superbe faisceau d’énergies, il faudrait soudain faire silence ? Pour ma part, je dis non.

     

    Je dis non comme citoyen. Je dis non comme auditeur, téléspectateur, lecteur. Je dis non, au titre des antennes de nos consciences. Je dis non, au nom de l’ouverture. Ces émissions, la SSR ne veut plus les assumer ? Soit ! Eh bien il appartient dès aujourd’hui au monde du privé de ne pas demeurer inerte. Montrer, comme il le fait si bien des années pour la politique, qu’il est, lui aussi, parfaitement capable de produire, sur ces questions-là, du « service public ». Je dis cela, et entame dès aujourd’hui une réflexion, comme entrepreneur, sur la part que je pourrais apporter dans ce domaine. Parmi d’autres, bien sûr. En partage, en partenariat avec d’autres. Après tout, nous avons sous la main les compétences. Nous avons le réseau. Nous avons, immensément, l’envie. A partir de là, attaquons. Nous ne laisserons pas tomber la réflexion sur les questions spirituelles, au sens large. Nous ne tomberons pas dans le piège de les évacuer pour des raisons économiques. Au contraire, nous allons ouvrir un chantier. Ne pas le faire, ce serait laisser aux orties une part constituante de notre identité suisse. Dans sa pluralité. Dans la mutualité du respect. Dans la petite magie, toujours si fragile, et justement fascinante, de ce pays que nous aimons.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • La Suisse doit se protéger. Elle en a le devoir.

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    Sur le vif - Dimanche 15.11.15 - 16.27h

     

    Vendredi soir à Paris, une nouvelle étape a été franchie : on ne cible plus une profession, un acte (caricaturiste), une communauté (juive), non, on commet des meurtres de masse, là où se presse naturellement la foule : une salle de spectacle, un match de football. Le signal est clair : on monte d’un degré dans l’ampleur de l’attaque, et d’ailleurs le nombre de morts est multiplié par dix, par rapport aux attentats de janvier. Alors, terrorisme ou « actes de guerre » ? Franchement, peu importe la nomenclature. Ce qui compte, c’est l’élévation d’un degré dans la conception des attentats, les moyens mis en œuvre, la logistique, la coordination, les transmissions. Le France a affaire à une série d’attaques stratégiquement pensées, avec des buts très clairs. Paniquer la population n’est pas le moindre d’entre eux.

     

    Seulement voilà. Il se trouve que la France est un grand pays, et une grande nation. Dans les moments difficiles, ceux où le corps du pays se retrouve meurtri, déchiré, nos voisins ont maintes fois montré, dans l’Histoire, qu’ils savaient faire front. Il y eut, vendredi soir, 129 morts. Il y en eut, entre 1914 et 1918, une moyenne de mille par jour pendant quatre ans, plusieurs milliers lors de pics d’horreur, comme l’offensive sanglante et finalement inutile de Nivelle, au Chemin des Dames. Il y eut la Seconde Guerre mondiale, six semaines d’absolu cauchemar entre le 10 mai et le 22 juin 1040, puis quatre années d’Occupation, les fusillés, les déportés, puis l’Epuration, puis deux guerres coloniales, l’Indochine et l’Algérie. Lors de ce dernier conflit, sur la fin, au moment des attentats de l’OAS, la peur, la mort, étaient partout. Oui, nos amis français savent que signifie la souffrance, le sang, le sacrifice. Et font preuve, depuis vendredi soir, comme en janvier dernier, d’une remarquable tenue dans l’adversité.

     

    Et la Suisse ? Sommes-nous exposés ? Nous ne sommes certes pas impliqués, comme la France, dans l’affaire syrienne. Mais notre type de société, fondé sur un Etat de droit, le respect mutuel, la cohabitation des différentes communautés et religions, est, dans les grandes lignes, le même que celui de la France. Rien ne nous garantit que nous ne pourrions pas, nous aussi, un jour, devenir des cibles. Face à cette éventualité, il appartient à nos pouvoirs publics d’entreprendre toutes choses pour réduire le risque au maximum. Pierre Maudet, hier dans notre émission spéciale, a tenu un discours compétent et responsable. Oui, « l’image de l’ennemi » (comme on me le disait toujours, naguère, dans mes 500 jours d’armée) a totalement changé. Oui, les efforts d’adaptation de toutes nos forces de sécurité, coordonnées, doivent s’adapter, plus vite encore, mieux encore, à cette nouvelle adversité. Non, la guerre de demain ne viendra pas d’une invasion de régiments de chars sur le Plateau, par l’entrée nord-est de Saint-Gall. Oui, elle surviendra autrement, de façon perverse, imprévisible, sporadique, comme seule une guérilla peut en avoir le secret.

     

    A cela s’ajoute le risque d’un ennemi de l’intérieur. Même si nous ne sommes ni dans les banlieues françaises, ni dans le communautarisme belge ou anglo-saxon. Face à ces menaces, il est très clair que les autorités suisses doivent disposer des moyens de leur action. La loi sur le renseignement, acceptée par le Parlement mais attaquée en référendum, constitue le socle minimum de ces moyens. Si les « services » d’un pays ne peuvent même pas procéder par écoutes téléphoniques lorsqu’il y a soupçon d’actes terroristes, alors autant fermer la boutique tout de suite. J’ai connu l’affaire des fiches, je l’ai vécue au début de mes années comme correspondant au Palais fédéral, je veux bien qu’elle ait constitué un traumatisme pour certains, mais là, la loi sur le renseignement n’a strictement rien à voir, elle doit impérativement être acceptée en votation.

     

    Reste la frontière. La revoilà ! Cette frontière que des rêveurs, des mondialistes, des utopistes globalisants ont tout fait pour abolir, voilà qu’elle resurgit naturellement, s’impose comme élément de protection de notre communauté nationale. Oui, il faut rétablir et renforcer les contrôles aux frontières, il faut le faire avec la plus grande rigueur. C’est l’un des éléments essentiels de notre dispositif de sécurité. Tout cela, il va falloir l’entreprendre sur une longue durée. Les dangers qui nous guettent ne vont pas s’évaporer par miracle à l’issue des douze jours d’état d’urgence de M. Hollande. Ils pèsent sur nous pour des mois, des années, que sais-je ? En termes de sécurité nationale, nous devons nous montrer fermes, unis, déterminés. Dans nos appréciations des événements, regardons les faits, le terrain tel qu’il est, n’écoutons pas trop les paroles.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Schmidt et l'Amérique : quelques lumières

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    Sur le vif - Mercredi 11.11.15 - 10.27h

     

    J'ai réfléchi cette nuit à la très grande proximité d'Helmut Schmidt avec le monde anglo-saxon, principalement les Etats-Unis. Connaissant très bien le personnage, ayant à peu près lu tout ce qu'il a écrit, je puis affirmer que cette proximité ne procède pas d'une quelconque obédience atlantiste, encore moins d'une béatitude pour le Nouveau Monde.

     

    Simplement, Schmidt, dans la droite ligne de Bismarck, construit l'Allemagne de son temps non à partir de rêves, mais des réalités qu'il a sous la main. Officier de DCA de la Wehrmacht, ayant combattu toute la guerre, dont une partie sur le front de l'Est, décoré de la Croix de Fer, tombé aux mains des Britanniques au moment où son pays est en ruines, et pour des décennies au ban des nations, il sait ce que reconstruire veut dire. Il a connu l'Allemagne, Année Zéro : il a connu le NEANT !

     

    Or, dans un premier temps, comment vouliez-vous reconstruire, en RFA, sans passer par l'alliance (celle de la raison, si ce n'est du coeur) avec l'Américain ? Ce dernier a certes bombardé vos villes, avec le Britannique, pendant trois ans, nuit et jour, il n'en est pas moins celui qui va vous aider, financièrement surtout, à refaire le pays. J'étais en Allemagne, dans ces années-là, les années Brandt, les années Schmidt, et moi-même je m'étonnais de la bienveillance des Allemands face aux Américains. Les gens parlaient d'eux comme d'un parapluie, pour les protéger. C'était la Guerre froide.

     

    Un autre élément, plus culturel, explique ce qui lie Schmidt aux Etats-Unis : sa parfaite connaissance de la langue anglaise, sa lecture de la littérature américaine, ses réseaux personnels là-bas. Je me suis longtemps dit que cela s'expliquait par le côté hambourgeois, le miracle de ce esprit hanséatique qui ouvre à l'Allemagne les chemins du Grand Large. Du coup, j'ai pensé à Thomas Mann (les Buddenbrooks), et surtout à son frère Heinrich (Zwischen den Rassen). Assurément, un enfant de Hambourg, qui passe sa jeunesse, dans les années vingt et trente, à lire la littérature, jouer du piano et faire des régates, ne peut avoir la même Weltanschauung qu'un fils de paysan, à la même époque, dans la Haute-Bavière, ou un fils de mineur en Silésie.

     

    Helmut Schmidt a construit sa relation avec l'Ouest comme l'un des outils de son travail de rénovation de l'Allemagne. Le grand Willy Brandt, natif d'une autre ville hanséatique, celle de Thomas Mann (Lübeck), était naturellement tourné vers l'Est, et son Ostpolitik fut le virage génial de l'Allemagne des années 69-74. Schmidt, lui, a utilisé sa connaissance intellectuelle de la culture anglo-saxonne comme organe de reconstruction. Tel Bismarck, il dissociait parfaitement la fin (refaire l'Allemagne) des moyens (paraître inféodé à Washington).

     

    En vertu de tout cela, on peut affirmer que le manque, crasse, de reconnaissance de l'oeuvre de Schmidt, chez nos observateurs qui en général connaissent fort mal l'Allemagne, au profit d'un Helmut Kohl qui a récolté les fruits du labeur de son prédécesseur, doit être relevé. Et dénoncé. Les années Brandt et Schmidt, les années 69-82, sont de très grandes années, où s'est accompli, en pleine Guerre froide, un considérable travail souterrain pour préparer, le jour venu, le retour de l'Allemagne au premier plan des nations. C'est cela, le legs de Schmidt. Il fallait une fois le dire.

     

    Pascal Décaillet